GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

La Gauche radicale en Europe

Introduction

D’où vient la gauche radicale ? Pour comprendre ce qui réunit les formations de cette nouvelle gauche et la nature de sa « radicalité », il faut partir des années qui ont suivi la chute du Mur de Berlin. A partir de la désintégration du bloc soviétique à la fin des années 80, des partis communistes (PC) ont choisi de préserver l’identité communiste (le KKE grec, le PCP portugais ou le PRC en Italie). D’autres, au contraire, ont renié la matrice communiste, en engageant un processus de reformation idéologique et politique (le PS néerlandais ou le PCI italien).

De manière générale, les PC européens ont évolué dans trois directions :

  • Ils sont demeurés fidèles à leur identité communiste traditionnelle et ont conservé l’appellation « PC ».
  • Ils sont devenus des partis écologistes de type rouge-vert, réceptifs aux nouvelles thématiques sociétales issus du libéralisme politique (c’est le cas des PC scandinaves).
  • Plus rarement, ils sont devenus des partis sociaux-démocrates (le PCI en Italie, devenu PDS, puis DS). Ces partis ont clairement cessé d’être des partis anticapitalistes. Ils se situent même aujourd’hui au cœur d’une social-démocratie largement néolibéralisée (c’est le cas de l’ex-PCI).
  • Percées et reculs électoraux

    Sur le plan électoral, dans les dix dernières années, rares sont les partis qui ont atteint la barre des 10% à une élection nationale : en Allemagne, au Danemark, en Grèce, aux Pays-Bas, au Portugal et en France (même s'il s'agissait de l’élection présidentielle ; une élection dans laquelle la personnalité du candidate joue un rôle prépondérant).

    Il faut noter le cas exceptionnel de Syriza en Grèce (27% des voix aux élections législatives de juin 2012). D'autres partis qui avaient engrangé de bons résultats il y a quelques années ont depuis dramatiquement décliné. Ainsi, le PRC italien n’a plus de députés depuis 2008.

    Dans les pays scandinaves, la stratégie d'union rouge-verte a permis de reformuler, voire de dépasser l’identité communiste. Cette stratégie s’explique en partie par l’emprise et l’hégémonie de la social-démocratie en Scandinavie. Une évolution vers la social-démocratie n’était donc pas envisageable. Ce sont des partis de type « New Left » qui privilégient un agenda social et sociétal (féminisme, antiracisme, environnement, décroissance). Ces stratégies d'alliance entre les thématiques néocommunistes et environnementales se sont avérées payantes sur le plan électoral. La gauche radicale a obtenu plus de 15% des voix au Danemark, 9% en Finlande et 17% aux Pays-Bas.

    Un autre type de parti est plus récemment apparu : il est issu de scissions d’ailes gauches de la social-démocratie. Citons le cas de Die Linke en Allemagne – 11,9% aux élections fédérales de 2009 - et du Parti de gauche en France. Ces deux formations dirigées par d'ex-sociaux-démocrates (Oskar Lafontaine et Jean-Luc Mélenchon) se sont opposées à la dérive sociale-libérale de type troisième voie de la social-démocratie à partir des années 90.

    Cartel électoral ou nouveau parti ?

    La forme partisane constitue un enjeu important pour les partis de la gauche radicale, car nombre de ces partis sont regroupés dans des cartels électoraux. Cette situation n’est cependant pas toujours définitive. Deux tendances apparaissent : soit des partis autonomes se regroupent dans un cartel électoral; soit ils se fondent dans une structure partisane. C’est le cas d’une large majorité des partis :

    a) Syriza (Grèce) : la naissance officielle de Syriza (Coalition de la gauche radicale) est liée aux élections législatives de 2004. Plusieurs partis ont rejoint cette alliance (13 actuellement) dont Synaspismós est la composante largement majoritaire. C’est de ce parti majoritaire qu’est issu le leader de Syriza, Alexis Tsipras.

    b) Le Bloc de gauche (Bloco de Esquerda, BE, Portugal) a été fondé en 1999. Il se déclare socialiste. Il résulte de la fusion de trois partis, UDP (marxiste maoïste), PSR (trotskiste) et Política XXI qui sont devenus des courants politiques du nouveau parti.

    c) Alliance Rouge et Verte (Danemark) regroupe des socialistes de gauche, le DKP (PC danois) et le SAP (section danoise de la 4e Internationale). C’est à l’origine un cartel électoral.

    d) Die Linke (Allemagne) est née de la fusion en 2007 du Linkspartei (ex-Parti du socialisme démocratique, PDS, ex-SED qui fut le parti officiel de la RDA) et de l'Alternative électorale travail et justice sociale (WASG), une scission du SPD en 2005.

    e) Gauche Unie (Izquierda Unida, GU, Espagne) regroupe le PCE, des groupes de gauche, des Verts, des socialistes de gauche et des républicains. GU est dominée par le PCE. C’est plus qu’un cartel électoral depuis la fusion des partis qui en sont membres, mais ceux-ci constituent d’exister indépendamment de GU. La GU est le plus proche, sur le plan partisan et organisationnel, du Front de Gauche.

    Environnement national et international

    Comment expliquer les fortunes électorales diverses de ces partis ? L’environnement national est ici primordial. Les succès politiques et électoraux des partis de la gauche radicale dépendent davantage de facteurs endogènes (nationaux) qu’exogènes (internationaux).

    a) Le cas Syriza. La gauche radicale grecque avait obtenu 3,3 % aux élections législatives de 2004 et avait fait élire 6 députés. Aux élections de juin 2012, Syriza a recueilli 27% des voix et fait élire 71 députés. La percée fulgurante de Syriza s’explique par trois facteurs corrélés : primo, dans un contexte de crise économique et sociale sans précédent, les Grecs ont sanctionné le PASOK, parti lié au mémorandum. La chute du PASOK est un événement aussi important que serait l’effondrement du PS en France dépassé par le Front de gauche. Secondo, le succès de Syriza est intervenu dans le contexte de quatre années de plans d’austérité imposés par la troïka. Il s’agit donc d’une situation exceptionnelle qui est incomparable avec tout autre pays européen. Tertio, la campagne de Syriza a été unitaire de bout en bout, et Syriza a su proposer des débouchés radicaux, clairs et réalistes au peuple grec (abrogation du mémorandum et la renégociation de la dette publique grecque dans le cadre européen).

    b) La campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon pour le Front de gauche. Mélenchon a recueilli 11,1% des voix, mais dans le contexte particulier de l’élection du président de la république sous la 5e république aux effets plébiscitaires. La Front de gauche devra démontrer lors de futures élections nationales et locales que son assise électorale se situe au-dessus de 10%.

    c) Percée, puis tassement du PS néerlandais dans les sondages. Pendant la campagne électorale de 2012, le PS a longtemps été placé en tête, puis en deuxième position dans les sondages derrière le VVD, parti néolibéral, et devant les sociaux-démocrates du PvDA. Le PS n’a terminé qu’en quatrième position (9,8% des voix). C’est son opposition aux politiques d’austérité qui a expliqué sa percée au début de la campagne, mais aussi une position eurosceptique assumée. Le PS se déclare en effet pour la « coopération » européenne, mais contre l’« intégration » européenne.

    Le rapport à la gauche sociale-démocrate

    Autre question épineuse à résoudre pour la gauche radicale : faut-il s’allier nationalement ou localement avec la social-démocratie ou faut-il au contraire refuser toute alliance avec elle ? Les positions varient sur ce sujet. Dans les situations nationales où la social-démocratie a manifestement échoué et a mené au pouvoir des politiques aussi nocives que la droite, une alliance nationale ou locale n’est pas à l’ordre du jour (Grèce, Espagne, Portugal, Italie, Pays-Bas, Scandinavie). Inversement, dans les pays où la social-démocratie demeure hégémonique auprès d’un électorat populaire, il est plus compliqué de s’opposer a priori à toute forme d’alliance avec celle-ci (France et Allemagne). Dans ces situations difficiles, les partis composent et tergiversent, selon les circonstances et les aléas politiques du moment.

    Die Linke participe actuellement à une coalition régionale dans le Brandebourg avec les sociaux-démocrates et les Verts. Elle a également longtemps été le partenaire de coalition du SPD à Berlin, avant que le tandem formé par les deux partis ne perde la majorité, entraînant la formation d'une grande coalition (SPD-CDU).

    En France, des partis membres du Front de gauche gèrent des municipalités, forment des majorités régionales avec le PS ou ont gouverné avec lui (le PCF notamment).

    Conclusion

    La gauche radicale, en ascension dans de nombreux pays européens, ne profite que partiellement du déclin d'une social-démocratie pourtant souvent discréditée (Grèce, Espagne, Allemagne, Italie) ou en passe de l'être (France). Quand la droite est fortement rejetée par les électeurs, le phénomène de « vote utile » favorise la social-démocratie (François Hollande en 2012).

    La gauche radicale est aujourd’hui idéologiquement et politiquement traversée par des courants divers (le communisme, le socialisme, l’écologie et le féminisme). Un anticapitalisme parfois diffus et identitaire les rassemble. Certains partis sont aujourd’hui regroupés au sein de cartels électoraux (Front de gauche), mais la plupart ont fusionné au sein de structures partisanes nouvelles (Die Linke et Syriza prochainement). La plupart sont membres de structures transnationales : le Parti de Gauche européenne et le groupe parlementaire de la Gauche unitaire européenne au Parlement européen.

    La question posée est celle de la transformation de ces partis en forces majeures sur un plan électoral et politique; des forces capables de capter une large part des électorats sociaux-démocrates. Exceptée Syriza aux portes du pouvoir en Grèce, aucune autre formation n'est parvenue à supplanter les partis sociaux-démocrates pourtant largement décrédibilisés.

    Jean-Numa Ducange, Philippe Marlière, Louis Weber (Editions du Croquant, 2013, 124 p, 8 €)

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