Palestine : honte et sentiment de révolte
Notre ami Philippe Lewandowski rédige pour chaque numéro de la revue mensuelle Démocratie&Socialisme une chronique "Post it Palestine". Celle-ci, publiée dans le numéro 257 (septembre 2018), exprime la honte et le sentiment de révolte que nous procure la situation des Palestiniens l'attitude du gouvernement français sur ce sujet.
Il y a des événements qui ne marquent pas la une des grands médias, qui ne se trouvent pas non plus dans les pages intérieures. Dit autrement, il y a des événements auxquels ce statut ne saurait échoir, qu’on préfère taire, dont on préférerait qu’ils ne soient pas advenus, et si un écho en était tout de même né, qu’on l’oublie au plus tôt : on ne parle pas de ces choses entre gens de bonne compagnie. Ils n’en ont pas moins eu lieu.
La timidité médiatique serait-elle due au souci de ne pas ennuyer les lecteurs avec des histoires rabâchées ? De ne pas insister sur un blocus de douze ans que personne ne peut ignorer ? De traiter par le mépris du silence le donquichottisme apparent des flottilles civiles dénuées de toutes chances de pouvoir atteindre leur port de destination ? Piètre justification.
Rabâchage assumé
Il est vrai qu’on en a assez du blocus de Gaza. Surtout ceux qui le subissent. Imaginez-vous ce que c’est que de rester douze ans sur un territoire de 360 km² peuplé de 5 398 habitants par km² dans des conditions de plus en plus inhumaines ? De l’eau devenant imbuvable, de l’électricité quelques heures par jour, des médicaments qui manquent ? Et ces prisonniers en plein air devraient se résigner, ne pas faire de bruit, accepter de disparaître sans révolte et sans protestation ? Leur sort ne serait donc qu’une vicissitude ou un détail de l’histoire qui ne mériterait donc tout au plus qu’une mention, une remarque au passage ?
Tel n’est pas le point de vue de celles et de ceux qui se sont embarqués sur la flottille chargée de 114 cartons de fournitures médicales. Ils savaient qu’ils allaient être arraisonnés. Ils ne s’en sont pas moins lancés dans cette aventure, non pour combattre des moulins à vent, mais parce qu’un tel blocus est inacceptable pour tout humain, parce que leur voyage est l’occasion de le rappeler et d’en faire parler, et parce que l’espoir demeurait qu’en dépit des obstacles bloquant leurs convoyeurs, les fournitures médicales finiraient tout de même par parvenir à leurs destinataires.
Les équipages ont été arrêtés, maltraités, proprement dévalisés de leurs biens propres, puis renvoyés dans leurs pays. Le 29 août, les autorités de l’État israélien gardaient toujours les fournitures médicales confisquées*. Fin provisoire du rabâchage. Et retour sur un épisode passé presque inaperçu.
« C’est à peine si j’ose vous le dire tellement c’est bas »
Il ne s’agit pas de bottes d’oignons, mais ces paroles de Georges Brassens s’avèrent hélas parfaitement idoines pour caractériser un non-événement orchestré avec doigté. C’était le 17 juin 2018 à Paris. À deux pas de l’Institut du Monde Arabe, plusieurs centaines de personnes, dont Jack Lang, président de l’institut, Salman Al-Herfi, ambassadeur de Palestine, Leïla Shahid, Esther Benbassa, sénatrice de Paris, attendaient l’arrivée de deux bateaux partie prenante du projet de flottille, qui sillonnaient fleuves et canaux de France pour faire connaître et populariser leur cause, la nécessité de mettre fin au blocus de Gaza. Les bateaux avaient du retard, en raison de tracasseries qui s’apparentent à du harcèlement tout au long des voies empruntées, notamment aux écluses : avaient-ils les permis nécessaires, les embarcations étaient-elles munies d’une ancre, d’extincteurs anti-incendie, etc. ? Las, elles étaient tout à fait en règle, et il était légalement impossible de les empêcher de voguer à leur gré.
Peu avant leur escale parisienne prévue, à bord étaient montés deux membres élus du Conseil de Paris, ainsi que la présidente de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine.
Et puis entrèrent en œuvre les vedettes de la police fluviale. Plus de discussions. Elles cernèrent les bateaux, les poussèrent, les empêchant d’accoster et même de ralentir pour saluer ceux qui les attendaient. Sans autre explication que celle d’obéir aux ordres. Des ordres venus vraisemblablement de haut. Des ordres honteux, pas même revendiqués. Comme si à la complicité s’ajoutait désormais la flagornerie. C’est triste, mesquin, inacceptable.
La cerise pourrie sur un gâteau douteux
N’était-ce qu’un début ? Trois semaines plus tard, le naufrage éthique se poursuivait. Un communiqué de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) signale : « Pour la 1ère fois depuis 55 ans, deux bâtiments de la marine de guerre israélienne ont participé à Toulon à des manœuvres communes avec la flotte française en présence du chef de la marine israélienne. La déclaration israélienne, rapportée par l’AFP, précise qu’elles ont visé à faire face à des attaques « asymétriques » venant de petits bâtiments et à « tester nos communications en vue d’une attaque commune ». Un message particulièrement choquant à l’heure où la France se ridiculise en empêchant les petits bateaux de la flottille de la liberté de mener à bien leur mission vers Gaza. Que signifie aujourd’hui en effet « une attaque commune » avec cette marine de guerre, qui sème la terreur de façon récurrente à Gaza en y menaçant ou attaquant chaque jour les pêcheurs ? »
Il ne nous reste que la honte. Et un sentiment grandissant de révolte. Ces vilenies ne peuvent se prévaloir de notre nom.
* https://jfp.freedomflotilla.org/news/day-30-not-released-medical-supplies-for-gaza, consulté le 31/08/2018.