GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Écologie

Retour sur l'échec de la COP 26

Jamais une COP n’a suscité une telle déception que celle de Glasgow. C’est un tour de force, car la maison n’en est plus seulement à brûler. Elle part littéralement en fumée et ses habitants en ont pris conscience, au point qu’ils commencent à se mobiliser collectivement pour stopper l’embrasement. Mais, en bon pompier-pyromane, le capitalisme est bien décidé à profiter jusqu’au bout du spectacle.

Au grand dam d’Alok Sharma, le président de la COP 26, qui suppliait tout au long de sa tenue les parties de tout mettre en œuvre pour « garder en vie le 1,5 °C », aucune limite véritablement contraignante du réchauffement climatique global n’a pu être fixée à Glasgow en raison de la définition, par nombre d’États, d’objectifs de réduction de GES moins ambitieux que ceux proclamés en 2015, au moment de la COP 21. Tout un symbole ! Le symbole d’un renoncement décomplexé.

Toute honte bue

Selon le quotidien numérique Reporterre, le groupe de recherche Climate Action Tracker (CAT) a annoncé en marge du sommet de Glasgow que, « même si les contributions nationales déterminées (CND) pour 2030 étaient véritablement tenues, le monde se dirigerait vers un réchauffement à + 2,4 °C d’ici la fin du siècle ». Au dire du politologue Stefan Aykut, enseignant à l’université Paris-Est, « cette COP 26 a échoué à combler le manque d’ambition des CND ». Le chercheur d’ajouter : « Elle n’aura pas permis de produire autre chose que des annonces perpétuelles, dont beaucoup ne sont pas transmises dans les CND et sont du recyclage d’annonces passées ». Il y a donc un fossé béant entre les déclarations solennelles des dirigeants et les plans climat réellement adoptés dans les alcôves. Et le vide est comblé par des chiffres lancés à l’envi par des technocrates sans que leur périmètre soit précisément délimité. Toute ressemblance entre cette attitude générale et la politique des gouvernements français successifs serait naturellement purement fortuite…

Pour ce qui est de la lutte contre le primat des énergies fossiles, qui a pu être présentée comme une victoire partielle des thèses écologistes à Glasgow, laissons la parole à Nicolas Haeringer, qui a fait un sort, pour Reporterre, à ce genre de chimères. Selon l’animateur en France de l’ONG 350.org, « l’accord mentionne seulement une suppression progressive du charbon “non compensé à la source”, et c’est une brèche dans laquelle vont pouvoir s’engouffrer les États malveillants. C’est un vrai recul, le texte n’est pas assez contraignant ». La déception des activistes est d’autant plus forte que, le mercredi 10 novembre, le brouillon d’un accord qui mentionnait explicitement la perspective de la fin des énergies fossiles – une première pour un texte de l’ONU – avait fuité. Mais, à la dernière minute, alors que tout le monde semblait d’accord sur le texte, l’Inde et la Chine ont obtenu que le terme « disparition progressive » soit remplacé par « diminution progressive ». On le sait, le diable se niche toujours dans les détails…

On a déjà mentionné, dans l’introduction de ce dossier, l’immense dépit exprimé par les pays les plus vulnérables, qui se sont vu opposer une fin de non-recevoir par les pays les plus riches, pourtant largement responsables du dérèglement climatique qui les touche de plein fouet. Il faut insister sur ce point car l’adaptation constitue le parent pauvre de la « lutte » internationale contre le changement climatique. Quel insigne honneur ! Les efforts consentis pour atténuer les effets du réchauffement – dont on a pourtant vu qu’ils étaient loin d’être à la hauteur des enjeux – représentent en effet plus de 2/3 des fonds climat. Seuls 25 % de ces dépenses déjà indigentes vont à l’adaptation. Aucun chiffrage précis n’est mentionné en la matière dans le texte final de la COP 26, qui se contente d’engager les parties à doubler les fonds alloués à l’adaptation des pays en première ligne aux conséquences du changement climatique. Cet « effort », même s’il était consenti par les États, demeurerait bien sûr largement insuffisant.

Deux marchés, deux tendances

On n’a pas encore fait le tour du fiasco de Glasgow quand on a évoqué ces trois dossiers centraux. Car les discussions de la COP 26 ont été dans les faits dominées par deux sujets transversaux qui dénotent l’ampleur du marché de dupes auquel se prêtent les États.

Le premier thème surplombant correspond au marché carbone. Il consiste, pour un pays n’arrivant pas à remplir ses engagements en termes de réduction d’émissions de GES, dans l’achat des réductions générées par un autre pays ou une entreprise, afin de compenser son mauvais bilan. Le fonctionnement de ce mécanisme, instauré par l’article 6 du texte final de la COP 21 de Paris, a été précisé. Si des avancées ont pu être signalées par des observateurs avertis, reste que cette institutionnalisation définitive des marchés carbone va certainement susciter un appel d’air du côté des États et des firmes transnationales décidés à recourir, moyennant finances, à de véritables permis de polluer. Selon Myrto Tilianaki, responsable climat au CCFD-Terre Solidaire, « avec l’adoption de cet article 6, les États entérinent la remise en cause de l’intégrité de l’Accord de Paris en faisant des marchés et de la compensation carbone un levier de leur action. La compensation carbone détourne de l’effort prioritaire de réduction d’émissions et met en péril l’objectif de 1,5 °C. Ce n’est pas un hasard si les principaux pollueurs ont multiplié les annonces de neutralité carbone et fait la promotion des marchés carbone pendant la COP 26 : cela permet de continuer leur business as usual prédateur pour le climat, la biodiversité et les droits humains ».

La seconde « tendance » de cette COP « hiver 2021 », extrêmement proche de la question des marchés carbone, c’est le thème du « zéro émission nette ». Selon les Amis de la Terre, « c’est LE mot à la mode cette année à la COP. Il est dans toutes les bouches ». Ce slogan qui fleure bon la rhétorique des publicitaires signifie que des émissions de GES peuvent être compensées par des suppressions d’émissions. Le mécanisme de ce type le plus connu reste les opérations du type « Planter un arbre » . Sous ce vocable, Air France propose à ses clients, lors de leur achat d’un billet d’avion, afin de se délester à peu de frais de leur culpabilité (ce que l’on appelle en anglais le Flight Shame), « de contribuer à un projet de reforestation et de développement humain en France et dans le monde ». Parmi les nombreuses critiques formulées par les associations à l’encontre du « zéro émission nette », la plus décisive reste que l’émission que l’on s’efforce de contrer a lieu actuellement, alors que les actions permettant de créer ou de renforcer les « puits de GES » évoqués dans l’Accord de Paris, si elles sont menées à bien, verront leurs premiers résultats en ce sens dans plusieurs dizaines d’années. On sait pourtant que les prochaines années seront décisives…

Laissons, pour conclure sur ce point, la parole aux Amis de la Terre : ce type de mécanisme permet « aux multinationales de continuer à polluer tranquillement tout en mettant en place de fausses solutions pour le climat. Il s’agit d’un écran de fumée : les pollueurs orientent et verdissent leurs discours et ont ainsi trouvé une échappatoire à l’Accord de Paris ». Les capitalistes sont décidément plein de ressources quand il s’agit de courir au secours de leurs taux de profit menacés. Dommage qu’ils n’agissent pas si promptement quand il s’agit de sauver la planète !

Le poids des lobbies

Difficile de ne pas mentionner, pour comprendre la bérézina écossaise, le poids écrasant des lobbies carbonés et des États-rentiers. L’influence gigantesque, mais invisible, de ces forces capitalistiques contraste cruellement avec l’impuissance d’une opinion publique pourtant mobilisée dans les différents pays et sur place (une manifestation a rassemblé plus de 100 000 personnes – dont de nombreux jeunes – à Glasgow, le 6 novembre) à peser sur les débats de la Conférence.

L’ONG Global Witness, en s’appuyant sur la liste des participants, a pu établir que plus de 500 d’entre eux représentaient les intérêts des énergies fossiles, soit une « délégation » dont les effectifs dépassent ceux de toutes les autres réellement existantes. Toujours selon Global Witness, le nombre de lobbyistes des énergies fossiles était même supérieur au total des délégations des huit pays les plus touchés par le changement climatique au cours des deux dernières décennies. C’est aberrant, mais telle est la réalité du monde capitaliste actuel.

Sachant cela, on ne peut que souscrire au coup de gueule lancé par Nicolas Haeringer à l’issue de la COP 26. Pour le porte-parole de 350.org France, « il faut vraiment interdire d’accès aux COP les lobbies de l’industrie fossile. Les peuples à l’intérieur, les pollueurs dehors ! Pour l’instant, c’est l’inverse qui se passe et ça a des effets désastreux » !

Financement privé ou public ?

Naturellement, il y a privé et privé. À ce titre, il est intéressant de remarquer que, selon un cahier spécial d’Alternatives économiques, « l’électricité verte séduit les entreprises », preuve qu’elles ne sont pas toutes à la remorque des grandes firmes pétrolières. Selon l’hebdomadaire, « plus de 300 grandes entreprises mondiales font désormais partie de l’initiative RE100, qui regroupe des sociétés s’engageant à n’utiliser que des énergies renouvelables pour leurs activités ». Le solaire et l’éolien auraient donc la cote, notamment auprès des GAFA qui semblent être très friands d’électricité renouvelable. Il convient également de noter que les majors auraient fait le choix d’accélérer leur transition écologique interne. Toujours selon Alternatives économiques, les dépenses pour des projets d’énergie renouvelable des cinq principales majors (Exxon, Chevron, Shell, BP et Total) devraient en effet « atteindre 243 milliards de dollars en 2021 […], contre 311 milliards pour les projets pétroliers et gaziers. Jamais ces deux chiffres n’ont été aussi proches ».

Cette tendance à premier vue positive doit être être toutefois discutée pour deux raisons. Il convient tout d’abord de signaler que ces investissements « verts » en hausse des majors n’impliquent en rien une baisse des fonds alloués aux énergies fossiles. Bien au contraire, ce sont en règle générale « les revenus générés par ces activités dans le secteur fossile qui permettent aux majors de se diversifier dans d’autres secteurs ». Les majors ne détiennent par ailleurs qu’une faible partie des réserves mondiales de pétrole. Plus de deux tiers de ces dernières sont la propriété de compagnies nationales appartenant à des États « dont le budget dépend largement de la rente pétrolière ». On voit mal ces pays rentiers, par ailleurs fort peu soumis à la pression de leur opinion publique nationale, financer activement la sortie du tout-pétrole et de la dépendance aux hydrocarbures !

Seule la puissance publique peut et doit financer la transition énergétique à même d’en finir avec la dépendance aux énergies fossiles, mais aussi au nucléaire. Un récent article du Monde note toutefois que la France de Macron est en la matière loin du compte. Ainsi, selon Audrey Tonnelier, les investissements pour le climat, « en hausse de 10 % en 2020, ne permettent pas d’atteindre les objectifs de la transition écologique ». Commentant ces résultats, le think thank Institute for Climate Economics (I4CE), spécialisé dans l’économie de la transition écologique et fondé par la Caisse des dépôts et l’Agence française de développement (AFD), a plaidé pour une véritable « stratégie climat des finances publiques », en appelant notamment par avance le prochain gouvernement à se doter d’un « budget climat ». Entre un Plan de relance orienté sur l’écologie, mais qui tombe à échéances dans quelques mois, et une stratégie France 2030 dont les questions d’énergie, de transport et de logement sont significativement absentes, la Macronie – au-delà des postures et des discours – n’a décidément pas pris la mesure de l’effort à fournir. Et si la gauche unie proposait d’instaurer ce fameux budget climat ? Ne serait-ce pas un moyen pour réorienter le débat public hexagonal sur les questions qui importent réellement ?

Cet article de notre camarade Jean-François Claudon est à retrouver dans le numéro 290 (décembre 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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