GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Palestine : suites et poursuite d’un nettoyage ethnique

Cet article de notre ami Philippe Lewandowski est paru dans la revue Démocratie&Socialismen°256 (été 2018). Il a donc été écrit avant l'adoption par la Knesset (le parlement israélien) de la loi sur « l’État-nation du peuple juif ».

Si Ilan Pappe est surtout connu en raison de son livre Le nettoyage ethnique de la Palestine1, cet historien n’en est bien sûr pas resté là. L’ouverture d’archives auparavant fermées au public lui a notamment donné l’occasion d’écrire deux ouvrages2 qui constituent certes des suites au premier volume paru, mais montrent aussi que l’opération dénoncée, tout en prenant des formes et des modalités différentes, n’a en réalité jamais cessé.

Ce constat ne constitue guère une surprise si l’on ne perd pas de vue ce que l’auteur considère comme un principe fondamental des dirigeants réels de l’État israélien : acquérir ou conquérir le maximum de terres avec le minimum de population autochtone, faute de pouvoir entièrement s’en débarrasser – même si certains en rêvent toujours. La politique suivie par rapport aux Palestiniens, que ce soit en deçà ou au-delà de la « ligne verte », est à cet égard particulièrement révélatrice.

Une histoire tronquée

Le livre consacré aux Palestiniens d’Israël est avant tout un rappel : ceux-ci « constituent une part importante du peuple palestinien et de la question palestinienne. Leurs luttes passées, leur situation présente, leurs espoirs et leurs craintes concernant l’avenir sont intimement liés à ceux de la population palestinienne globale. Ils ont joué un rôle marginal à la fois sur les scènes politiques palestinienne et israélienne, mais toute résolution sur l’impasse actuelle doit les prendre en compte » (The forgotten Palestinians, p. 11). Même s’il n’est pas le premier à aborder ce sujet3, Ilan Pappe contribue de manière significative à combler une lacune historiographique.

Discours ou réalités

L’État israélien était censé ne pas mener de politique discriminatoire par rapport aux diverses populations vivant sous son égide – c’est du moins ce que l’on pouvait en attendre étant donné son adhésion formelle aux principes de l’ONU. Ces déclarations se sont d’emblée avérées en contradiction flagrante avec les réalités du terrain : jusqu’en 1967, les Palestiniens d’Israël ont ainsi été soumis à un règlement militaire, différent de la loi commune.

Et si ces dispositions se sont quelque peu allégées par la suite, il n’en demeure pas moins qu’ils sont restés des citoyens moins égaux que les autres ; le diagnostic d’Ilan Pappe est sévère : « L’idéologie et la réalité colonialiste ont produit un État dans lequel l’armée et les services de sécurité ne règnent pas dans des situations exceptionnelles, mais de manière constante. Le modèle militariste mobilise la société juive, mais, en tant qu’État typiquement « Mukhabarat »4, opprime la population palestinienne » (ibid., p. 271-272). La réglementation militaire est directement en vigueur pour les Palestiniens (mais pas les colons) des Territoires occupés.

Propositions conceptuelles

Mais l’auteur s’interroge sur la notion même de « Territoires occupés ». Une occupation, argue-t-il, est par définition temporaire. Mais cette temporalité n’entre pas dans le projet sioniste. Ce dernier jongle avec les mots, et accommode un refus officiel d’une annexion de jure avec la mise en place et le renforcement d’une occupation permanente de facto. Les risques ne se cantonnent-ils pas à des condamnations verbales ?

Le modèle théorique qu’Ilan Pappe trouve plus pertinent pour décrire la situation des Palestiniens vivant dans ces territoires est celui de la prison : « La prison d’aujourd’hui ressemble au Panopticon conçu originellement par Jeremy Bentham. […] Le Panopticon devait permettre aux gardiens de voir leurs prisonniers, mais non l’inverse. […] Si l’on remplace la conduite morale [attendue des prisonniers soumis à cette surveillance invisible] par la collaboration avec l’occupation, et si l’on transforme la structure circulaire du Panopticon en une variété de paramètres géométriques d’emprisonnement, la décision israélienne de 1967 fut d’isoler les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza dans un Panopticon moderne » (The biggest prison on earth, p. 27). Une démonstration brillamment conduite.

Nouveaux paramètres

Les crimes, méfaits et déclarations du gouvernement israélien actuel rendent peut-être obsolètes une partie des présupposés d’Ilan Pappe : foin de la dichotomie discours-réalité, adieu aussi double langage, place à l’arrogance la plus grossière ! Les ministres parlent ouvertement de colonisation et refusent d’envisager toute égalité réelle des droits pour pratiquement la moitié de la population de la totalité des terres qu’ils contrôlent. Les tartufes occidentaux tendent l’autre joue.

Tels qu’ils sont, ces deux livres constituent cependant des documents de références majeurs. Se trouvera-t-il un éditeur pour les mettre à la disposition du public francophone ?

  1. Ilan Pappe, Le nettoyage ethnique de la Palestine, Paris, Fayard, 2008.
  2. Ilan Pappe, The forgotten Palestinians : a history of the Palestinians in Israel, Londres, Yale University Press, 2011 et The biggest prison on earth : a history of the Occupied Territories, Londres, Oneworld Publications, 2017.
  3. Ilan Pappe cite élogieusement Nadim Rouhana, Palestinian citizens in an ethnic Jewish state : identities in conflict (1997) et As’ad Ghanem, The Palestinian-Arab minority in Israel (2001).
  4. Mukhabarat : Services de sécurité et de renseignements. « Politiquement, l’État Mukhabarat n’existe que dans les frontières du monde arabe [...]. Un tel État se caractérise comme un État de mobilisation de masse, géré par une bureaucratie omniprésente et régi par les appareils militaires et sécuritaires. Les variantes du modèle vont des autocraties robustes aux libérales, et la palette est suffisamment large pour inclure Israël » (The biggest prison on earth, p. 270-271).

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