Victoire du PSOE et progression des indépendantistes
Avec la victoire du PSOE, l’effondrement du Parti populaire et la progression significative des indépendantistes catalans (22 députés au lieu de 15), les élections législatives du 28 avril ont renouvelé le paysage politique espagnol. La crise des institutions issues du franquisme s’en trouve renforcée. Les élections du 26 mai, européennes, mais surtout régionales et municipales compléteront le tableau. Nous reviendrons sur ces scrutins dans le prochain numéro de D&S.
En pourcentage, le rapport de force gauche-droite s’inverse, mais n’est pas bouleversé. Le bloc de gauche (PSOE et Unidas/Podemos) totalise 43 % des voix, contre 43,5 en 2016. La droite morcelée en trois perd, elle, 3 % : 42,8 % au lieu de 46,1. Les partis « régionalistes » autonomistes ou indépendantistes passent, eux, de 7 % à plus de 10, et de 24 députés à 38.
En sièges, la victoire est plus nette, puisque la gauche passe de 149 à 165 députés. Mais, avec ce score, elle n’atteint pas la majorité absolue (176 sur 350). La mise en place d’un gouvernement dirigé par le PSOE dépend du soutien – ou de l’abstention – des élus indépendantistes catalans (22) et/ou des autonomistes basques (10).
Évolutions et reclassements
Le PSOE obtient 123 députés (au lieu de 84) ; Podemos 42 (au lieu de 65). Sans retrouver ses scores d’avant la crise de 2008 et le mouvement des Indignés, le PSOE, avec 28,68 % des voix, devance très largement Unidas/Podemos (14,31 %).
Podemos a perdu l’image de la nouveauté. Les méthodes autocratiques du couple Iglesias/Montero ; les divisions stratégiques qui ont vu le départ du n°2 Errejon, celui des secteurs plus sensibles aux droits des nationalités, celui du secteur « Anticapitalistas » à Madrid ; un recentrage sur les questions institutionnelles au détriment des mobilisations citoyennes, sans oublier la concurrence du PSOE sur les questions sociales : tout cela a fait perdre à la coalition Unidas/Podemos 7 % (soit 1 500 000 voix) en trois ans.
Un vote d’adhésion
De nombreux commentateurs expliquent la large victoire du PSOE par le « vote utile » contre la montée des néofascistes de Vox. Si cela a pu avoir une influence, le vote pour le PSOE s’explique en grande partie par les choix sociaux assumés par le gouvernement Sánchez depuis juin 2018.
Contrairement aux partis sociaux-démocrates européens qui adoptent un langage de gauche quand ils sont dans l’opposition et reviennent à une politique libérale voire de droite quand ils reviennent au pouvoir, le gouvernement Sánchez, depuis sa mise en place en Juin 2018, a mis en œuvre une politique favorable aux salariés, aux immigrés, aux femmes.
La mesure emblématique reste l’augmentation du Smic de 22 %, le faisant passer le 1er janvier dernier de 740 à 900 euros, payé sur quatorze mois. Mais on peut aussi noter les mesures en faveur des droits des femmes, l’allongement du congé paternité de 5 à 8 semaines, l’accueil des migrants de l’Aquarius... Il a aussi rétabli l’accès au système de santé publique pour les sans-papiers.
Bouleversement à droite
Le Parti populaire s’effondre. En trois ans, il a perdu la moitié de ses voix et de ses députés. Son espace politique se trouve réduit à la démocratie chrétienne, puisque Ciudadanos a occupé, à sa création, l’espace centriste ultralibéral, et que l’aile traditionaliste aux accents nostalgiques du franquisme se tourne désormais vers Vox. Pour la première fois, plus de 40 ans après la fin de la dictature, avec 24 députés et 10 % des voix, l’extrême droite entre au parlement sous la forme d’un parti indépendant des autres formations de droite.
Jusqu’à présent, la mouvance néo-franquiste, catholique, chauvine, raciste, hostile aux droits des femmes était bien représentée au parlement et dans la vie politique espagnole au travers de secteurs entiers du Parti populaire. « Parler avec Vox n’est pour moi qu’un voyage au sein du PP d’il y a quelques années », a fort justement déclaré Pablo Casado, le chef du PP. La nouveauté est que cette mouvance se présente aujourd’hui sous ses propres couleurs.
Ciudadanos (C’s) de Albert Rivera, avec 15,86 % des voix et 57 députés, talonne le PP (16,7 % et 66 députés). Mais, dans une campagne électorale hystérisée par l’irruption de Vox, on a assisté à une droitisation de C’s., qui n’est plus perçue comme un parti au centre de l’échiquier, mais comme faisant partie intégrante du bloc des droites, comme en témoigne l’accord PP-C’s-Vox conclu en janvier 2019 en Andalousie et l’organisation commune de la manifestation anti-catalane le 10 février à Madrid. Aujourd’hui, l’objectif de Rivera de prendre le leadership de la droite est à sa portée ; les élections locales de fin mai devraient y contribuer.
Quel gouvernement ?
Plusieurs hypothèses sont envisagées par les commentateurs.
*Un gouvernement des trois droites (PP, C’s, Vox) est exclu. Il n’y a pas de majorité à l’Assemblée pour cela : disposant de 147 sièges, les trois formations ne pourraient compter au maximum que sur le renfort de 4 ou 5 députés régionalistes, loin des 176 députés nécessaires.
*Un gouvernement d’alliance PSOE/Ciudadanos ? Le patronat espagnol, relayé par les principaux médias, milite pour cette alliance qui, avec 180 députés, aurait une majorité absolue. Cette perspective semble peu probable tant elle apparaît en totale contradiction avec la dynamique de la campagne électorale. La victoire du 28 avril s’est nourrie de la politique sociale menée depuis juin par le gouvernement Sánchez et renforcée par le programme défendu par le PSOE. D’autre part, Ciudadanos et Rivera ont fait campagne pour barrer la route au PSOE et à la gauche.
*Un gouvernement PSOE/Unidas Podemos ? C’est ce que propose Pablo Iglesias. Mais le PSOE peut préférer gouverner seul avec des soutiens divers à l’Assemblée. Le soutien de Podemos lui est acquis. Celui des autonomistes basques (10 députés) et nationalistes catalans (22 députés) reste à obtenir. Le contentieux est réel : dans la crise de 2018 (référendum sur l’indépendance catalane), le PSOE a soutenu le gouvernement PP dans sa répression du mouvement catalan, contre le droit à l’autodétermination. Il a condamné la tenue du référendum, et a voté l’article 155 suspendant le Parlement élu de Catalogne en laissant le gouvernement emprisonner les dirigeants indépendantistes.
*Des négociations entre le PSOE et les indépendantistes ? Le député Gabriel Rufián de l’Esquera Republicana de Catalunya (ERC) a demandé à Pedro Sánchez de faire une proposition. « Nous ne donnerons pas de chèque en blanc », a-t-il d’ailleurs prévenu le 29 avril. « La question n’est pas de savoir ce que l’ERC fera avec le PSOE, mais ce que le PSOE fera avec la Catalogne », a expliqué le nouvel élu. L’ERC a posé comme condition à un accord la tenue d’une table de concertation réunissant tous les protagonistes. Une table de concertation, sans lignes rouges, où « on parlerait », entre autres, du référendum et de la question du droit à l’autodétermination. Pedro Sánchez qui est opposé à l’indépendance se dit ouvert au dialogue et partisan d’un nouveau statut d’autonomie. Et il a évoqué la semaine dernière un référendum sur un nouveau statut de la Catalogne renforçant l’autonomie de la région. Les indépendantistes vont se saisir de l’occasion pour exiger des contreparties importantes à leur soutien. La question de la libération des 12 prisonniers politiques, dont cinq ont été élus députés sera aussi une question cruciale.
Bouleversement du champ politique en Catalogne
Pour la première fois depuis la victoire de Franco en 1938, une organisation indépendantiste – qui plus est de gauche –, la Gauche républicaine catalane (l’ERC), y est la première force électorale, avec 25 % des suffrages. En 2016, Podemos était en tête avec 24,53 % (14,89 aujourd’hui). La poussée indépendantiste fait passer leur nombre de députés aux Cortes de 15 à 22.
Dans le camp indépendantiste, la gauche (l’ERC) l’emporte largement sur le centre-droit de Puigdemont (Junts per Catalunia) qui jusque-là dominait. Chez les unionistes, c’est le PSC (le PSOE catalan) qui reprend une position dominante, laminant Ciudadanos, la formation qui soutient la candidature de Manuel Valls aux municipales de Barcelone – avec le bonheur que l’on sait. Ce parti prétendument « centriste » et « progressiste » a radicalisé ses discours anti-indépendantistes depuis 2017, défendant violemment un point de vue espagnoliste chauvin, et assumant son alliance andalouse avec le Parti populaire et les néo-franquistes de Vox.
Reclassements dans le camp indépendantiste
Les scores de 2019 sont sans appel : 24,5 % pour l’ERC, contre 12,5 pour Junts per Catalunya. Cela sanctionne sans doute les désaccords entre les deux principales forces indépendantistes depuis 18 mois. Pour le quotidien El Pais, cette réussite de l’ERC tient à leur « appel au dialogue lancé pendant la campagne », tandis qu’Ensemble pour la Catalogne « n’a pas réussi à séduire les nouveaux électeurs avec un discours qui a parfois semblé contradictoire ».
Le 1er octobre 2017, les deux formations indépendantistes organisaient de concert le référendum (interdit par Madrid) d’autodétermination. Sur les 42 % de votants, neuf sur dix se prononcèrent pour l’indépendance. Le 27, Puigdemont proclamait la République catalane à la Généralité et dans le même discours suspendait cette indépendance.
Devant la répression du gouvernement Rajoy, ce drôle de président s’enfuit à Bruxelles avec son entourage alors que les autres dirigeants (Oriol Junqueras, président de l’ERC, et onze autres dirigeants) sont emprisonnés. Puigdemont et les siens sont apparus comme des individus velléitaires ne proposant aucune stratégie sérieuse pour l’indépendance. Ils se contentent de tenir un discours radical se limitant à des effets de manche.
À l’inverse, l’ERC cherche à bâtir une stratégie solide permettant à la République catalane indépendante de voir le jour le plus rapidement possible.
Raisons d’un succès
Tenant compte du fait que la volonté d’indépendance n’a jamais été vraiment majoritaire (48 % dans les sondages), Oriol Junqueras, président de l’ERC, l’avait expliqué : « On a déclenché le processus d’indépendance trop tôt, sans avoir atteint une majorité sociale nette ».
Ce constat explique la stratégie des indépendantistes de gauche : renoncer à un affrontement stérile avec Madrid, comme celui qui met en scène Puigdemont depuis Bruxelles, pour reprendre en main le gouvernement régional et construire patiemment le rapport de force :
* Engranger des succès démocratiques ;
* Élargir la base indépendantiste en insistant sur la conception inclusive de son nationalisme ;
* Élargir dans le reste de l’Espagne la légitimité, l’acceptation du droit à l’indépendance ainsi que la nécessité de la République.
Cette stratégie dynamique ne renie rien. La défense d’Oriol Junqueras, lors du procès que fait actuellement l’État central aux douze dirigeants catalans emprisonnés depuis 18 mois, est exemplaire et sans concession : il assume le référendum du 17 octobre et la perspective de la République catalane indépendante.
Cet article de notre camarade Pierre Timsit, écrit le 5 mai, est à retrouver dans le numéro de mai-juin de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).