GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Pour sauver Maïdan, il faut en finir avec la sale guerre de Poutine !

Nous reproduisons ci-dessous un article de notre camarade Jean-François Claudon paru dans la revue D&S n°219 de novembre 2014 (et donc écrit en octobre 2014).

Il y a longtemps que les événements ukrainiens ne font plus la une des journaux. Depuis le cessez-le-feu du 5 septembre, pour les grands médias, c'est « circulez, il n'y a rien à voir ». Tout se passe comme si l'enchaînement des événements macabres à l'Est relevait d'une sorte de mécanique de la fatalité. Pourquoi parler de la tragédie de l'Ukraine, puisque, jour après jour, la situation s'y détériore inexorablement ? C'est donc la tâche des militants de faire connaître l'enlisement dans la guerre des oblasts de Louhansk et de Donetsk, que se disputent forces ukrainiennes gouvernementales et milices séparatistes pro-russes, malgré la conclusion du cessez-le-feu par Poutine et Porochenko survenue à Minsk début septembre. Selon Le Monde du 17 octobre, « les combats pour le contrôle des ruines de l’aéroport de Donetsk, un des principaux point de tension entre les deux camps, [fure]nt [...] particulièrement violents ». Déjà, un rapport de l'ONU, publié le 8 octobre, faisait état de 331 morts depuis début septembre dans les oblasts de l'Est. Les enquêteurs onusiens, dont les investigations se sont échelonnées du 18 août au 16 septembre, ont par ailleurs constaté que « des groupes armés continu[ai]ent de terroriser la population dans les zones qu'ils contrôlent en tuant, enlevant, torturant et maltraitant les gens ».

Le piège diabolique de l'ami d'Assad

Malgré l'aveuglement collectif que s'efforce de répandre en Occident une blogosphère prétendument « anti-impérialiste », la Russie est bel et bien intervenue en Ukraine. Il suffit d'ouvrir les yeux pour le voir. Des gamins russes lancent notamment des souscriptions publiques sur le net pour financer l'achat du matériel nécessaire et partir vers Louhansk y combattre les « néo-nazis » de Kiev. Il n'est par ailleurs pas rare dans les rangs de la jeunesse russe que d'honnêtes anti-fascistes, ennemis habituels de Poutine, rejoignent l'Ukraine, convaincus par la propagande du Kremlin que les fascistes y étaient au pouvoir...

La question n'est donc pas de savoir si des unités russes combattent dans les oblasts de l'Est ukrainien, mais bien pourquoi elles y combattent. Il y a, bien sûr, dans l'intervention décidée par Poutine, la réaction classique, face à ses concurrents, de tout impérialisme qui vient de subir un recul momentané. Pour garantir la pérennité de son hold-up en Crimée et de sa mainmise sur la base militaire de Sébastopol, il convient en effet pour la Russie de s'assurer le contrôle des régions de Donetsk et de Louhansk, voire d'Odessa. Certes. Mais, l'essentiel est ailleurs. Si Poutine a été si prompt à intervenir en Ukraine, c'est surtout par crainte du processus révolutionnaire qui, parti de Kiev, pouvait se répandre à Moscou. C'est par peur d'une contagion qui risquait de faire vaciller son propre pouvoir en Russie.

Comme tout phénomène contre-révolutionnaire, le coup de force de Poutine a fini par provoquer ce qu'il était censé prévenir. Ainsi, le 15 mars dernier, 50 000 personnes ont manifesté pendant trois heures, dans le centre de Moscou, contre la sale guerre de Poutine. Les pancartes brandies pour l'occasion fleuraient bon l'internationalisme, puisqu'elles dénonçaient cette « guerre fratricide » qui ne disait pas son nom, et exigeaient que Poutine « dégage d'Ukraine », voir qu'il dégage tout court ! Significativement, sur la banderole de tête était inscrit le slogan « Pour votre et notre liberté », lointain écho du cri lancé par des dissidents russe sur la Place rouge, lors de l'intervention russe contre le printemps de Prague, en 1968. La contre-manifestation de l’Église orthodoxe et de la droite nationaliste n'a, quant à elle, rassemblé que 5 000 personnes. Un des orateurs de cette charmante kermesse dévoila l'angoisse profonde du régime en affirmant, comme pour exorciser cette infamie, qu'il « n'y aura[it] pas de Maïdan à Moscou »

Poutine s'est donc mis à l'école de son ami Bachar. L'exemple syrien l'a convaincu que les conflits inter-ethniques sont susceptibles de mette en péril tout processus révolutionnaire. En Ukraine, l'état de guerre freine les aspirations majoritaires en divisant un peuple qui avait précisément construit son unité sur la lutte contre les oligarques – ukrainiens ou russes – et pour la démocratie. La sale guerre du Kremlin, dans laquelle la droite ukrainienne, qui a confisqué à son profit le mouvement de Maïdan pour mieux l'étouffer, joue le rôle d'allié objectif de Poutine, a tué dans l’œuf le processus révolutionnaire, au moins pour un temps. L'intégralité du processus. Ceux qui niaient toute dimension révolutionnaire à Maïdan et qui annoncent depuis avril un soulèvement des ouvriers du Donbass contre les « fascistes » de Kiev sombrent dans un déni de réalité ahurissant. Ces relais – consentants ou non – de la propagande russe ne savent visiblement pas que la classe ouvrière se cantonne très largement dans une abstention hostile aux nouveaux pouvoirs pro-russes nés du « soulèvement » du printemps dernier. Ce ne sont ni des salariés, ni des jeunes qui ont alors fait irruption sur la scène où se joue leur destinée, comme ce fut le cas sur Maïdan. Ceux qui sortirent du bois en avril, ce furent des groupes armés rejoints par des policiers en fonction (rien à voir avec une scène de fraternisation), par des mafieux sentant le vent tourner, par des Berkouts de Ianoukovitch en quête de reconversion…

Le souffle révolutionnaire perdure fort heureusement en Ukraine, mais pas forcément chez qui l'on croit. Il est entretenu par les salariés ukrainiens qui, d'un côté comme de l'autre du front, luttent et se mettent en grève pour leurs salaires. Les mineurs de Louhansk, en grève fin avril contre l'oligarque Rinat Akhmetov, ancien soutien de Ianoukovitch passé du côté du pouvoir de Kiev, avaient pour seuls alliés lors de leur mobilisation, non les milices pro-russes qui craignent comme la peste l'extension de la mobilisation, mais les employés des chemins de fer de Kiev, qui entraient au même moment en grève pour obtenir une hausse salariale.

La peste brune contre la révolution

L'ennemi principal de la révolution ukrainienne qui survit sous la cendre du conflit inter-ethnique, c'est l'impérialisme russe. Il faut redire cette évidence combattue par ces centaines de blogers abusés, par ces milliers de staliniens irrécupérables et par ces quelques dizaines d'agents patentés du régime poutinien, qui font florès sur la toile. Les impérialismes occidentaux, à commencer par les États-Unis et l'Allemagne, jouent évidemment un rôle non-négligeable dans les coulisses du pouvoir à Kiev. Toutefois, et jusqu'à preuve du contraire, ils n'arment pas des groupes séparatistes. S'ils s'efforcent de dénaturer le processus de Maïdan, ils ne cherchent pas à le détruire purement et simplement.

Pour justifier son immixtion dans les affaires ukrainiennes, le Kremlin, par le biais de son appareil propagandiste international, répète à l'envi depuis des mois que les « néo-nazis » sont au pouvoir à Kiev depuis le « coup d’État » du 22 février 2014. Il faut être clair sur ce point et reconnaître qu'au sein du gouvernement provisoire ukrainien se sont hissés de nombreux éléments suspects surfant sur la vague de Maïdan. Mais que dire des forces séparatistes pro-russes ?

Les activistes des « Républiques populaires » de Donetsk et de Louhansk sont loin d'être les héroïques combattant anti-fascistes dépeints complaisamment par la propagande de Poutine. De nombreux indices prouvent que la plupart d'entre eux sont des militants d'extrême-droite conspuant dans le même mouvement les Juifs, les homosexuels, les immigrés et – évidemment – l'Union européenne qui serait le cadre institutionnel par lequel s'immiscent toutes ces engeances nuisibles. Sur les bannières et les uniformes « populaires » du Donbass « libre » sont brandis sans vergogne des drapeaux russes, l'aigle à deux têtes tsariste, ainsi que des insignes cents-noirs. Il est significatif qu'actuellement, les violences antisémites sont beaucoup plus importantes dans les oblasts prétendument « antifascistes » que dans le reste de l'Ukraine où l'influence de Svoboda et de Pravyi Sector, bien qu'encore forte localement, tend à rétrécir.

Outre les relents extrémistes, les milices financées et organisées par les services russes ont une seconde caractéristique qui les rapproche du fascisme réellement existant : c'est la mise au pas du mouvement ouvrier indépendant. C'est en tout cas ce qu'accrédite un article paru en polonais sur le site du syndicat libre des mineurs silésiens et rapportant des propos de mineurs du Donbass. Ainsi, le 15 mai, selon Mykhaïlo Volynets, président du Syndicat indépendant des mineurs d'Ukraine (NPHU) et de la Confédération ukrainienne des syndicats libres (KVPU), « on a vu arriver [au siège de l'entreprise d’État Donbassanthracite] dix Cosaques russes avec des fusils automatiques ; ils avaient aussi des lance-grenades. Ils sont allés chez le directeur général, lui ont ordonné de quitter le bâtiment et ont déclaré qu'ils prenaient possession des bâtiments ». Voilà comment la propriété théorique du peuple ukrainien devient celle des séparatistes. Comme les pro-russes n'ont ni le moyens, ni l'intention de verser à Donbassanthracite les subventions que consentait l'Ukraine pour compenser la mauvaise qualité du minerai et son prix largement supérieur à celui du charbon russe, cette « nationalisation » ne vise qu'à couler la production locale. Toujours selon Volynets, « les séparatistes essaient d'arrêter le travail des groupes industriels comme Donbassanthracite, de porter un coup à l'économie, et, lorsque les mines s'arrêteront, de faire sortir les mineurs dans la rue ». Pas pour faire grève et pour exprimer leurs revendications, mais pour servir de troupes aux agents russes qui en manquent cruellement. Ce que veulent les miliciens, ce sont des colonnes ouvrières marchant au pas de l'oie pour lutter contre Kiev. Sûrement pas des salariés agissant de façon autonome pour défendre leurs intérêts. La méthode des miliciens, faite de violence et de corruption, démontre, s'il en était besoin, leur attrait naturel pour le mouvement ouvrier indépendant.

Si les convergences politiques entre staliniens et nationalistes sont patentes, il convient de préciser quel est le point de ralliement idéologique des militants d'extrême-droite, des communistes du KPU et des jeunes Russes se ruant sur l'Ukraine comme leurs ancêtres sur l'Espagne républicaine agressée par le fascisme ? Leur haine commune d'une Europe jugée matérialiste, cosmopolite et donc décadente, nous donne la clé de l'énigme. Ce qui soude tous ces amis du Kremlin, c'est l'idéologie eurasienne. Théorisée par Alexandre Daguine, elle postule un antagonisme irréconciliable entre les Slaves, peuples de la terre – « qui ne ment pas », comme on le sait –, et les sociétés anglos-saxonnes, filles de la mer, du protestantisme et du capitalisme. Et malheur aux peuples qui ont l'outrecuidance de résister à cette « vision du monde » si subtile, tels les Tatars de Crimée ou encore les Juifs… Il n'y a décidément dans cette soupe indigeste rien d'universaliste et d'émancipateur ! Il serait temps que la gauche française rompe avec ces salmigondis d'un autre temps et renoue avec l'internationalisme pour dire non à l'agression impérialiste russe et au séparatisme teinté d'eurasisme ! Le mouvement social russe nous a montré la voie en manifestant une nouvelle fois courageusement contre la sale guerre de Poutine, le 21 septembre dernier.

LIBÉREZ KOLTCHENKO !

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Qui est Aleksandr Koltchenko ?

Probablement le militant antifasciste le plus célèbre de Crimée. Se réclamant de l’anarchisme, de l’antifascisme, de la défense de l’environnement et de la défense des droits des travailleurs. Ayant diffusé un film sur l’assassinat de la journaliste indépendante criméenne Anastasia Baburova, à Moscou en 2009, il avait déjà été attaqué au couteau par une bande fasciste.

Lors de l’intervention militaire russe en Crimée répliquant au renversement du président ukrainien Ianoukovtich, Aleksandr Koltchenko a organisé des manifestations pacifiques de protestation contre l’occupation militaire de facto et le référendum truqué, aux côtés de citoyens tatars, ukrainiens, ou russes, notamment le 19 mai dernier à Simféropol.

Dans les jours précédant cette manifestation, une vague d’arrestations [...] s’est abattue sur les organisateurs de la résistance. Dans la nuit du 11 au 12 mai était ainsi enlevé le célèbre cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, qui avait participé aux manifestations sur le Maïdan à Kiev, et le 16 mai c’était le tour d’Alexandr Koltchenko, dans le centre de Simféropol, l’un et l’autre par le FSB (l’ancien Guépéou-NKVD-KGB). [...]

Koltchenko est accusé d’avoir participé à un « groupe terroriste », planifié des explosions prés de la statue de Lénine à Simféropol les 8 et 9 mai, saboté des voies ferrées et des lignes électriques, tenté d’incendier les locaux de l’Unité Russe et de la Communauté russe de Crimée le 14 avril, et ceux de Russie Unie le 18 avril ! [...] Kidnapper le principal antifasciste connu comme tel de Crimée, et tenter de le faire passer pour un incendiaire néo-nazi, voila la tactique grossière du FSB.

Le 11 juin, une déclaration publique de l’avocat de Oleg Sentsov à l’occasion du Festival international du film d’Odessa donnait l’alarme sur la détention arbitraire et les conditions de cette détention dont sont victimes Oleg Sentsov et Alexandr Koltchenko. Tous deux ont été « transférés » à la vieille prison tsariste de Lefortovo, à Moscou. Oleg Sentsov avait été battu pendant plusieurs heures, déshabillé et menacé de viol s’il ne « coopérait » pas. Il est à craindre qu’Alexandr Koltchenko n’ai subi les mêmes traitements, mais aucun aveu n’a pu être annoncé par le FSB.

Aleksandr Koltchenko est un antifasciste que la police politique tente de faire passer pour un fasciste ! Aleksandr Koltchenko est un homme qui se considère comme citoyen ukrainien et que la police politique russe veut juger en tant que russe ! Aleksandr Koltchenko est détenu arbitrairement et accusé de crimes absurdes !

Le 15 octobre dernier, se tenait à Paris une réunion-débat sur la situation en Ukraine, à l’initiative des militants français Vincent Présumey et Olivier Delbeke, avec l’aide du Global Labour Institute, en présence des militants ukrainiens Nina Potarska (Ligue socialiste-Opposition de gauche), Yuriy Bouzdougane et Olena Skomoroshchenko (Parti social-démocrate) et des militants russes Julia Gusseva (Centre Praxis) et Kiril Buketov (syndicaliste indépendant). Le cas d’Alexandr Koltchenko a été exposé aux participants. Il a été décidé d’entrer en campagne pour sa libération. Il y va de l’honneur du mouvement ouvrier et démocratique français qui doit renouer avec ses meilleures traditions.

Faisons de Koltchenko un exemple, un bélier pour Sentsov et tous les autres. Faisons prendre position nos organisations syndicales. L’antifascisme n’est pas un crime ! La nationalité ukrainienne n’est pas un crime ! Solidarité internationaliste !

Extraits du texte issu de la réunion du 15 octobre 2014

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