GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

Le pouvoir des banques

Nous reproduisons, avec l’autorisation de son auteur, un article de Gustave Massiah paru sur le site du Collectif pour l’abolition de la dette du tiers-monde (CADTM). Gustave Massiah, qui est membre du Conseil scientifique d’ATTAC France et membre fondateur du CEDETIM/IPAM et de l’AITEC/IPAM (Association internationale des techniciens, experts et chercheurs) commente le livre d’Éric Toussaint, Bancocratie.

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Avec Bancocratie(1), Éric Toussaint nous offre un beau livre, un livre de combat construit avec ce mélange de fougue et de patience, d’entêtement et d’ouverture nécessaires pour les combats de longue durée. C’est un livre qui s’appuie sur une histoire collective, celle du CADTM qui a su lier les mobilisations et l’élaboration, la résistance et les propositions. Le livre comble un vide. Il explore les banques comme un des rouages principaux du pouvoir financier. Ce sont les banques qui concrétisent et qui représentent ce pouvoir. Ce livre ne cherche pas à développer une approche théorique des banques, même si cette approche est présente et d’autant que Éric Toussaint l’a abondement développée par ailleurs. Son objectif est d’abord pédagogique et militant. Il propose une analyse spectrale d’un acteur déterminant, les banques, en cherchant à relier leurs modes de fonctionnement, leur boîte noire, avec leur rôle effectif.

Le krach de 2007 - 2008

Le livre inscrit son analyse dans l’histoire longue des dettes et des banques. Il s’attache surtout à comprendre la période que nous vivons en mettant l’accent sur la crise économique de 2007 – 2008. Il souligne l’explosion des dettes privées, depuis les années 90, et le détonateur de l’éclatement de la bulle spéculative immobilière, celle des subprimes. Il montre la continuité avec l’explosion des dettes publiques qui en résultent.

Sans remonter à la longue histoire des krachs boursiers, il s’attache à la dernière phase de la mondialisation capitaliste, au néolibéralisme. Il rappelle la faible croissance des années 80, le krach boursier de 87, la bulle spéculative sur les nouvelles technologies et l’informatique, la crise des sociétés de courtage de l’énergie, et notamment d’ENRON, l’éclatement de cette bulle en 2000, la relance par les bas taux d’intérêt et l’explosion des subprimes. La spéculation renouvelée multiplie par six les dettes des sociétés financières.

La déréglementation et la financiarisation

Le livre montre l’impact de la déréglementation bancaire à partir de la fin des années 90. Déréglementation obtenue par une lutte obstinée des actionnaires des banques privées. La banque dite universelle regroupe les banques de dépôt et les banques d’affaires. Elle fait exploser les profits à travers la spéculation. Il n’y a plus de lien entre dépôts et crédits. Les banques orientent leurs activités vers les marchés de capitaux, et inventent la titrisation, les produits financiers structurés et le trading. Le livre explique très simplement et pédagogiquement l’évolution des bilans bancaires, et du passifdes bilans avec les dépôts des clients, les capitaux propres, le financement interbancaire, le financement du marché, les activités sur les marchés des capitaux. Dans le passif des bilans des banques, les dépôts des clients passent de 73% du passif en 1980 à 26% en 2011 ; les crédits de 84% à 29% ; les titres et activités interbancaires, de 10% à 54%.

La déréglementation est une des caractéristiques majeures de la financiarisation. Les dividendes des actionnaires sont la variable de décision. Les dettes n’ont plus de contrepartie dans la production. Les capitaux fictifs viennent de la spéculation sur les taux de change, les dettes, les matières premières, les produits dérivés. La déréglementation est lancée dès 1971 avec la fin de la convertibilité du dollar en or ; en 1979 avec la fin du contrôle des capitaux, et la libéralisation des marchés des changes, des obligations et des actions. Le rôle des États s’affaiblit, les prélèvements fiscaux sur les capitaux diminuent.

La répartition du capital mondial est éclairante. L’unité c’est le millier de milliards de dollars. Les 50 grandes banques en possèdent 66 ; les fonds de pension 33 ; les compagnies d’assurance 25 ; les fonds de placement mutualistes 26, les fonds souverains 5,2 ; les hedges funds, 2,5. Alors que les exportations ont été multipliées par 11, les marchés des changes ont été multipliés par 60.

Les outils bancaires

Le livre recense et explique simplement les outils bancaires qui ont accompagné cette expansion. Il définit et présente notamment le hors bilan, les sociétés financières, les paradis fiscaux, l’effet levier, l’endettement, le shadow banking. Tout ce qui permet d’obtenir une rentabilité supérieure au taux d’intérêt. La rationalité est mesurée par le ROE, le « Return On Equity » qui mesure le rendement maximum sur fonds propres très supérieur au rendement sur le total des actifs. Les profits sur les fonds propres, c’est-à-dire sur les apports effectifs des actionnaires, sont sans commune mesure avec le rendement sur l’ensemble des capitaux mobilisés et contrôlés par les actionnaires.

La spéculation sous toutes ses formes conduit à l’envolée des échanges. En fait, plus de 95% des échanges assurés par les banques sont de type spéculatif. De nouveaux outils viennent accroître les risques. Notamment le trading à haute fréquence et le short selling. Les produits structurés qui servent à enfouir les « prêts pourris » dans des ensembles moins reconnaissables, sont des bombes à retardement. La spéculation porte en 2008 sur les prix alimentaires, le prix du pétrole, la manipulation du marché des devises.

Les banques dans leurs affaires

L’impunité des banques est théorisée par l’idée largement diffusée qu’elles sont trop grandes pour être condamnées. D’autant que les banques sont des puissances considérables et que plusieurs grandes banques ont des actifs supérieurs au PIB de certains pays.

Le livre rappelle alors plusieurs affaires effarantes qui minent la confiance dans les États de droit. La crise des subprimes révèle les abus dans le secteur hypothécaire et les expulsions illégales de logements. De 2010 à 2013, les banques américaines payent 86 milliards de dollars d’amendes ; mais, les familles n’ont pas retrouvé leur logement et les banques affichent… 21% de plus de bénéfices.

De même, HSBC est compromise dans des accusations de blanchiment de la drogue. DEXIA, a ruiné des municipalités en France en leur vendant des prêts toxiques et, en violation du droit international, finance les colonies israéliennes.

Les évasions et les fraudes fiscales de l’UBS n’empêchent pas les poursuites des lanceurs d’alerte. Parmi les autres affaires épinglées, on retrouve BNP Paribas ; Deutsche Bank ; Royal Bank of Scotland ; Crédit Suisse ; Bank of America ; Goldman Sachs ; JP Morgan. N’oublions pas la manipulation du LIBOR, le taux d’intérêt de référence par un groupe de grandes banques.

Les autorités de contrôle

L’effondrement bancaire se produit en 2008 ; les pertes sont supérieures au capital. Pour éviter les faillites, les banques bénéficient de la recapitalisation par les États et de la dissimulation des pertes. Les États creusent ainsi leurs déficits et s’engagent dans la crise des dettes publiques et accentuent le cycle infernal des politiques d’austérité. Ce sont les dettes privées et non les dettes publiques qui sont à l’origine de la crise et qui menacent la stabilité bancaire. La crise prolongée des banques privées ne vient pas des dettes souveraines.

Les autorités de contrôle ne peuvent se désintéresser de la régulation du système bancaire malgré leur référence continue à la supériorité de l’autorégulation des marchés. Le Comité de Bâle est composé des banquiers centraux du G20 et de la Banque des Règlements Internationaux (BRI). Dans les réunions de Bâle 2 (en 2004 - 2005) et de Bâle 3 (2010 - 2011), les autorités de contrôle cherchent à réduire les risques en tentant de rapprocher les fonds propres des actifs. Mais, ils acceptent la proposition des banques de pondération des risques et de calculs des actifs en fonction du risque. Cette mesure est largement fictive puisque le risque est défini par les banques et les agences de notation, à la fois juges et parties.

Les autorités de contrôle, FED (Federal Reserve Bank) et BCE (Banque Centrale Européenne), n’ont pas exigé la réduction des bilans des banques, contrairement à leurs affirmations. Elles ont, au contraire, augmenté les liquidités pour acheter des titres de la dette publique et ont aussi recyclé des actifs toxiques.

Loin de les contrôler, les autorités de contrôle ont ouvert un crédit illimité aux banques. La FED depuis 2007 et 2008 prête sans limites au taux effectif de 0,25% et même en dessous. La BCE depuis 2010 a prêté 1000 milliards d’euros aux banques y compris à des prêts à taux négatif.

Cette politique bancaire et monétaire correspond à la politique économique et sociale dominante en Europe. Les politiques d’austérité comportent le chômage et la précarisation, les sacrifices imposés aux salariés, la remise en cause des compromis sociaux et la destruction des États sociaux. A tel point que même le FMI paraît critique par rapport aux politiques d’austérité tout en continuant à les promouvoir. Il est surtout inquiet de la montée des contradictions. Le maintien des taux très bas et la croissance des liquidités aboutiront à des nouvelles bulles spéculatives. La réduction des liquidités entraînera des faillites bancaires. L’augmentation du coût de la dette et le déficit des États rencontrent des limites.

En attendant, l’hypertrophie financière accentue le poids des banques. Les actifs circulent de plus en plus vite, les capitaux contrôlés croissent sans limites par rapport à la production. Les banquiers impavides n’entendent pas renoncer à leurs rémunérations et à leurs privilèges. Les rémunérations des PDG des 7 grandes banques US, atteignaient en 1989, cent fois le revenu médian. En 2007, ils ont atteint 500 fois le revenu médian.

Les alternatives

Comprendre la finance dans ses murs permet de mesurer l’ampleur de ces défis.

Partout dans le monde, les révoltes massives ont montré l’exaspération des peuples par rapport aux responsabilités de la crise. La remise en cause de l’oligarchie met en avant le refus de la corruption. Il s’agit du refus de la corruption politique ; de la fusion entre la classe politique et la classe financière. La subordination du politique au financier annule l’autonomie du politique et explique la défiance populaire envers les politiques qui est lourde de tous les dangers.

Éric Toussaint conclut son livre par une série impressionnante de propositions alternatives. Il propose 19 mesures immédiates pour instaurer une nouvelle discipline bancaire combinées à des mesures plus radicales dans différents domaine (la dette, la fiscalité, les services publics, les retraites, le temps de travail, l’Europe,…) pour une sortie de crise favorable aux couches populaires. Et il rappelle que les solutions sont connues, mais qu’il ne s’agit pas de questions techniques. Tout dépend de la capacité de mener les luttes populaires à l’échelle des défis considérables que rencontrent les sociétés. Il s’agit de la survie de ces sociétés.

En savoir plus :

  • le site du Collectif pour l’abolition de la dette du tiers-monde (CADTM)
  • page dédiée au livre Bancocratie sur le site du CADTM.

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  • (1): Bancocratie, par Éric Toussaint, 455 pages. Éditeur : ADEN. 24 € (retour)

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