GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Unité pour chasser Bolsonaro ! (Brésil #2)

Profitant de l’emprisonnement « politique » de Luiz Inácio da Silva (« Lula »), le 7 avril 2018, Jair Messias Bolsonaro avait gagné l’élection présidentielle du 28 octobre par 55,13 % face au candidat du Parti des travailleurs (PT), Fernando Haddad (44,87 %). Il est devenu président le 1er janvier 2019, pour un mandat de quatre ans. Le Brésil entrait-il dans une ère de régime fasciste ?

Il ne fait aucun doute que Bolsonaro appartient à l’extrême droite. Il a été porté au pouvoir par une coalition hétéroclite faite de secteurs militaires et policiers – au Brésil, la police militaire créée pendant la dictature est en partie soumise aux forces armées –, d’Églises néo-évangélistes, de grands propriétaires terriens très hostiles à la défense de l’environnement et avides de terres indigènes, d’une petite classe moyenne en voie de prolétarisation – celle qui justement avait surgi grâce aux politiques sociales des gouvernements Lula – et aussi d’habitants des favelas exténués par l’insécurité. Le tout cimenté par l’appui de médias monopolistiques et de nouvelles frauduleuses produites à échelle industrielle et transmises à des millions de personnes ne recevant aucune information autre que celles entrant dans leurs téléphones.

Bolsonaro en mauvaise posture

Néanmoins, à l’inverses des « fascismes historiques » dont la politique économique est antilibérale, Bolsonaro nomma comme ministre de l’Économie un Chicago Boy adepte d’un néolibéralisme radical. Il fut incapable de construire un parti fasciste structuré, malgré l’existence de milices privées puissamment armées. Les institutions brésiliennes centrales et le fédéralisme ont relativement bien résisté aux assauts de ses partisans. Sa politique a été ainsi faite de bric et de broc allant néanmoins dans le sens de la destruction de l’État social brésilien, de la remise en cause des droits des indigènes, des femmes, d’une énorme violence contre les favelas et la jeunesse noire pauvre (des centaines de morts), de l’asphyxie des agences de défense de l’environnement et de recherche scientifique.

Néanmoins, c’est la pandémie de Covid qui démontra au plus grand nombre l’incompétence du personnage : considérant le Covid comme une gripezinha (une « petite grippe ») pour laquelle on n’allait pas freiner l’économie, il refusa huit fois de suite des campagnes nationales de vaccination proposées par Pfizer, ce qui accrut l’instabilité au sein même de sa coalition. Se sentant affaibli, il multiplia alors les déclarations guerrières disant qu’il allait fermer le Tribunal supérieur fédéral (TSF), que les prochaines élections seraient forcément frauduleuses et qu’il n’en respecterait donc pas le résultat. Il organisa pour cela des manifestations factieuses dans le pays le 7 septembre 2021 mais celles-ci furent moins massives qu’espéré et ne lui permirent pas le coup d’État souhaité. Cela ne signifie pas que le danger, d’ici octobre 2022, soit écarté, mais sa reculade du 10 septembre (voir entrevue publiée le mois dernier) a permis une contre-offensive de la gauche.

Aujourd’hui, Lula, lavé de toutes les accusations par la volte-face du TSF, est candidat et donné vainqueur par tous les sondages, avec un centre de gravité de type centre-gauche. Cependant, il s’agit d’un phénomène personnalisé, qui profite certes au PT, qui voit affluer adhérents et sondages encourageants (28 % récemment, comme en 2005 au pic de sa popularité). Mais le fait que Lula doive être élu avec une majorité absolue des voix aux présidentielles ne signifie pas que le PT et ses alliés directs auront la majorité des députés fédéraux. Ainsi, la nouvelle conjoncture ne laisse pas de provoquer de vifs débats dans la gauche brésilienne et les mouvements sociaux.

Problèmes du front unique dans la gauche brésilienn

Historiquement, le « front unique » n’a pas été une politique spécifiquement liée à des tactiques défensives, même si cela peut être le cas. Il s’agit, en unifiant le prolétariat autour de revendications concrètes (voire « transitoires »), de permettre une mobilisation chaque fois plus large dont le développement même pose des problèmes politiques « plus à gauche ».

Naturellement, la question ne se pose pas de la même manière quand il s’agit d’un mouvement social (une grève, une mobilisation nationale sur un thème spécifique) ou, par exemple, de la construction d’alliances électorales. Il ne faut pas opposer non plus les deux – les élections ne sont-elles pas une forme d’action ? –, car la bataille électorale se nourrit des mouvements sociaux antérieurs. Au Brésil, la question est de stopper les tendances golpistas (pro-coup d’État) de Bolsonaro, si possible d’obtenir son impeachment (destitution) avant même les élections – car ces dernières resteront en danger tant qu’il sera au pouvoir – et enfin de construire une coalition politique permettant de le vaincre et d’instaurer un gouvernement renouant avec le progrès social, la défense des droits des femmes, des Noirs et des indigènes, de la jeunesse des favelas, etc.

Une gauche en mosaïque

La gauche brésilienne est fort composite, sans même parler des diversités régionales dans cet immense pays fédéral (dix-sept fois la France). On se reportera à l’encadré pour ces précisions, mais grosso modo, on peut classifier, dans la conjoncture actuelle, les grandes tendances de la manière suivante :

– Lula ne milite guère pour l’impeachment de Bolsonaro, préférant qu’il « saigne » peu à peu jusqu’en octobre prochain, considérant les institutions brésiliennes suffisamment fortes pour écarter le danger d’un « auto-coup » ou la remise en cause des élections ; de ce fait, le Parti des travailleurs, en principe favorable à l’impeachment, n’est pas fortement impliqué dans la campagne. Certains des mouvements sociaux qui lui sont liés y participent pourtant.

–L’idée de demander l’impeachment dès avant les élections est de rééditer un mouvement de masse de l’importance de celui des Diretas Já, de 1983-1984 quand, au sortir de la dictature militaire de 1964-1984, des millions de Brésiliens d’opinions les plus diverses (de la droite à l’extrême gauche), avaient demandé des élections directes pour les présidentielles (alors aux mains du Sénat formé sous la dictature). Même si l’impeachment n’est pas obtenu, cette très large unité sur un thème démocratique créerait les conditions pour des élections libres. Ainsi, la campagne Fora Bolsonaro (Dehors Bolsonaro) est structurée autour du Frente Povo Sem Medo (Front du peuple sans peur) lié au MTST (Mouvement des travailleurs sans toit), du Frente Brasil Popular (Front populaire du Brésil) dirigé par les organisations du camp du PT, et de la Coalizão Negra por Direitos (Coalition noire pour les droits). Mais ces organisations ont perdu en capacité d’attraction ces dernières années.

– Derrière la question des campagnes démocratiques se profile naturellement la question électorale, électrisée depuis que Lula a été rétabli dans tous ses droits. Faut-il soutenir Lula, contre Bolsonaro, dès le premier tour, même s’il présente un projet de centre-gauche et ne rompt pas avec les politiques néolibérales ? Même s’il prend comme candidat à la vice-présidence une personnalité de centre-droit, garantie d’une bonne relation avec les milieux d’affaires ? Le débat a fait rage notamment lors du congrès du PSOL des 26 et 27 septembre dernier. Le PSOL est un parti issu de la scission de gauche au sein du PT en 2003, qui regroupe la majeure partie des courants de la gauche de transformation sociale. La capacité de mobilisation du PSOL sous le proto-fascisme de Bolsonaro, malgré les pertes – à commencer par l’assassinat de Marielle Franco –, a grandement renforcé l’estime de ce parti dans la gauche brésilienne. La majorité de son congrès a opté pour un soutien dès le premier tour en faveur de Lula, ce qui néanmoins ne signifie pas une participation au gouvernement ultérieur. Il pourrait aussi y avoir des répartitions de circonscriptions pour les élections de députés et de gouverneurs.

De nombreuses questions

Qu’en sera-t-il des dix prochains mois ? Bolsonaro rééditera-t-il sa tentative d’« auto-coup » du 7 septembre 2021 ? L’institution militaire se fracturera-t-elle ou, pour garder son unité, se distanciera-t-elle de Bolsonaro ? La campagne Fora Bolsonaro prendra-t-elle un nouvel élan ? Des accords de « fédération » entre partis de gauche permettront-ils à la gauche de gagner non seulement les présidentielles, mais aussi les élections des gouverneurs d’États, des députés fédéraux et des députés d’États (toutes ces élections ont lieu le même jour) ?

En effet, la différence, déjà expérimentée lors des élections de 2002 et 2010, entre les résultats présidentiels, donnant probablement la victoire à Lula, et les résultats législatifs, où les partis de droite ou du centre pourraient rester majoritaires, est un immense danger – le gouvernement du PT devant d’une manière ou d’une autre « acheter » le soutien ou la neutralité des députés de droite et du centre. Au Brésil, peu de partis ont une réalité nationale et les clientélismes locaux continuent de peser considérablement.

Cet article de notre camarade Michel Cahen (avec l’aide précieuse de Mélina) été publié dans le numéro de février 2022 (n°292) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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