GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Un cap très dangereux pour les allocations familiales

Le 16e engagement de François Hollande affirmait : « Je maintiendrai toutes les ressources affectées à la politique familiale ».

En mars 2012, le candidat socialiste déclarait devant l’Union nationale des associations familiales (UNAF) : « Je reste très attaché à l'universalité des allocations familiales qui sont aussi un moyen d'élargir la reconnaissance nationale à toute la diversité des formes familiales. Elles ne seront donc pas soumises à conditions de ressources ».

En mars 2013, sous la pression de la Commission européenne, François Hollande avait entamé sa volte-face en estimant, sur France 2, qu’il trouvait anormal que « les plus hauts revenus aient les mêmes allocations » que les plus modiques. Devant la levée de boucliers suscitée par cette déclaration, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait fini par renoncer, en juin 2013, à moduler le versement des allocations familiales en fonction des revenus.

Ne tenant aucun compte du 16e engagement Hollande, le gouvernement de Manuel Valls vient de décider qu’il appuierait un amendement (surgi fort opportunément) d’un certain nombre de députés socialistes, permettant de diminuer de 800 millions par an les ressources affectées aux allocations familiales.

Les mesures soutenues par Marisol Touraine

La modulation des allocations familiales prendrait effet, si elle était votée, le 1er juillet 2015.

Un ménage avec deux enfants gagnant plus de 6 000 euros net par mois verrait ses allocations familiales diminuer de moitié. Il ne percevrait plus que 64,67 €, au lieu de 129,35 €. Au-delà du seuil de 8 000 euros net, il ne percevrait plus que 32,34 euros mensuels, soit le quart de l'allocation de base de 129,35 €.

Ces seuils seraient majorés de 500 euros par enfant supplémentaire.

Ainsi, par exemple, avec un revenu imposable de 6 500 € par mois, un ménage ayant 3 enfants verrait ses allocations mensuelles divisées par deux : de 295,05 € à 147,52 €.

Ainsi, autre exemple, avec un revenu imposable de 9 000 € par mois, un ménage ayant 4 enfants verrait ses allocations mensuelles divisées par quatre : de 460,77 € à 115,19 €.

S’agirait-il d’une mesure de justice sociale comme la présente le gouvernement de Manuel Valls ?

Cette mesure pourrait, certes, apparaître comme une mesure de justice sociale : pourquoi un PDG devrait-il, par exemple, percevoir la même allocation que son chauffeur ? Mais, en réalité, si l’on veut bien essayer de voir plus loin que le bout de son nez, cette mesure n’a rien à voir avec la justice sociale et ce pour deux raisons.

D’abord, parce que les sommes retirées aux ménages ayant un revenu supérieur à 6 000 € par mois ne seraient pas réparties entre les ménages qui gagnent moins de 6 000 €. Elles serviraient à financer une partie des cadeaux fiscaux et sociaux faits aux entreprises dans le cadre des « pactes » de « compétitivité » et de « responsabilité ». Elles permettraient d’augmenter les dividendes versés aux actionnaires puisque ces « pactes » n’imposent aucune contrepartie au patronat en termes d’investissements productifs et d’emplois. La modulation des allocations familiales serait donc, en réalité, une mesure de redistribution des richesses à l’envers. Les sommes que ne percevront pas les 12 % des ménages frappés par la modulation des allocations familiales iraient, par le canal de l’augmentation des dividendes, gonfler les revenus de ménages gagnant 10 ou 100 fois plus, les 0,1 % ou 0,01 % des ménages les plus riches. Les 97,01 euros perdus par le P.D.G. ayant deux enfants lui seraient restitués au centuple grâce à l’augmentation du montant des dividendes de son portefeuille d’actions. Son chauffeur, lui, ne percevrait pas un euro de plus.

Ensuite, parce que les allocations familiales ne sont pas un instrument de redistribution des revenus. La redistribution des richesses, c’était la « grande réforme fiscale », le 14e engagement de François Hollande, qui devait commencer à la mettre en œuvre. Elle n’a jamais vu le jour. C’était aussi la promesse du 9e engagement de François Hollande de revenir sur les « cadeaux fiscaux et les niches fiscales accordées aux grandes entreprises ». C’est, au contraire, une nouvelle niche fiscale de 41 milliards d’euros par an que les « pactes » de « compétitivité » et de « responsabilité » ont accordé aux entreprises, en particulier aux plus grandes d’entre elles.

Le principe d’universalité

Si l’on en croit la ministre de l’Écologie et de l’Énergie, Ségolène Royal, le principe d’universalité des allocations familiales serait préservé puisque, même si les versements sont modulés en fonction des revenus, « toutes les familles continueront de percevoir quelque chose ». Le Secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, écarte aisément ce type d’argument : « C’est de la communication, ça ne tient pas. On touche à l’universalité dès lors que les ménages n’ont plus accès aux mêmes droits ».

Le principe d’universalité propre aux allocations familiales veut que, quels que soient les revenus d’une famille, les allocations familiales soient les mêmes, pour une famille de taille identique. Les allocations familiales ne visent aucun objectif « redistributif ». Elles ont pour but de reconnaître, par le versement d’une compensation, le travail éducatif de celles ou ceux qui élèvent un enfant. Ce travail ne dépend en rien des revenus perçus par un ménage.

Pour Thierry Lepaon, Secrétaire général de la CGT, la modulation des allocations familiales est « contraire à l’esprit même de la Sécurité sociale ». C’était déjà le point de vue de Pierre Laroque qui avait été le maître d’œuvre de la mise en place de la Sécurité sociale à la Libération. Il déclarait, lors de la mise en place de prestations sociales sous conditions de ressources au début des années 1970 par le Premier ministre gaulliste, Jacques Chaban-Delmas : « avec les conditions de ressources, on introduit dans la législation un élément d’assistance qui répugne aux législateurs de 1945-1946 ».

Car c’est bien d’assistance dont il est question. En modulant les allocations familiales selon les ressources, les mesures de Marisol Touraine feraient de ceux qui percevraient ces allocations sans diminution des « assistés » au regard de ceux qui subiraient les modulations. Aujourd’hui, la plupart des ménages seraient épargnés par les mesures de Marisol Touraine mais, pour atteindre les objectifs de déficit public(1), exigés par le traité Merkel-Sarkozy (le TSCG), les modulations seraient appelées à prendre beaucoup d’ampleur si, par malheur, l’Assemblée Nationale s’engageait dans cette voie. Ceux qui continueraient à percevoir des allocations familiales sans qu’elles aient subi de diminution risqueraient alors d’être de plus en plus isolés et de plus en plus stigmatisés, comme le sont, aujourd’hui tous ceux qui sont considérés comme « assistés ».

Quand un droit est universel, il n’y a pas d’« assistés », pas de cible désignée aux attaques de la droite et de l’extrême-droite. La droite pousse les hauts cris contre la modulation des allocations familiales mais elle a été la première à mettre en place des prestations sociales sous conditions de ressources et elle ne cesse, aujourd’hui, de stigmatiser les « assistés ». Quant à l’extrême-droite, la modulation des allocations familiales lui ouvre un boulevard qu’emprunte aussitôt Marine Le Pen pour stigmatiser les immigrés : « Je préfèrerais qu’on arrête de donner les allocations familiales aux étrangers plutôt que de les baisser aux Français mêmes s’ils ont des revenus confortables ».

« Droit des pauvres, pauvres droits »

La militante féministe, Caroline De Haas, le souligne : « des droits pour les pauvres se transforment souvent en pauvres droits et finissent par disparaître ». C’est bien le problème de tous les droits accordés sous condition de ressources. Ils finissent par ne concerner que les pauvres et personne d’autre qu’eux ne défend ces droits quand ils sont menacés.

C’est exactement de qui s’est passé aux USA.

Durant les années 1960, dans le cadre de sa politique de « guerre contre la pauvreté », le Président Lyndon B. Johnson avait mis en place un système de prestations versées sous condition de ressources.

Ronald Reagan, durant les années 1980, se fit le champion de la dénonciation des « welfare queens », ces « reines de l’aide sociale » qui, selon lui, vivaient royalement en multipliant le nombre de leurs enfants avec les partenaires les plus divers. Il put alors diminuer considérablement le montant des aides sociales réservées aux pauvres, sans que les autres Américains se sentent le moins du monde concernés.

Bill Clinton, après sa réélection en 1996, supprima le programme d’assistance aux familles nécessiteuses (AFDC) et le remplaça par un programme « d’aide temporaire aux familles dans le besoin » (TANF) qui limitait à cinq ans (pour toute une vie !) la possibilité de bénéficier de l’aide sociale.

Cette réduction comme peau de chagrin de l’aide sociale n’aurait pas pu avoir lieu si les prestations sociales avaient été versées à tous les Américains. C’est la mise à l’écart d’une fraction de la population, stigmatisée par l’instauration de prestations sociales sous conditions de ressources, qui a permis a l’offensive de Reagan et de Clinton de réussir.

Les risques d’extension à d’autres secteurs de la Sécurité sociale

Avec la mise sous conditions de ressources de la seule prestation qui reste égale pour tous les ménages, ce serait un cap symbolique d’une extrême gravité qui serait franchi.

Le risque, alors, serait grand de voir ce système de mise sous conditions de ressources étendu à la branche santé de la Sécurité sociale. Dans cette optique, un système de modulation des remboursements des soins en fonction des revenus serait alors mis en place.

Il ne s’agirait pas là, pour autant, d’une quelconque avancée de la justice sociale. Bien au contraire car les personnes qui seraient privés de droits ou qui ne percevraient plus que des prestations limitées en fonction de leurs revenus jugés trop élevés refuseraient un tel système. Ils exigeraient la fin du monopole de la Sécurité sociale pour ne plus rien verser à un système qu’ils jugeraient inéquitable et se tourneraient vers des assurances privées qui, au moins momentanément, leur feraient des ponts d’or. La droite et la Commission européenne qui rêvent depuis si longtemps de la fin de ce monopole trouveraient là un solide point d’appui pour en finir avec une mutualisation des risques aussi contraire aux principes néolibéraux.

Au total, ce serait ceux dont les revenus sont les plus modestes, ceux qui n’auraient pas les moyens d’accéder aux assurances privées, qui seraient frappés de plein fouet par la fin du monopole de la Sécurité sociale. Ils n’auraient plus que des miettes à se partager car les titulaires de revenus plus importants ne cotiseraient plus à la Sécurité sociale mais choisiraient les assurances privées pour la santé, les fonds de pension pour les retraites.

Ce risque est d’autant plus menaçant que la Sécurité sociale est, depuis plusieurs années, rognée par tous les bouts. La part patronale des cotisations sociales, baptisées « charges » est de plus en plus réduite sous prétexte d’augmenter la « compétitivité ». L’assurance-maladie ne rembourse plus qu’à hauteur de 53 % en moyenne les soins courants (hors affection de longue durée et hospitalisation) ; à hauteur de 4 % l’optique et les prothèses dentaires… Les assurances privées (mutuelles ou compagnies d’assurance) se taillent de plus en plus la part du lion dans le domaine de la santé. Elles n’attendent qu’une chose : la fin du monopole de la Sécurité sociale.

La majorité de gauche à l’Assemblée nationale ne doit pas mettre le doigt dans cet engrenage !

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