GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Syndicats

« On met en danger les salariés dans les entreprises »

Sabine Dumenil, la secrétaire de l’UD-CGT de la Marne, qui a activement soutenu Anthony Smith suite aux sanctions iniques dont l’inspecteur du travail champenois a été victime en 2020, subit à son tour la vindicte d’un État s’érigeant décidément en protecteur, non des salariés, mais des entrepreneurs. Elle a bien voulu répondre à nos questions.

D&S : Quelles sont les origines des procédures juridiques vis-à-vis de toi et de la CGT de la Marne ?

Sabine Duménil : Il faut rappeler le contexte. Nous étions en 2020 en pleine crise pandémique. La CGT a été fort sollicitée par plusieurs branches professionnelles, s’agissant de la protection des salariés. Dans le cas précis qui fait l’objet de poursuites judiciaires, la CGT a été interpelée par le syndicat et des élus FO qui travaillent dans une association d’aide à domicile. Les salariées étaient en danger face au Covid. FO n’ayant pas été entendu par la direction à propos du manque de protection, les élues FO ont saisi l’inspection du travail.

C’est Anthony Smith, en charge du dossier, qui a sollicité l’employeur, assez gentiment au départ, puis toujours dans le cadre juridique de l’inspection du travail, le directeur de l’ARADOPA, une association d’aide à domicile de Reims. Toute une série d’évènements se sont succédés, et je tiens à dire que, quelle que soit l’appartenance syndicale de l’inspecteur du travail (Anthony est membre de la CGT), ce n’est pas pour cela que nous l’avons défendu, mais surtout pour défendre et sauver les missions de l’inspection du travail et des inspecteurs en particulier. Anthony Smith a contraint à plusieurs reprises le directeur de l’ARADOPA à délivrer protections, masques, surblouses, etc. aux salariées de cette association. Dans le cadre de la procédure, il a été obligé de déposer un référé, car l’employeur ne tenait absolument pas compte des contraintes qu’il devait mettre en place. Anthony a été suspendu de ses fonctions à titre conservatoire, dans un premier temps pour quatre mois, puis menacé d’un passage en conseil de discipline.

La CGT a dénoncé ces procédés et agressions contre Anthony, dans la limite de ce que l’on pouvait faire sur le plan syndical en plein confinement. Le contexte est important. Chaque organisation syndicale était invitée régulièrement à des réunions organisées par la Préfecture de la Marne, avec des représentants d’employeurs du département et dans ce cadre on faisait remonter de nombreux problèmes. La directrice de la DREETS, Mme Avril, participait à ces réunions, et était ainsi au courant des problèmes liés aux protections des salariées et aux interventions de l’inspection du travail. Et via les délégués syndicaux dans les entreprises, nous faisions remonter tous les problémes liés aux protections des personnes. On a eu des remontées du secteur de la métallurgie et de tous les secteurs professionnels.

D&S : Il s’agit donc d’une séquelle de l’affaire Anthony Smith* ?

SD : Tout à fait. Concernant la problématique juridique de l’affaire Anthony Smith, la CGT s’est mobilisée, dans un contexte politique particulier. On était en effet à la veille des élections municipales et Anthony figurait sur la liste progressiste à Châlons-en-Champagne. De ce fait, c’était haro sur Anthony, qui était sous le coup d’une mesure disciplinaire.

On a créé les conditions pour que toutes les organisations syndicales se mobilisent. Un collectif issu de la liste progressiste aux municipales de Châlons s’est constitué, puis un collectif national de soutien. De nombreuses actions se sont déroulées dans les limites dues au confinement.

Dès la levée de celui-ci, les rassemblements se sont multipliés. La CGT a interpelé le ministère du Travail et on a dénoncé l’attitude et les préconisations de Mme Avril, directrice de la DREETS, qui était en lien avec le président du Conseil départemental de la Marne (qui finance en partie les associations d’aide à domicile). On a vu qu’il y avait vraiment un complot politique contre Anthony. J’insiste : on a soutenu la personne, le militant syndical, et surtout l’ensemble des inspecteurs du travail. Le soutien s’est élargi à nos camarades belges qui sont confrontés aux mêmes menaces. C’est dans toute l’Europe qu’il y a une volonté politique d’obtenir que l’inspection du travail soit privée de ses missions de contrôle et se transforme en conseil aux entreprises – ce que la CGT refuse catégoriquement.

D&S : C’est une véritable offensive contre l’indépendance de l’inspection du travail ?

SD : C’est tout à fait cela. À travers nos expressions (nous avons sorti des tracts, toujours en intersyndical, des affiches…), ce qui nous est reproché – et c’est pour cela que j’ai étés mise en examen à deux reprises –, c’était la présence de jeux de mots sur des affiches, notamment la formule « poison d’Avril ». Tout cela reste pourtant complètement conforme à ce qu’est une expression syndicale et s’inscrit dans le cadre de la liberté d’expression en général.

D&S : Combien de procédures judiciaires vis-à-vis de toi et de la CGT ?

SD : Il y a deux procédures contre l’UD-CGT de la Marne et une contre le syndicat régional de la DREETS. J’ai été pour ma part mise en examen en tant que représentante de la CGT Marne une fois pour diffamation et une seconde fois pour injures publiques. Manifestement, nos jeux de mots n’ont pas plu à la directrice de la DREETS. La ministre du Travail était alors Murielle Pénicaud, puis c’est Élisabeth Borne qui a repris le dossier. Suite à un rétropédalage du ministère, la sanction contre Anthony (mutation en région parisienne) s’est transformée en mutation dans la Meuse avec toutes ses compétences d’inspecteur du travail. Ce fut une première victoire, mais la sanction était toujours là.

J’ai été mise en examen pour injures publiques et condamnée par le tribunal de Châlons-en-Champagne. Pour nous, à la CGT, cette peine a été considérée comme une atteinte aux libertés syndicales et au droit d’expression. Entre temps, suite au recours au tribunal administratif déposé par Anthony, sa sanction a été levée et il a été blanchi de toute faute professionnelle. Ce fut une belle victoire après deux ans de luttes. Il est revenu à Reims depuis début janvier. Mais la bagarre n’est pas terminée sur le fond, parce qu’il y a toujours la volonté en Europe et en France de transformer l’inspection du travail et de supprimer le contrôle des entreprises. C’est très grave. Il y a toujours beaucoup d’accidents du travail et de maladies professionnelles. On a aussi réformé la médecine du travail, dont les effectifs ont fortement baissé. Si on élimine le rôle de l’inspection, on met en danger les salariés dans les entreprises, y compris du point de vue de la prévention.

Suite à ma condamnation, on a décidé de faire appel, car cela aurait pu faire jurisprudence vis-à-vis de toutes les structures syndicales qui seraient privées du droit d’expression. La Cour d’appel du 9 novembre dernier à Reims a blanchi l’UD-CGT. Par la suite, nous avons constaté un véritable acharnement judiciaire. Mme Avril a en effet déposé un recours en cassation. Cela coûte cher et nous n’acceptons pas que le ministère du Travail, qui avait pris acte du retour d’Anthony dans la Marne suite à la décision du TA de Nancy, continue, à travers la protection fonctionnelle, de financer la défense de la directrice de la DREETS. Nous avons tous les éléments pour penser qu’il y a là un soutien politique.

D&S : Et la seconde procédure ?

SD : Elle est du même tonneau. Elle a été séquencée en deux parties. Dans la même période, le syndicat CGT avait mené une enquête CHSCT au sein de la DIRECCTE car de nombreux salariés étaient en souffrance au sein de cette administration. L’UD-CGT, qui a un rôle d’aide aux syndicats, a adressé un courrier à la ministre Élisabeth Borne, pour faire cesser les harcèlements constatés. Cela n’a pas plu à Mme Avril qui a considéré que c’était de la diffamation et qui a porté plainte contre l’UD. Cette seconde procédure n’est toujours pas jugée. Le procès est prévue pour le 27 septembre prochain.

D&S : Avec des procédures différentes, il s’agit bien d’attaques répétées contre le syndicat.

SD : Ces procédures sont bien liées. Il ne faut pas être naïf.

D&S : Comment, dans cette bataille, les soutiens se sont-ils manifestés ?

SD : Il s’agit d’une lutte qui dure depuis deux ans. Depuis le début de cet acharnement judiciaire, toutes les forces syndicales et politiques sont très mobilisées. Chaque fois que je suis convoquée au tribunal, nous avons le soutien de toutes celles et tous ceux qui sont mobilisés depuis le début. C’est très positif.

L’acharnement antisyndical est aussi présent, comme celui contre une structure interprofessionnelle. Dans les entreprises comme dans les services, cela ne se traduit pas de la même façon. Il y a des élus CGT, et des élus d’autres syndicats, qui, suite aux pressions patronales, se sont découragés et abandonnent leur mandat. Il y a aussi la volonté patronale de favoriser la division syndicale. Notre rôle en tant que structure interprofessionnelle, c’est de ne pas créer ce climat de division. On impulse les discussions entre organisations syndicales, comme nous l’avons fait dans la Marne, et cela malgré des divergences. On recherche les points de convergence pour qu’il y ait des discussions en intersyndicale au niveau départemental, et pour soutenir celles et ceux qui luttent contre toutes les formes de discrimination au sein des entreprises, comme des services.

Concernant la lutte autour d’Anthony puis autour des procédures judiciaires contre l’UD-CGT de la Marne, cela a eu des répercussions au niveau national. Il y a eu des rassemblements dans toute la France le même jour et à la même heure qu’au niveau local, devant les DIRECCTES, comme devant les tribunaux. On se donne rendez-vous à l’automne.

Propos recueillis par Gérard Berthiot

Cet entretien avec Sabine Dumenil, secrétaire de l'UD CGT de la Marne, a été publié dans le numéro 302 ( février 2023) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* Sur la bataille victorieuse pour obtenir le retour d’Anthony Smith dans ses fonctions, voir l’entretien qu’il nous a accordé dans Démocrate &?Socialisme 300, novembre-décembre 2022, p. 4-5.

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