GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Tourner la page de la rigueur : pour une vraie politique d'investissements

Chères et chers camarades,

Le même jour, Jean-Marc Ayrault a annoncé une prochaine réforme fiscale globale...tout en confirmant la poursuite des économies, sur le même rythme d'au moins 15 milliards d'euros par an. La concertation évoquée ayant de fait débuté, j'y contribue par ce propos.

J'entends bien les engagements de "remise à plat" de la fiscalité pris par le premier ministre – et il faut se réjouir que la porte s’entrouvre de nouveau, nous étions si nombreux à le demander - mais le rétrécissement du périmètre de l'Etat et de la puissance publique par des économies continuera, je crois, de nous fragiliser. Autrement dit la réforme fiscale devra d’une part reposer sur ses deux pattes - la solidarité par la contribution de tous (dès le premier euro chacun doit être concerné), la justice par la progressivité (et notamment la fusion de la CSG avec l'impôt sur le revenu) – mais aussi répondre à un enjeu majeur : l'affectation des ressources fiscales. Autrement dit, le plus important : quelle politique ?

Dès son élection, François Hollande avait présenté le plan de marche suivant : deux années de « redressement des comptes publics » (entendez par là : deux ans de rigueur) puis une nouvelle marche de trois ans vers le progrès. Sur le fond, mes désaccords sur cette stratégie sont connues, mais cette orientation avait au moins le mérite d’être inscrite dans le mandat donné que François Hollande avait demandé aux Français en 2012. C’est d’ailleurs dans cette perspective que la majorité parlementaire avait accepté le budget rigoureux de 2013, par solidarité et non par conviction pour certains d’entre nous. Tout cela devait au demeurant être assorti d’une offensive politique pour réorienter l’Europe, offensive qui a fait long feu avec l’acceptation du Traité de Stabilité, à peine compensée par le Pacte dit de Croissance (cette question européenne n’est pas neutre, j’y reviendrai).

2+3, donc, telle était l'épure. Mais l’annonce dans les Echos le 7 novembre puis dans le Monde le 16 novembre par le ministre du budget – et désormais confirmée par le Premier Ministre - de la poursuite de la baisse des dépenses publiques jusqu’à la fin du quinquennat signe le renoncement à ce plan de marche. On est passé en quelques minutes - et une fois de plus sans aucun débat démocratique - de 2+3 à 5+0. Après l’oxymore du socialisme de l’offre, qui se traduit par une baisse de fait de l’impôt sur les sociétés et 20 milliards € de crédits d’impôts à toutes les entreprises, voilà donc qu’on nous annonce une cure quinquennale. Les besoins gigantesques économiques, sociaux et environnementaux - au-delà de l'école globalement préservée - devront encore attendre. Or, ils ne le pourront pas beaucoup plus longtemps.

L'obsession de la rigueur pose un grave problème politique.

J'ai déjà eu l'occasion de dire mes arguments contre les choix budgétaires du gouvernement. Je les ai d'abord, et toujours, posés devant mes camarades avant de les poser dans le débat public et sans jamais mettre en cause autre chose qu'une incohérence politique(1).

Sur le plan économique, cette stratégie n’est pas la bonne. La résignation à l’orthodoxie budgétaire – même coordonnée dans tous les pays d’Europe - n’a aucune chance de faire un jour le bonheur de nos sociétés, ni même celui de leurs chômeurs. Cette ligne de conduite pourrait à la rigueur (sans jeu de mot) avoir un tant soit peu de sens si l’UE et surtout les Etats de la zone euro intervenaient simultanément pour relancer l’économie européenne par un plan d’investissement massif (en assumant donc collectivement une part d'endettement). Les Etats Unis et le Japon ne font d’ailleurs pas autre chose... Mais dans les circonstances actuelles - avec un budget européen en baisse(2), une consommation des ménages en recul, et un chômage qui persiste, voire progresse, avec les conséquences que l’on sait pour des millions de foyers ... - poursuivre la baisse des dépenses publiques est insoutenable. Ses effets concrets dans la vie des français seront ravageurs. L'Etat paraîtra nu et la République sera encore plus fragilisée. Car en France, l'un est consubstantiel à l'autre.

La politique budgétaire doit correspondre à des choix de société.

Si le cadre de la politique économique que nous menons nous est imposé, si la marge de manœuvre politique consiste uniquement à sélectionner les dépenses dans lesquelles on coupe, alors nous abandonnons la promesse de progrès social partagé. Les tensions de plus en plus fortes en France, et dans toute l’Europe, montrent que cette politique n’est pas démocratiquement soutenable : elle tourne le dos aux besoins fondamentaux de nos citoyens et de notre vie commune.

Les défis de notre temps sont nombreux et concernent la puissance publique au premier chef : la préparation des industries de demain, l’innovation, la recherche, la stratégie de la France dans la perspective d’un monde multipolaire, la production d’énergie non polluante, les infrastructures de transports, le renouvellement de la filière agro- alimentaire, le stockage le partage et la circulation de données, la diminution massive des émissions de CO2 etc. Les difficultés économiques que nous traversons ne doivent pas nous en détourner mais les rendent d’autant plus pressants. Mais ce serait un aussi un contresens d’opposer à ces investissements innovants le financement de nos services publics et de notre protection sociale : la santé à l’heure du vieillissement, la prise en charge de la dépendance, l’organisation du traitement et de la distribution d’eau, l’éducation au plus haut niveau, les besoins de mobilités, de police et de justice avec des personnels en nombre suffisant et formés. Malgré leur caractère toujours perfectible, toutes ces politiques publiques sont un facteur puissant d’égalité pour les français et d’attractivité de la France.

Réduire les déficits ou investir dans le monde demain, il faut choisir.

S’entêter dans la réduction des déficits n’est pas seulement se tromper de voie mais c’est aussi travailler activement à une crise politique et démocratique de plus en plus profonde. Une crise morale même tant c'est la parole politique qui sombre dans sa propre dévaluation : comment en effet convaincre de sa capacité à domestiquer nos problèmes quand, à peine une grande idée énoncée, vous vous excusez de ne pouvoir la mettre en œuvre parce que vous avez vous-mêmes choisi de vous amputer des moyens nécessaires ? A force de discours velléitaire, la parole publique risque passe pour imposture...

Contrairement à ce que dit la doxa de ces dernières années, la soutenabilité de ces indispensables investissements d'avenir (transition énergétique, modernisation de nos universités, développement de nos centres de sciences et de recherches, transports ferroviaires, nouveaux quartiers urbains, accès au haut débit, culture, préservation de nos côtes maritimes et renouvellement de nos forêts, préservation des espèces vivantes, aide au développement etc. etc.) ne pose pas de difficulté économique particulière : comme à chaque période de reconstruction, après les grands conflits ou les grandes crises, seule une intervention publique massive est à même de construire de nouvelles solidarités et d’amorcer un flux d’investissements privés dans l’économie de demain. C'est d'ailleurs aussi avec ces capitaux privés qu'une partie de la solution sera trouvée. Pardon de briser un tabou mais une entreprise, un pays ou un continent qui ne s’endette plus du tout tourne le dos à son avenir. Dans tous ces domaines, les moyens publics, au niveau de l’UE prioritairement, mais aussi au niveau des Etats doivent être mis au service de l’exploration de ces nouvelles frontières qui dessineront les contours de la société de demain. Cela signifie donc un choix : l'essentiel de nos ressources fiscales ne doit pas être mis dans la réduction du déficit ou dans le désendettement comme l'eau arrose le sable mais servir à l'investissement, à notre avenir.

Une nouvelle bataille pour l'Europe.

Il est temps je crois d'en appeler au pragmatisme. La poursuite irréaliste de la castration budgétaire tourne le dos au progrès social et à l’ordre public sans même offrir de résultat économique probant. A ce jour, seule la finance – cette ennemie – est renforcée. Les résultats boursiers et les bénéfices nets des actionnaires des grands groupes le montrent.

Pour ma part, je reste convaincu qu'au-delà des questions de personnes et des choix de Premier Ministre, François Hollande doit emprunter un autre chemin(3). J’entends au moins, par ces mots, que l’on retourne à l’esprit du Bourget, ciment commun de la majorité de gauche, qui doit servir de boussole et non de boîte à archive. Car la politique économique qui est conduite est en réalité une politique de centre droit. C'est même celle qu'à grosso modo préconisée le Modem ces dernières années.

Le chemin d'un arrêt de la rigueur, et - pourquoi pas ! - d’un endettement public à hauteur de nos besoins, soutenu par les épargnes nationales, lutterait plus efficacement contre le chômage tout en préparant l’avenir. Cette stratégie exige une renégociation des politiques de l’UE et des Etats, un recentrage clair sur la zone euro et une redéfinition du calcul des dettes et des déficits pour en exclure les dépenses d'investissement. C'est parce qu’elle consacrait la logique punitive que j'avais refusé de participer en avril dernier au simulacre sur la trajectoire budgétaire(4) que nous avait demandée la commission européenne. François Hollande depuis son élection ne porte-il pas lui-même le mandat de militer fermement pour une autre Europe ? Une détermination à taper du poing sur la table européenne pourra s’appuyer sans aucun doute sur une forte légitimité démocratique et populaire. Les libertés prises pendant la crise avec les traités ont largement ouvert la voie en matière de politique monétaire. Il est désormais temps de rendre aux européens le levier d’une véritable politique budgétaire. Il faudra bien, aussi, définir une cohérence : car on ne peut pas invoquer d’un côté le juste échange qui fut le mot d’ordre du parti socialiste depuis 2008 pour lui substituer, sans une once de débat, la perspective d’un traité de... libre-échange avec les États-Unis. Bref on ne peut pas dire une chose et faire exactement l’inverse, surtout si c’est pour accentuer le mal qui ronge notre vieux continent. Personne n'imagine de se réveiller demain matin avec une nouvelle Europe progressiste, mais chacun attend qu'on en prenne le chemin en commençant par des discours et une stratégie résolus, en particulier du Président de la République. Dans les semaines qui viennent, nous saurons si c'est la voie qui nous unira tous de nouveau...

La France peut voir loin. Plus loin que le triste horizon d’un dogme budgétaire castrateur, supposé faciliter une com-pé-ti-ti-vi-té dont personne ne voit aujourd'hui ce qu'elle dit d'autre sur notre avenir que la violence économique et le désarroi social. Si l'urgent est bien de redoter notre pays d'un appareil productif centré sur les vrais besoins de notre économie et de notre société, alors il faudra sans doute s'y prendre autrement. Les prochaines étapes budgétaires devront cette fois être l'occasion de changer de logique.

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(1): 1 Au mois de septembre dans les colonnes du Monde (http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2013/09/24/budget-de-l-etat-une-politique-qui-ne-s-adresse-pas-aux-classes-populaires- moyennes_3483521_823448.html ou http://www.pouriaamirshahi.fr/2013/09/24/porter-une-politique-de-gauche-interview-accordee-au-monde/ ou encore récemment au bureau national du Parti Socialiste http://www.pouriaamirshahi.fr/2013/10/31/investir-dans-le-monde-demain-ou-reduire-les-deficits-il-faut-choisir/ (retour)

(2): Deuxième renoncement européen du quinquennat, non que cette baisse ait été voulue par le gouvernement français mais qu'elle ait été acceptée sans broncher (retour)

(3): Le 21 octobre sur Mediapart : http://www.pouriaamirshahi.fr/2013/10/21/hollande-doit-changer-de-chemin/ (retour)

(4): http://www.pouriaamirshahi.fr/2013/04/23/programme-de-stabilite-un-vote-absurde/ (retour)

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