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14) Des plans de « maintien de l’emploi » autorisés par accords : sauver « l'emploi » en baissant légalement les salaires ?

Il s’agit des mêmes accords compétitivité emploi que N. Sarkozy avait souhaité mettre en place. Une entreprise va pouvoir, pour passer une période difficile et augmenter la productivité, augmenter le temps de travail et/ou baisser les salaires en concluant des accords d’entreprise.

Il s’agit officiellement de « donner aux entreprises les moyens de s’adapter aux problèmes conjoncturels et de préserver l’emploi ». (Titre II de l’ANI)

Maurad Rabhi, négociateur CGT :

Non seulement les garanties en matière d’emploi seront toujours sujettes à caution, mais le chantage exercé en toute impunité par les employeurs leur permettra de réduire les salaires ou d’augmenter la durée du travail pour améliorer les marges financières des entreprises. Les salariés qui refuseront seront licenciés pour un motif qui s’apparente à un licenciement économique, mais l’entreprise sera dispensée de toutes les obligations sociales du plan de sauvegarde à l’emploi (formation, reclassement, revitalisation du bassin d’emploi, priorité de réembauche…).

Quelle entreprise n’a pas de problème conjoncturel ? et n’en ont-elles pas tout le temps ?

Il s’agit surtout de donner aux employeurs dont l’entreprise est présumée, selon eux, en difficulté les moyens d’exiger des sacrifices de la part des salariés pour la redresser : « chômage partiel » et « nouvel équilibre pour une durée limité dans le temps – 2 ans maximum ! - dans l’arbitrage global temps de travail, salaire, emploi au bénéfice de l’emploi » (article 18 de l’ANI).

Il sera possible de faire varier les horaires et de baisser les salaires : c’est une généralisation d’accords qui avaient été signé et rendus célèbres à l’époque dans des entreprises comme Bosch, et Continental, ce qui ne les avait pas empêché de fermer après avoir essoré leurs salariés !
 Une façon de faire plier l’échine aux salariés en prévoyant que lorsque l’entreprise est mise en difficulté, ils sont contraints de s’incliner : l’ANI précise bien « l’accord s’impose au contrat de travail » .

C’est un point nouveau, important et fondamental dans le droit du travail.

Pas de contestation, pas de recours : en cas de refus du salarié, la rupture de son contrat « s’analyse en un licenciement économique dont la cause réelle et sérieuse est attestée par l’accord précité ». Viré automatiquement, impossible d’aller au tribunal !

Cet article 18 est une régression sans précédent : c’est la généralisation du chantage à l’emploi ! Les salariés qui refusent l’application d’un accord collectif de baisse de salaires ou d’augmentation du temps de travail seront licenciés pour motif économique individuel. Le motif du licenciement sera inattaquable.

S’ils sont nombreux à refuser, explicitement il est prévu qu’il n’y ait pas de « plan social » :

« L’entreprise est exonérée de l’ensemble des obligations légales et conventionnelles qui auraient résulté d’un licenciement pour motif économique » !


Notez que les partisans intransigeants des contrats permettent à l’employeur de s’affranchir des contrats autant que de la loi !

C’est finalement l’application du projet de loi annoncé par Sarkozy le 31 janvier et publié au J0 sous le nom de loi Warsmann art 40 le 22 mars 2012 :

cf. Article 40 de la loi Warsmann : « Modulation du nombre d’heures travaillées sur courte période sans requalification du contrat de travail : la mise en place d’une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail »

Mais en pire : car c’est 2 ans ! Et là, les salaires aussi peuvent baisser !


C’était déjà possible de signer des accords dérogatoires au Code ou à la convention collective par la loi Fillon du 4 mai 2004. Ça inversait la hiérarchie des sources de droit. Mais le salarié pouvait refuser et il gardait ses droits de recours en cas de licenciement.

C’est donc pire que la loi Fillon du 4 mai 2004 : ce dernier n’avait pas osé à l’époque imposer la loi à un salarié qui refusait individuellement la baisse de son salaire. Celui-ci restait dans ses droits ! Là, répétons-le, ce n’est plus le cas, il sera licencié avec une « cause réelle et sérieuse » présumée, le contenu de l’accord.
(Cela pourrait être anticonstitutionnel parce que cela prive le juge d’apprécier lui-même la cause réelle et sérieuse)

C’est pire que la loi Warsmann envisagée par Sarkozy : la peine est deux fois plus longue, ça ne vise pas l’aménagement des horaires mais aussi celui des salaires.

Sur ce point-là c’est un recul historique d’une ampleur encore inappréciable ! Car ça bouleverse un point fondamental du rapport entre la loi, la convention et le contrat de travail !


Quel effet sur l’emploi ? là, il peut y en avoir : différer dépôts de bilan et liquidation en faisant payer les difficultés aux salariés. Le chantage à l’emploi est légalisé et le contrat de travail collectif et individuel peut être attaqué dans ses éléments substantiels.

Les représentants des salariés pourront étudier la situation de l’entreprise en se basant sur les éléments fournis aux institutions représentatives du personnel dans le cadre de la nouvelle base unique d’information et en recourant, s’ils le souhaitent, à un expert-comptable.

L’ANI cadre très peu ces futurs accords puisqu’il n’est prévu que le respect de l’ordre public social (SMIC, durées légales, repos quotidien …) et le respect des accords de branches qui ne prévoient pas de dérogations. Il est au passage aberrant de constater que l’ANI se charge de définir quelles sont les règles relevant de l’ordre public social. Or, ce dernier a une définition propre et il n’appartient pas aux syndicats et patronat d’en déterminer les contours.

Il devra être prévu un engagement de maintien dans l’emploi d’une durée au moins égale à la durée de l’accord. La durée de l’accord ne peut excéder deux ans.

Il est bon de noter que jusqu’à présent la jurisprudence ne sanctionne pas les manquements de l’employeur à ses engagements de maintien de l’emploi dans des accords collectifs, tout simplement parce que ces engagements n’ont pas de contenu vérifiable (l’employeur prétendra que les salariés partis en rupture conventionnelle ne sont pas de son fait, de même quid en cas de non remplacement des personnels qui quittent l’entreprise ? Etc.).

Il n’est pas prévu la diminution équivalente de la rémunération des actionnaires : l’accord ne prévoit en la matière qu’une « certaine symétrie de forme »

En cas de refus de se voir appliquer l’accord collectif, le salarié va être licencié pour motif économique, il ne pourra pas contester la réalité du motif économique. Surtout, même si de nombreux salariés refusent l’application de cet accord, l’entreprise n’aura aucune obligation liée a un licenciement collectif ; en particulier pas d’obligation de faire un plan de sauvegarde de l’emploi !

L’accord collectif obtenu par chantage va faire peser sur les représentants du personnel la responsabilité de la baisse de salaire et de l’augmentation du temps de travail ou bien celui de la disparition d’emplois. On voit de là, les disputes, les divisions et les prétextes à abandons : si tu ne baisses pas ton salaire tu perds ton emploi, l’ordre social ne te protège plus, le choix est possible entre Charybde et Scylla.

Maurad Rabhi, négociateur CGT :

Mesure-t-on la gravité des nouvelles dispositions relatives aux procédures de licenciement encadrées et sécurisées juridiquement à la main du patronat, qui pourra engager des restructurations y compris quand l’entreprise est en bonne santé financière ? La réduction drastique des délais de la procédure (entre 2 et 4 mois) interdira, en pratique, aux représentants des salariés de discuter du fondement économique des licenciements et d’élaborer des solutions alternatives. Les négociations risquent donc de ne porter que sur le volet social du plan de sauvegarde à l’emploi et la stratégie de l’entreprise est validée dans tous les cas de figure.

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