Si clair, si obscur...(la plus précieuse des marchandises)
Ces dernières semaines, c’est un film d’animation qui a créé la surprise au box-office en séduisant un large public dans tout le pays, et même au-delà. Il s’agit d’un conte qui parle à toutes et tous, car il donne à voir la part d’humanité tapie même dans les cœurs les plus endurcis.
Michel Hazanavicius nous plonge dans un film d’animation bouleversant qui poursuit un but unique : trouver en chacun la part d’humanité, convaincre de la possibilité de faire le bien dans un monde abject. Adapté du livre de Jean-Claude Grumberg, publié en 2019, La plus précieuse des marchandises est un conte aussi lumineux qu’impitoyable.
Un univers pas si lointain
Rien ne nous est épargné. Ni le désespoir d’un père qui abandonne son enfant dans la neige, ni les corps affamés des camps de concentration, ni la gueule cassée d’un voisin armé, ni les langues délatrices des collègues soupçonneux. Nous sommes en Pologne. Partout, c’est la guerre. L’ennemi est désigné. Ce sont les sans-cœurs. Inhumains, insensibles, nuisibles. Sans-cœurs, donc parasites, donc à éliminer. Dans la forêt, vit un couple, Bûcheron et Bûcheronne. Bûcheron travaille à la scierie, abat des arbres et scie des branches. Bûcheronne alimente le feu du foyer et nourrit son homme. Dans le froid et la privation, ils survivent.
Nous sommes dans un conte. Des lumières éblouissantes, des personnages rugueux. Des voix magistrales pour animer les images : le regretté Jean-Louis Trintignant prête sa voix au narrateur, Dominique Blanc, Grégory Gadebois et Denis Podalydès complétant cette distribution d’exception. Les dessins sont magnifiques et le propos saisissant. À quelle moment une femme fait le choix de tendre la main à un nourrisson mis sur son chemin ? Et comment l’impose-t-elle à un mari et à une vie débordante de manques ? Car on mange peu, on parle peu et on aime peu.
Quand la haine vacille
Pire ! L’enfant est de cette race-là, un sans-cœur. À force de patience, l’homme découvrira qu’il a un cœur. Si les sans-cœurs ont un cœur, alors le monde s’écroule. Le monde patiemment tissé par les racistes, les xénophobes, les ignorants, les anti-autres, les intolérants, les antisémites s’écroule. Il explose et, face à lui, la bonté, le bonheur et la solidarité. Une femme et des hommes qui sont bons dans un océan d’ignominie.
Parce que, dans les contes et dans la vie, on a toujours la possibilité d’être la meilleure version de soi-même. On a toujours, face à soi, un point de bascule à repérer et un seul mot à prononcer : non. S’opposer à la barbarie, d’un mot, d’un regard, d’un geste. Nous sommes dans un conte et il finira bien. C’est cela qui nous porte, nous donne le courage d’affronter la rudesse de la vie de nos personnages, la méchanceté des uns, l’indifférence des autres. C’est cela qui nous encourage à regarder l’effroyable réalité des camps d’extermination, suggérés puis visités par le truchement d’un oiseau qui nous offre ses ailes et une vue décuplée du monde.
Au bout du conte
Michel Hazanavicius a déclaré : « Je n’ai pas fait un film sur la Shoah ». C’est vrai, il a fait un film sur la vie, la mort, la filiation et les liens qui nous unissent. Il a tissé une famille à un bébé qui devait mourir, montrant en image à quel point il faut un village pour élever un enfant. Il a fait reposer sur les épaules frêles d’un nourrisson affamé la capacité de chacun et chacune à ne jamais rien céder aux faiseurs de cruauté.
Les sans-cœurs sont ceux-ci, ceux qui, par bêtise ou calcul, ouvrent le chemin aux monstres et aux brutes. Et que ce conte immaculé de blanc cotonneux, recueillant un enfant souriant dans le confort d’un lange ouaté, vient enfouir au plus profond de la terre pour ne révéler qu’une seule beauté : la chaîne de l’humanité.
Cet article de notre camarade Marlène Collineau est à retrouver dans le n°320 de démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).
La plus précieuse des marchandises, de Michel Hazanavicius, d’après un conte de Jean-Luc Grumberg, France/Belgique, 2024.