GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Libertés

Répression (#1) : la tentation de la fuite en avant

Un pouvoir suspendu en l’air, qui met en œuvre une politique impopulaire ne peut pas sévir longtemps sans susciter de résistances significatives. Chirac l’a appris à ses dépens en 2003... Mais ce qui distingue le macronisme de tous les pouvoirs réactionnaires antérieurs, c’est sa propension à criminaliser la moindre opposition. Nombre de chercheurs et d’observateurs considèrent même que l’État de droit est sur la sellette dans la « Patrie des Droits de l’Homme ».

Nous répétons souvent, dans les colonnes de D&S, que Macron, c’est Thatcher. C’est vrai, mais incomplet. Il va en effet plus loin que la « Dame de fer » sur un point : il ne se contente pas de dire qu’« il n’y a pas d’alternative ». Il va jusqu’à prétendre que sa politique, en plus d’être nécessaire, est souhaitable. Celui qui ose résister à l’instauration de la start-up nation – seule façon d’intégrer positivement notre vieux pays dans la mondialisation libérale – n’est dès lors plus un opposant politique. C’est un criminel de droit commun, voire un traître à la Nation, qui doit être châtié comme il se doit. C’est pour cette raison que la surdité totale du pouvoir en place face à la colère qui monte dans le pays a pour corollaire un recours à la violence d’État inédit dans l’histoire.

Un palier à palier

Des mains arrachées, des yeux à jamais perdus, des visages défigurés, des jeunes gens qui devront vivre toute leur existence avec des graves séquelles... Les blessures graves se multiplient depuis l’acte I de la mobilisation des Gilets jaunes. Deux symboles se détachent particulièrement de ce paysage déjà macabre : Zineb Redouane, une octogénaire touchée par une bombe lacrymogène dans son appartement marseillais le 1er décembre dernier et décédée le lendemain à l’hôpital, ainsi que Geneviève Legay, une responsable d’Attac de 73 ans violemment frappée au niveau du crâne à Nice, le 23 mars, par les forces de l’ordre.

Selon le sociologue Jérémie Gauthier, spécialiste des questions relatives au maintien de l’ordre et à la police, « on peut estimer à bon droit qu’au cours de ce mouvement, un palier a été franchi dans l’usage de la force par la police ».

Réactions en chaîne

Des réactions d’instances officielles ont commencé à se faire entendre. Le Défenseur des droits a, à plusieurs reprises, alerté le gouvernement sur le comportement de la police. Il a lancé des enquêtes, notamment sur les jeunes lycéens de Mantes-la-Jolie, et s’inquiète dans son rapport annuel, rendu le 12 mars, d’un « affaiblissement des droits et libertés fondamentales » et d’un « renforcement de la répression ». Il pointe à juste titre l’utilisation des LBD et des grenades GLI-F4, sur laquelle nous reviendrons dans les pages de ce dossier.

Des instances européennes ont également réagi, puisque le Conseil de l’Europe a condamné, dans son rapport du 26 février 2019, l’utilisation du LBD qui a causé les blessures les plus graves et s’inquiète de la répression judiciaire à l’œuvre. Même l’ONU, par la voix de Michelle Bachelet, Haut-commissaire aux Droits de l’Homme, a réclamé une enquête sur l’usage excessif de la force. Cette requête s’ajoute à une longue liste d’interpellations. La prise de position de l’ancienne Présidente du Chili vient en effet « relayer une demande qui a déjà été faite par plusieurs rapporteurs spéciaux à la France d’enquêtes approfondies sur les violences policières. [...] Cette persistance d’interrogations de la part de la communauté internationale devrait faire réfléchir la France », estime notamment Michel Forst, un des rapporteurs spéciaux de l’ONU. Et, pendant ce temps-là, le ministre de l’Intérieur sort en boîte de nuit !

Sentiment d’impunité

Un constat s’impose : celui du sentiment d’impunité d’une partie des agents du maintien de l’ordre. Il est largement fondé. En effet, au dire de Jérémie Gauthier, si les policiers constituent « un corps de fonctionnaires fréquemment sanctionné, les faits sanctionnés concernent avant tout des atteintes à l’institution : des policiers qui s’en prennent à d’autres policiers, qui ne respectent pas la hiérarchie [...], ou qui sont mêlés à des affaires de corruption. Les faits de violence commis à l’égard d’individus sont en revanche très peu sanctionnés ».

Cette situation s’explique aisément. La gestion du mouvement des Gilets jaunes étant de fait sous-traitée aux forces de l’ordre, en raison du refus des pouvoirs publics d’apporter une solution politique à la crise, un déséquilibre apparaît entre l’État et « sa » police en faveur de cette dernière. Face à la montée du mécontentement policier – inévitable vu la mobilisation permanente que l’on exige des fonctionnaires de police –, le pouvoir est donc tenté, en contrepartie des intenses efforts demandés à ces derniers, de contenir à un niveau anormalement faible les sanctions prises à l’encontre des agents violents.

Cet article de notre camarade Jean-François Claudon a été publié dans le dossier "Scandaleuse répression" du numéro 264 (avril 2019à) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




La revue papier

Les Vidéos

En voir plus…