GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

La vérité sur la croissance

Nous publions ici une tribune de Frédéric Lutaud, membre du Bureau national du PS au titre de la motion 4.

Les mythes ont la vie dure surtout quand ils sont entretenus dans l’imaginaire collectif par des théories économiques qui reposent sur des postulats scientifiques erronés.

« La croissance crée l’emploi… il faut d’abord créer les conditions de la croissance avant de redistribuer les richesses… la croissance est le moteur de l’économie… seul le retour de la croissance nous sortira de la crise… »… Nous entendons cela toute l’année repris en boucle par les médias et à ce stade de l’évidence partagée, il ne serait même plus question de s’interroger sur la fiabilité de ces allégations. Seulement, ce récit contesté par l’ensemble de la communauté scientifique et par de nombreux courants politiques, n’est pas étranger à la défense de certains intérêts. Avec de tels présupposés, les puissances de l’argent sont bien gardées, souvent avec la caution de leurs pires détracteurs. Il faut avouer que la manipulation ne manque pas d’habileté.

Qu’en est-il vraiment de la croissance ?

La croissance décline depuis les années 1970, c’est un fait (graphique ci-dessous). Le taux de croissance est passé de 5,6% de moyenne dans les années 1960 à 0,8% de moyenne dans les années 2000. Ces chiffres ont de quoi affoler tous les pronostics et alimentent le fameux refrain sur le déclin de l’économie française.

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Mais comparer les 0,8% aux 5,6% relève d’un raccourci un peu sommaire, car ces pourcentages ne sont pas calculés sur les mêmes volumes de richesses produites. Depuis les années 1950, la création de richesses a été multipliée par 10. Autrement dit, elle a augmenté de 1000 % tandis que la population augmentait « seulement » de 23 %. Alors, que représentent réellement les 0,8 % actuels par rapport aux 5,6 % des Trente glorieuses ?

En y regardant de plus prêt, nous nous apercevons que nous produisons un surplus de richesses a peu près constant depuis un demi-siècle (graphique ci-dessous).

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Malgré ses oscillations, notre production de richesses nationales a augmenté en moyenne de 25 milliards chaque année. Les 0,8 % des années 2000 sont donc à peu près équivalents aux 5,6 % des années 1960.

Maintenant, si nous rapportons ce volume de richesse à la population française nous observons aussi une production constante de richesses supplémentaires par personne, la production évoluant au rythme de la population. Le surplus du PIB par an et par personne s’élève en moyenne à 500 € depuis les années 1960 (graphique ci-dessous).

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Évidemment, les 500 € ne tombent pas directement dans notre la poche. D’abord, tout le monde n’est pas en âge de toucher un revenu. Et puis, il y a les impôts et les cotisations sociales. Mais surtout, nous observons une aggravation du déséquilibre dans l’éventail des salaires. L’écart entre un patron et son employé au salaire de base était de 1 pour 40 dans les années 1960. Il est passé de nos jours à 1 pour 400. Dans certaines grandes entreprises, un patron gagne donc 400 fois plus que son salarié et cela ne fait que s’accentuer avec une augmentation de 8,5 % en 2013 pour une augmentation de 2,5 % pour le salaire de base absorbée par l’inflation (graphique ci-dessous). Les salaires de base ont donc encore stagné comme en témoigne une étude de l’Insee en octobre 2013. La rémunération patronale n’est qu’un point de référence, la concentration de richesses s’effectue sur l’ensemble du personnel de direction, un déséquilibre qui n’apparaît pas dans notre comptabilité nationale, la part salariale étant calculée sur un montant global.

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Regardons maintenant ce qu’il en est de la part des salaires en comparaison à celle du capital. Depuis 1982, au déséquilibre dans les rémunérations s’ajoute une chute de la part des salaires dans la valeur ajoutée au profit du capital. Même si l’on peut admettre que la part des salaires était trop haute à cette époque, il n’en reste pas moins que celle-ci s’est effondrée tandis que les dividendes versés aux actionnaires se sont envolés (graphique ci-dessous). La richesse des 500 premières fortunes professionnelles de l'Hexagone a été multipliée par quatre en 10 ans et a fait un bond de 25 % en 2012 et 15 % en 2013. Ceci en pleine crise économique et tandis que le chômage de masse bat des records. La croissance n’est pas perdue pour tout le monde.

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Le chômage nous amène à considérer un autre aspect de la croissance tout aussi troublant. Nous produisons 10 fois plus de richesses que dans les années 1960 mais nous le faisons avec des gains de productivité qui ont permis environ une baisse de 10 % d’heures travaillées (graphique ci-dessous).

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Ce sont ces gains de productivité considérables qui alimentent les dividendes des actionnaires alors que la part des salaires plafonne désespérément dans sa répartition avec le capital (après avoir chuté de 10 points à partir de 1982, elle se stabilise à 69 % au milieu des années 1990, soit tout de même deux points au-dessous de sa valeur de 1970).

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Aussi devons-nous conclure que :

1° La croissance ne crée pas de travail, elle en supprime (environ 10 % de travail en moins depuis 1950) grâce aux gains de productivité qui l’accompagnent. Un salarié est aujourd’hui en moyenne 5 fois plus productif que dans les années 1960.

2° La richesse supplémentaire produite chaque année est restée stable depuis les années 1960, donc il n’y a aucune raison que la croissance se mette soudainement à augmenter alors que l’équipement des ménages est saturé depuis — justement — les années 1960.

3° La croissance ne témoigne pas d’un enrichissement collectif car la valeur ajoutée est captée par les actionnaires et la direction des grandes entreprises.

Si la croissance est sans effet sur la justice sociale, elle est aussi suicidaire en pleine crise écologique. En 1972, nous étions en dessous de la capacité maximum de la Terre à supporter nos activités, à 85 % environ. Aujourd’hui, nous sommes à 150 %. La croissance continuelle de la production matérielle nous pousse de plus en plus au bord du précipice écologique. Chaque année, l'humanité consomme l'équivalent d'une planète et demie pour subvenir à ses besoins. Le Club de Rome, célèbre pour son rapport sur les limites de la croissance en 1976, pronostique en 2012 que si l’humanité continue à consommer plus que la nature ne peut produire, un effondrement économique se traduisant pas une baisse massive de la population se produira aux alentours de 2030. Ceux qui caressent l’espoir d’une « croissance durable » doivent comprendre que l’utilisation des ressources par l’humanité ne cesse d’augmenter. Cela implique que l’efficacité productive permettant d’économiser le capital naturel s’améliore au rythme de la croissance économique. Mais encore, que notre efficacité technologique soit multipliée par 10 pour atteindre la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 50 % ou 85 % d’ici 2050. Et nous ne voyons actuellement aucun signe d’une telle évolution, ni d’une percée technologique majeure.

Moralité, il faut :

1° Partager la richesse produite :

  • Sous forme de diminution du temps de travail afin de répartir équitablement l’activité économique sur la population active.
  • Sous forme d’augmentations de salaire afin d’améliorer les bas revenus.
  • 2° Produire mieux et autrement

  • Améliorer l’efficacité productive et la qualité des biens de consommation avec le souci d’une production orientée vers la satisfaction des besoins sociaux afin de produire moins, sans gaspillage et de préserver les ressources naturelles. Nous avons moins besoin de renouer avec de forts taux de croissance qui ne correspondent à aucune réalité économique que d’engager notre appareil productif vers un modèle de développement durable à destination du bien-être collectif.
  • Bref, la croissance n’est pas la solution car celle-ci est devenue le problème.

    Alors pourquoi le gouvernement et la direction nationale du Parti socialiste s’obstinent-ils à répéter « croissance, compétitivité, emploi » comme la recette miracle qui nous sortira de la crise, comme si les mêmes causes ne produisaient pas les mêmes effets ?

    Frédéric Lutaud, 2014.

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