Répression (#1) : la tentation de la fuite en avant
19/05/2019 |
Un pouvoir suspendu en l’air, qui met en œuvre une politique impopulaire ne peut pas sévir longtemps sans susciter de résistances significatives. Chirac l’a appris à ses dépens en 2003... Mais ce qui distingue le macronisme de tous les pouvoirs réactionnaires antérieurs, c’est sa propension à criminaliser la moindre opposition. Nombre de chercheurs et d’observateurs considèrent même que l’État de droit est sur la sellette dans la « Patrie des Droits de l’Homme ».
Nous répétons souvent, dans les colonnes de D&S, que Macron, c’est Thatcher. C’est vrai, mais incomplet. Il va en effet plus loin que la « Dame de fer » sur un point : il ne se contente pas de dire qu’« il n’y a pas d’alternative ». Il va jusqu’à prétendre que sa politique, en plus d’être nécessaire, est souhaitable. Celui qui ose résister à l’instauration de la start-up nation – seule façon d’intégrer positivement notre vieux pays dans la mondialisation libérale – n’est dès lors plus un opposant politique. C’est un criminel de droit commun, voire un traître à la Nation, qui doit être châtié comme il se doit. C’est pour cette raison que la surdité totale du pouvoir en place face à la colère qui monte dans le pays a pour corollaire un recours à la violence d’État inédit dans l’histoire.
Un palier à palier
Des mains arrachées, des yeux à jamais perdus, des visages défigurés, des jeunes gens qui devront vivre toute leur existence avec des graves séquelles... Les blessures graves se multiplient depuis l’acte I de la mobilisation des Gilets jaunes. Deux symboles se détachent particulièrement de ce paysage déjà macabre : Zineb Redouane, une octogénaire touchée par une bombe lacrymogène dans son appartement marseillais le 1er décembre dernier et décédée le lendemain à l’hôpital, ainsi que Geneviève Legay, une responsable d’Attac de 73 ans violemment frappée au niveau du crâne à Nice, le 23 mars, par les forces de l’ordre.
Selon le sociologue Jérémie Gauthier, spécialiste des questions relatives au maintien de l’ordre et à la police, « on peut estimer à bon droit qu’au cours de ce mouvement, un palier a été franchi dans l’usage de la force par la police ».
Réactions en chaîne
Des réactions d’instances officielles ont commencé à se faire entendre. Le Défenseur des droits a, à plusieurs reprises, alerté le gouvernement sur le comportement de la police. Il a lancé des enquêtes, notamment sur les jeunes lycéens de Mantes-la-Jolie, et s’inquiète dans son rapport annuel, rendu le 12 mars, d’un « affaiblissement des droits et libertés fondamentales » et d’un « renforcement de la répression ». Il pointe à juste titre l’utilisation des LBD et des grenades GLI-F4, sur laquelle nous reviendrons dans les pages de ce dossier.
Des instances européennes ont également réagi, puisque le Conseil de l’Europe a condamné, dans son rapport du 26 février 2019, l’utilisation du LBD qui a causé les blessures les plus graves et s’inquiète de la répression judiciaire à l’œuvre. Même l’ONU, par la voix de Michelle Bachelet, Haut-commissaire aux Droits de l’Homme, a réclamé une enquête sur l’usage excessif de la force. Cette requête s’ajoute à une longue liste d’interpellations. La prise de position de l’ancienne Présidente du Chili vient en effet « relayer une demande qui a déjà été faite par plusieurs rapporteurs spéciaux à la France d’enquêtes approfondies sur les violences policières. [...] Cette persistance d’interrogations de la part de la communauté internationale devrait faire réfléchir la France », estime notamment Michel Forst, un des rapporteurs spéciaux de l’ONU. Et, pendant ce temps-là, le ministre de l’Intérieur sort en boîte de nuit !
Sentiment d’impunité
Un constat s’impose : celui du sentiment d’impunité d’une partie des agents du maintien de l’ordre. Il est largement fondé. En effet, au dire de Jérémie Gauthier, si les policiers constituent « un corps de fonctionnaires fréquemment sanctionné, les faits sanctionnés concernent avant tout des atteintes à l’institution : des policiers qui s’en prennent à d’autres policiers, qui ne respectent pas la hiérarchie [...], ou qui sont mêlés à des affaires de corruption. Les faits de violence commis à l’égard d’individus sont en revanche très peu sanctionnés ».
Cette situation s’explique aisément. La gestion du mouvement des Gilets jaunes étant de fait sous-traitée aux forces de l’ordre, en raison du refus des pouvoirs publics d’apporter une solution politique à la crise, un déséquilibre apparaît entre l’État et « sa » police en faveur de cette dernière. Face à la montée du mécontentement policier – inévitable vu la mobilisation permanente que l’on exige des fonctionnaires de police –, le pouvoir est donc tenté, en contrepartie des intenses efforts demandés à ces derniers, de contenir à un niveau anormalement faible les sanctions prises à l’encontre des agents violents.
Cet article de notre camarade Jean-François Claudon a été publié dans le dossier "Scandaleuse répression" du numéro 264 (avril 2019à) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).