GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Unifier par la lutte salariale

En France comme dans le monde, des millions de salariés n’ont que leur force de travail à vendre. Ils ne vivent pas de la possession de moyens de production ni de rentes ni d’actions. En contrepartie de leur travail (manuel ou intellectuel), ils reçoivent un salaire. Ce sont ces femmes et ces hommes qui produisent les richesses, mais sans en recevoir la part qu’elles et ils méritent.

La classe dominante redoute plus que jamais que le salariat prenne conscience de sa force. C’est pourquoi elle n’a de cesse d’opposer « classes moyennes » et « classes populaires », autant de termes qui servent à effacer que le salariat est une classe. Bien sûr, on peut rappeler qu’en moyenne un cadre gagne 2,2 fois plus qu’un ouvrier ou un employé.

On doit surtout ne pas oublier que la moitié des salariés reçoit moins de 1 940 euros nets mensuels1, c’est le salaire médian (la moitié gagne moins, l’autre moitié davantage). La salaire moyen est de 2 448 euros net mensuels (données Insee pour 2019). Par ailleurs – et c’est essentiel ! –, il faut rappeler que 80 % des salariés touchent moins de 3 000 euros.

Une nette homogénéisation salariale

Le salariat est donc beaucoup plus homogène qu’on le laisse souvent à penser (ce qui n’exclut pas, par exemple, des différences entre hommes et femmes), car les salaires représentent l’unique source de revenu pour l’immense majorité des actifs. Opposer l’ingénieur au balayeur est une erreur qui ne peut que servir à masquer les véritables antagonismes de classe.

Si les écarts se sont creusés ces trente dernières années du fait des politiques néo-libérales, c’est surtout entre les revenus du Capital et du Travail. Les dividendes versés aux actionnaires ont, par exemple, augmenté de 32,7 % en France au deuxième trimestre 2022 ! Quant aux rémunérations des patrons des grands groupes, elles sont souvent plus de 300 fois supérieures à la rémunération moyenne de leurs salariés. D’où la revendication de la Confédération européenne des syndicats (CSE) d’un écart maximum de 1 à 20 des rémunérations.

Le partage de la richesse produite

Le partage de la richesse produite (la valeur ajoutée) entre salaires et profits, est bien une question qui peut unifier les ouvriers, les employés, les techniciens et les cadres. Prenons l’exemple des grilles salariales. En septembre 2022, seules 54 branches (sur 171 au total) ont une grille intégralement conforme au Smic. 117 (soit 68 %) ont au moins un coefficient en dessous. Imposer au patronat que pas une grille ne commence en dessous du Smic est nécessaire, tout en revendiquant que cela se répercute à l’ensemble des coefficients. Il en est de même quand on se bat pour une hausse du Smic : cela doit s’accompagner d’augmentations pour avoir des salaires qui tiennent compte des qualifications et de l’expérience acquise.

Il en va de même dans la Fonction publique. Face à la politique de « revalorisation » ciblée, notamment en direction des agents entrant dans la carrière – politique dont le tandem Blanquer Ndiaye s’est fait une spécialité dans l’Éducation nationale –, la quasi-totalité des organisations syndicales ont raison de brandir comme revendication-phare la seule revalorisation possible : la hausse du point d’indice qui pousserait tout le monde vers le haut.

Échelle mobile des salaires, augmentations uniformes

De trop nombreuses entreprises refusent actuellement d’augmenter les salaires malgré l’inflation. Elles préfèrent « distribuer » des primes. Une revendication qui unifie, c’est l’exigence minimum de l’indexation des salaires sur les prix (l’échelle mobile des salaires). Si la hausse des prix touche de plein fouet les salariés aux revenus les plus modestes, il est à noter qu’une forte proportion de cadres se dit aujourd’hui prête à se mobiliser sur la question des retraites ou de la rémunération2.

Certains, même à gauche, proposent de n’augmenter que les « bas salaires ». Outre que cela divise le salariat, c’est oublier que la hiérarchie des salaires s’est déjà fortement tassée. C’est aussi oublier que c’est le rôle de d’un impôt réellement progressif de corriger les inégalités de revenus, notamment vis-à-vis de celles et ceux qui se gavent et pour lesquels on ne peut plus parler de salaire, mais bien de hold-up sur la richesse produite. Les parts variables, les dividendes, les actions gratuites n’ont rien à voir avec les salaires fixes les plus élevés des conventions collectives et des grilles indiciaires.

À rebours de ces manœuvres de division, s’il existe une manière d’unifier, c’est bien la bataille autour de revendications uniformes (du type « 300 euros pour toutes et tous »). L’objectif est le même : unifier le salariat, ce qui est la tâche historique du syndicalisme. Ce devrait aussi être l’objectif de toutes celles et de tous ceux qui se réclament de la gauche. Car la gauche est à la fois historiquement et matériellement l’émanation de la force sociale qu’est le salariat face au patronat, dont l’intérêt est de toujours développer davantage l’individualisation des salaires.

Le salaire, tout le salaire !

Toute revendication salariale doit évidemment être mise en avant avec une même exigence de hausse pour les pensions des salariés à la retraite et les minima sociaux. Toujours et toujours unifier !

Cet article de notre camarade Éric Thouzeau a été publié dans le numéro 298 (octobre 2022) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

  1. Centre d’observation de la société, « Salaires qui gagne combien ? », janvier 2022, https://www.observationsociete.fr/revenus/niveaux-salaires.
  2. Sondage Ugict-CGT, septembre 2022.

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Développement de la précarité

Le néo-libéralisme a amené un développement certain de la précarité au sein même du salariat : les privés d’emploi (indemnisés ou non), les deux millions de ménages touchant le RSA. Il y a aussi les temps partiels, le plus souvent imposés. 18,5 % des salariés travaillent à temps partiel. Celui-ci est plus présent chez les employés non qualifiés (42,2 %), et presque quatre fois plus élevé chez les femmes (29,3 % contre 8,4 chez les hommes). Si l’embauche en CDD n’ a de cesse d’augmenter depuis 1993 (près de neuf embauches sur dix se font en CDD), les salariés en CDI restent aussi largement majoritaires (88 % des salariés).

Il y a aussi plus de deux millions d’auto-entrepreneurs (au revenu moyen de 590 euros par mois). Macron mène sciemment une politique qui vise à faire reculer le nombre de salariés, en favorisant Uber et toutes ces sociétés qui, de façon éhontée, exploitent sans vergogne des milliers de personnes en leur refusant un statut de salarié. Pourtant si l’emploi salarié a un tout petit peu baissé ces dernières années, le salariat représente toujours l’immense majorité des actifs.

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Marx et les classes sociales

Il arrive à Marx de distinguer trois classes (dans le tome III du Capital : ouvriers salariés, capitalistes, propriétaires fonciers), quatre classes (bourgeoisie capitaliste, prolétariat, propriétaires fonciers, petite-bourgeoisie), sept classes (dans Les luttes de classes en France où il donne une place à part aux banquiers, aux boutiquiers et au « sous-prolétariat » qu’il affuble du nom de Lumpenproletariat –), ou même huit classes (dans Révolution et contre-révolution en Allemagne, où il fait intervenir la noblesse féodale et établit une distinction entre les ouvriers agricoles et ceux de l’industrie). Selon le même Marx, « notre époque – l’époque de la bourgeoisie – se distingue cependant par la simplification des antagonismes de classe. La société entière se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat ». Nous dirions aujourd’hui « les actionnaires et le salariat ».

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