Notre assurance maladie au bord du gouffre
Sans une bonne mutuelle, il n’y a
pas d’égalité des soins : ce slogan
cynique d’une des plus importantes
mutuelles françaises résume parfaitement
la situation de notre assurance
maladie.
Tout le monde, en effet, n’a pas lesmoyens de se payer une mutuelle et
encore moins une « bonne mutuelle ».
L’égalité des soins ne fait donc que reculer.
C’est un des pans fondamentaux du
pacte social conclu à la Libération qui est
en train de disparaître sous les coups de
boutoirs successifs du Medef et des gouvernements
de droite. Notre assurance
maladie et plus largement notre Sécurité
sociale sont minées, sapées par la volonté
des néolibéraux qui dirigent notre
pays, de faire de la santé une marchandise
comme les autres. Le principe qui
avait présidé à la création de la Sécurité
sociale en 1945 : « De chacun selon ses
moyens, à chacun selon ses besoins » est
en train de laisser la place à un tout autre
principe « A chacun selon ses moyens ».
UN DÉFICIT ESSENTIELLEMENT
CONJONCTUREL
Les médias ont repris leur refrain favori
quand ils traitent de la Sécurité sociale et
de l’Assurance maladie, celui des « déficits
abyssaux ». Ils ont déjà oublié la
crise économique et les responsabilités
qu’elle pourrait bien avoir dans ces déficits.
Selon le dernier rapport de la
Commission des Comptes de la Sécurité
Sociale (CCSS), le déficit de la Sécurité
sociale s’élèvera à 22,7 milliards en 2009
et représentera 11 milliards d’euros
pour l’Assurance maladie (l’une des
quatre branches de la Sécurité sociale
avec les retraites, la famille et les accidents
du travail). Selon ce même rapport,
en 2010, les prévisions sont un déficit de
33,6 milliards d’euros pour la Sécurité
sociale et de 17,1 milliards pour
l’Assurance maladie.
Mais, toujours selon le rapport de la
CCSS : « En 2010, plus des deux tiers du
déficit du régime général (de la Sécurité
sociale) serait d’origine conjoncturelle ».
L’explication en est simple : « la baisse
de la masse salariale prive le régime
général de plus de 23 milliards d’euros
de recettes ». En effet, les cotisations
sociales ont pour base de calcul les
salaires et l’augmentation de la masse
salariale qui était de 4,8 % en 2007
n’était plus que de 3,4 % en 2008. Pire,
cette masse salariale diminuait de 1,3 %
en 2009 et devrait encore diminuer de
0,4 % en 2010. Cette diminution est due
aux pertes d’emplois du secteur privé et à
une quasi stagnation du salaire moyen.
Pour Gérard Cornilleau, économiste
à l’Observatoire Français des
Conjonctures Economiques, le doublement
prévisible du déficit de la Sécurité
sociale en 2009 n’avait rien d’étonnant
(Le Monde du 15 juin 2009) : « Nous
sommes dans une récession grave, déclarait-
il, avec une dépression économique
comme on n’en a probablement pas vu
depuis que la comptabilité nationale
existe. C’est donc très naturellement que
les recettes de la protection sociale diminuent
et provoquent un déficit. Mais c’est
un déficit conjoncturel. Il n’est absolument
pas structurel, et n’a donc pas
vocation à être comblé ».
UN DÉFICIT « STRUCTUREL »
CONSCIEMMENT CONSTRUIT
Selon le rapport de la CCSS, le déficit
« structurel » de la Sécurité sociale serait
de l’ordre d’un tiers du déficit actuel, soit
une dizaine de milliards d’euros en 2010.
Il est vrai que ce rapport reconnaît que le
déficit structurel «est une construction
qui repose sur des hypothèses en partie
conventionnelles ». Et l’une de ces hypothèses
tout à fait conventionnelle est que
le taux des cotisations patronales qui participent
largement au financement de
l’Assurance maladie ne peut pas augmenter,
alors qu’il stagne depuis plus de
vingt ans.
Cette hypothèse conventionnelle n’étant
pas soumise à discussion, la cause est
entendue: le déficit ne peut être que
«structurel», le vieillissement de la
population et les pathologies qui lui sont
liées entraînent mécaniquement une augmentation
des dépenses de santé supérieure
à l’augmentation annuelle du PIB.
La part du PIB destiné au financement de
l’Assurance maladie est de 11% en
France, à peu près comme en Allemagne
ou en Suisse, un peu plus qu’au
Royaume-Uni (9%) mais nettement
moins qu’aux Etats-Unis (16%). En
2025, il serait réaliste de penser (surtout
si l’espérance de vie continue à augmenter)
que les dépenses de santé représenteront
15% du PIB. Mais comment
imaginer que la part des plus de 65 ans
soit de plus en plus importante dans la
population et que cela n’ait aucune implication
sur les dépenses de santé ?
Ce déficit, aussi artificiellement construit
soit-il, servira de justification aux
mesures qui permettraient d’atteindre le
double objectif fixé par le Medef et les
gouvernements de droite successifs. Le
premier objectif est d’en finir avec le
salaire socialisé que constituent les cotisations
sociales et plus particulièrement
avec la part patronale de ces cotisations.
Le deuxième est de permettre aux capitaux
des multinationales de l’assurance de
trouver un terrain d’accumulation
(immense) qui leur était jusque-là interdit.
LA TROMPE DE L’ÉLÉPHANT
Le 17 mai 2004, le ministre de la Santé
du gouvernement Raffarin III, Douste-
Blazy jouait les bonimenteurs télévisés,
la larme à l’oeil en parlant des
« mamans » et des « aides soins dont on
ne dira jamais assez le dévouement ». A
l’entendre, la « réforme » de l’assurance maladie
qu’il essayait alors de nous
vendre se résumait à « un euro de plus
par consultation ».
Cela ne laissait pas de suspendre tant le
gouvernement et les médias venaient de
nous rebattre les oreilles du gouffre abyssal
(déjà) de l’Assurance-maladie et
de la nécessaire «responsabilisation des
patients ».
En réalité, Douste-Blazy ne laissait
entrevoir que la trompe de l’éléphant
mais préparait le terrain aux offensives
suivantes en changeant profondément la
« gouvernance » de l’Assurance maladie.
La loi qui porte son nom prévoyait, en
effet, la création d’une Haute Autorité de
Santé chargée d’établir l’évaluation
«scientifique» des pratiques médicales et
sensée être indépendant même si les 12
«sages» qui composaient sa direction
étaient nommés par le Président de la
République, le Président de l’Assemblée
nationale, celui du Sénat et celui du
Comité économique et social.
Surtout, cette loi prévoyait l’instauration
d’une Union Nationale des Caisses
d’Assurance Maladie (UNCAM) mettant
fin à toute forme de gestion des cotisations
sociales, de leur salaire indirect, par
les salariés eux-mêmes. Les conseils
d’administration n’étaient plus élus (ils
ne l’étaient plus, de fait, depuis 1989…)
mais nommés par les organisations syndicales
et patronales. La réalité des pouvoirs
de cette union était remise aux
mains d’un directeur nommé par le
Conseil des ministres. Et comme on n’est
jamais si bien servi que par soi-même, le
premier directeur (il est toujours en
place) nommé par le Conseil des
ministres de Raffarin n’était autre que le
chef de cabinet de Philippe Douste-
Blazy, Frédéric Van Roekeghem, libéral
de choc.
Aujourd’hui : l’éléphant est dans le
magasin de porcelaine de l’Assurancemaladie
et tente d’écraser de ses lourdes
pattes tout ce qui est solidaire, mutualisé
dans ce système issu du programme du
Conseil National de la Résistance
(CNR).
En 2004, Douste-Blazy parlait de « responsabiliser
les patients », c’était disaitil
le fil directeur de sa réforme.
Aujourd’hui, le gouvernement Sarkozy
n’a plus ces timidités, il avance carrément
l’idée d’imposer un « ticket modérateur
» de 5 % aux patients sous le
régime des Affections de Longue Durée
(ALD). A qui fera-t-on croire que ces
patients aient bien pu choisir d’avoir une
longue maladie et que l’instauration d’un
ticket modérateur pourrait les «modérer
» ?
Le but de la « contre-réforme » initiée
par Douste-Blazy est aujourd’hui évident
et n’a rien à voir avec la « responsabilisation
des patients », il s’agit, quel qu’en
soit le coût humain, de diminuer drastiquement
les dépenses prises en charge
par l’Assurance maladie obligatoire.
UN SYSTÈME CONTRADICTOIRE
Notre système d’Assurance maladie s’est
construit sur une contradiction qui ne
l’avait pas empêché de fonctionner à peu
près correctement pendant plus de 50ans.
D’un côté, un système de financement
essentiellement public et solidaire basé
sur un salaire indirect, les cotisations
sociales ou sur la CSG qui reste malgré
son appellation de contribution une cotisation
sociale puisqu’elle est pré-affectée
à une dépense précise, le financement de
l’Assurance Maladie.
De l’autre : un système de soins à la fois
privé et public.
Privé, lorsqu’il s’agit des médecins libéraux
qui bénéficient - c’est un cas unique
au monde - de la liberté de prescription,
de la liberté d’installation, du libre choix
du médecin par le patient et, de plus en
plus, de la liberté de fixer eux-mêmes
leurs tarifs.
Privé, lorsqu’il s’agit des cliniques qui
aujourd’hui n’appartiennent plus pour la
plupart à leurs chirurgiens mais à des
multinationales comme la Générale de
Santé ou des fonds de pension, comme le
fonds d’investissement 21 Central
Partners ou Vitalia, lié au fonds d’investissement
américain Blackstone dont les
actionnaires exigent une rentabilité de
20% de leurs capitaux. Un secteur privé
qui avance au fur et à mesure des reculs
que lui imposent le gouvernement et son
bras armé, les Agences Régionales de
Santé dont les directeurs, véritables
superpréfets de la Santé, viennent bien
souvent du secteur privé.
Privé encore, dans le cas de l’industrie
pharmaceutique, des grossistes en médicaments
et des pharmaciens d’officine.
Le Medef et les gouvernements de droite,
de Raffarin à Sarkozy, ont décidé de
dépasser cette contradiction d’une façon
simple, en privatisant tout ce qu’ils pourront
privatiser, aussi bien dans le système
de soin que dans son financement.
FINANCEMENT:
DÉPLACER LE CURSEUR
Le rapport Chadelat qui avait précédé la
contre-réforme lancé par Philippe
Douste-Blazy avait précisé les objectifs
de cette offensive : il s’agissait de
« déplacer le curseur » du
financement des dépenses
de Santé de l’Assurance
maladie obligatoire vers les
assurances complémentaires
privées (mutuelles et sociétés
d’assurances).
Une partie du chemin avait
déjà été fait avec le forfait
hospitalier (l’équivalent de 3
euros lors de sa création, 18
euros aujourd’hui), l’instauration
de tickets modérateurs
qui étaient (et restent)
autant de tickets d’exclusion
des soins.
Un pas qualitatif a été fait
avec l’instauration des multiples
franchises voulues par Nicolas
Sarkozy, même si le Conseil d’Etat a
posé quelques limites à leur extension.
Des médicaments efficients ont été
déremboursés. Les assurances complémentaires
qui ont été taxées pour éviter
(selon le gouvernement) de prendre l’argent
dans la poche des patients, ont aussitôt
répercuté cette augmentation sur les
primes payées par leurs adhérents.
Pour déplacer encore plus le « curseur »,
le gouvernement avance plusieurs pistes.
D’abord faire évoluer « le panier des
soins » remboursé par l’Assurance maladie.
Roselyne Bachelot a ainsi évoqué le non
remboursement des dépenses d’optique,
de soins dentaires et des médicaments à
vignette bleue (remboursés aujourd’hui à
35%). Le Centre Technique des
Institutions de Prévoyance a calculé ce
que cela coûterait aux assurés sociaux en
termes d’augmentation des tarifs des
assurances complémentaires.
Pour l’optique: 227 millions d’euros, soit
une augmentation de 1,3 % des tarifs des
complémentaires.
Pour les prothèses dentaires : 1,3 milliards
d’euros et 6,3 %.
Pour les soins dentaires des adultes : 2,1
milliards d’euros et 10,3 %.
Pour le déremboursement des médicaments
à vignette bleue 3,6 milliards d’euros
et 17,8 %.
En revanche, 200 millions d’euros seulement
serait épargnée par l’assurance-maladie
par le passage de 3 à 8 jours de
la franchise mis à la charge du salarié
lors d’un arrêt de travail. Beaucoup de
bruits pour rien, donc, madame
Bachelot…
Une autre piste serait, soit instaurer un
« ticket modérateur » pour les patients en
Affection de Longue Durée (ALD), soit
de « faciliter » leur sortie du dispositif
dès qu’ils seront « guéris ». En effet,
l’ALD représente 60 % des dépenses de
l’Assurance maladie et concerne 14 %
des patients pris en charge à 100 % pour
les soins relevant de cette pathologie. Et
les néolibéraux qui nous gouvernent en
ont aujourd’hui fini avec le faux-semblant
de ne s’attaquer qu’aux « petits
risques ». C’est au coeur de l’Assurance
maladie qu’ils ont maintenant décidé de
s’attaquer ouvertement.
Tous ces reculs de l’Assurance maladie
font le jeu des assurances complémentaire
privées.
Des sociétés d’assurances tout d’abord :
les multinationales de l’assurance ont
conquis 24 % du marché de l’assurance
complémentaire privée. Leur progression
est (en 2008) de 85 % au cours des 6 dernières
années pour l’Union des Familles
Laïques (UFAL).
Les mutuelles progressent également
mais sont amenées à adopter les mêmes
pratiques que les sociétés d’assurances et
méritent de moins en moins l’appellation
de « mutuelles ».
Le pire reste à venir : l’implication de
plus en plus prononcée des assurances
privées dans la gestion de l’assurance
maladie. Le beau rêve américain sera
alors à portée de la main. Ce sont pourtant
les multinationales de l’assurance
qui font actuellement campagne pour
empêcher Barak Obama de mettre en
oeuvre sa réforme (pourtant limitée) de
l’assurance maladie.
PRIVATISER
LE SYSTÈME DE SOINS
Les libéraux n’ont rien contre l’augmentation
des dépenses de santé, au contraire,
s’il s’agit d’un marché comme un
autre. Déjà, d’ailleurs, nombre de médecins
de villes et l’industrie pharmaceutique
agissent comme si la santé était
déjà une marchandise.
L’industrie pharmaceutique
considère depuis longtemps
que la Santé est un marché
comme les autres, juste un peu
plus juteux. Ce qui ne les
empêche pas d’exiger et d’obtenir
des garanties publiques
exorbitantes, comme dans le
cas du vaccin contre la grippe
A.
L’Inspection Générale des
Affaires Sociales dans un
récent rapport demande leur
« désarmement commercial »
tant leurs dépenses de commercialisation
sont disproportionnées
au regard de leurs
dépenses de recherche et de
développement.
Les médecins de villes n’hésitent guère
non plus à jouer du rapport de forces que
la limitation du nombre de médecins formés
chaque année depuis 20 ans (le
« numerus clausus ») leur a permis d’acquérir.
Non seulement le tarif remboursé
des consultations des médecins généralistes
a considérablement augmenté en
juillet 2002 avec le passage à 20 euros
mais les médecins réclament toujours
plus. Ils ont obtenu une consultation à
22 euros en 2007 et exigent maintenant
23 euros. Surtout, les dépassements d’honoraires
se multiplient. 58 % des médecins
pratiquent ce sport lucratif à Paris.
Et, le gouvernement, cédant de nouveau
à leurs pressions crée un «secteur optionnel
» c’est-à-dire de nouvelles possibilités
pour les médecins de dépasser les
tarifs de remboursement. Le gros morceau
à avaler, c’est-à-dire à privatiser
d’une façon ou d’une autre, reste
l’Hôpital public.
Pour y arriver, les néolibéraux au pouvoir
ont supprimé la carte sanitaire nationale
en 2003. Ils peuvent toujours, après cela,
parler d’égalité des soins entre tous les
territoires alors qu’ils ont cassé le seul
instrument qui permettrait de mesurer ce
degré d’égalité.
Ils ont introduit la T2A (Tarification A
l’Activité) qui avantage délibérément
les cliniques privées en créant des
« groupes homogènes » sensés regrouper
des activités similaires et donc tarifées de
manière identiques. Mais, curieusement,
au sein d’un même groupe, les pathologies
simples correspondent aux activités
des cliniques privées alors que les plus
complexes sont du ressort des hôpitaux
publics.
Dans un remarquable article du « Monde
diplomatique» de novembre 2009
« Hôpital : comment créer un marché qui
n’existe pas », le professeur André
Grimaldi énumère les étapes de la privatisation
de l’hôpital public.
Première étape en 2004 : la T2A ne
concernera que 50 % du budget de l’hôpital
public. Les médecins reçoivent
délégation des pouvoirs.
Deuxième étape en 2008 : la T2A passe à
100 % de l’activité des hôpitaux publics.
L’hôpital est cogéré par les médecins et
l’administration. Les emplois et donc
l’activité globale sont plafonnés.
Troisième étape en 2009 : la loi Hôpital
Patient Santé Territoires (HPTS) encore
appelée « loi Bachelot » marque la fin de
la cogestion : l’administration dirige
seule.
Nous en somme là et la loi HPST soulève
la colère des hôpitaux. A l’Assistance
publique de Paris 700 responsables
médicaux menacent de démissionner.
Les professeurs Bensman (hôpital
Armand Trousseau) et Lejonc (Hôpital
Henri Mondor) ont d’ores et déjà démissionné.
Le Mouvement de Défense des
Hôpitaux Publics dénoncent « une réduction
de 100 millions d’euros par an (pour
les hôpitaux de l’Assistance publique de
Paris) pendant 3 ans, entraînant mécaniquement
la suppression chaque année
d’environ 150 emplois de médecins et
1000 emplois de soignants non-médecins,
après les 700 suppressions déjà réalisées
en 2009).
Les syndicats prévoient que cette loi, au
total provoquera une suppression de
20000 emplois pour l’ensemble des
hôpitaux publics. Et, pendant ce temps
là, les nouvelles Agences Régionales de
Santé (ARS) prépareront la « vente » à la
découpe des hôpitaux publics au profit
du secteur hospitalier privé.
Si la mobilisation ne peut arrêter la
marche forcée à la privatisation, André
Grimaldi prévoit 4 autres étapes.
Quatrième étape : changement de statut
des médecins hospitaliers qui vont devenir
contractuels.
Cinquième étape : l’hôpital public
deviendra un établissement privé à but
non lucratif. Les personnels nouvellement
embauchés changeront eux-aussi
de statut.
Sixième étape : la fin du monopole de la
sécurité sociale.
Septième étape : l’abrogation de
l’Objectif National de Dépense de
l’Assurance Maladie (ONDAM) qui fixe
le montant du budget public national de
la santé. La santé sera alors un marché, à
dimension européenne, entièrement
« libre et non faussé ».
Le professeur Grimaldi conclut : « Ainsi
pourra naître un nouvel système de
santé, véritable coproduction co-américaine
ayant gardé du système français la
CMU et le financement des cas les plus
graves par la collectivité, et ayant pris
au système américain la gestion par les
assureurs privés du marché rentables de
la santé : un cauchemar pour les médecins
et les malades, un rêve pour les
assureurs et les « nouveaux manageurs ».
UNE MÉDECINE À DIX VITESSES
La médecine à deux vitesses est maintenant
largement dépassée.
A l’un des pôles : ceux qui ont la possibilité
de se payer une assurance complémentaire
« classe affaire » à 1000 euros
par mois.
A l’autre pôle, les bénéficiaires d’une
CMU que de plus en plus de professionnels
de santé refusent de soigner. Ainsi, à
Paris - selon une étude du Fonds de
Financement de la CMU - 25,5 % des
professionnels de santé refusent de soigner
les patients bénéficiant de la CMU.
31,6 % des dentistes ; 19,4 % des généralistes; 38 % des gynécologues ; 28 %
des ophtalmologues. La raison qu’ils
avancent se résume à un mot « paperasse ». La réalité est assez différente. Leur
refus s’appuie le plus souvent sur l’incapacité
des bénéficiaires de la CMU de
payer les dépassements d’honoraires des
médecins ou les prothèses proposées par
les dentistes. Nous l’avons vu, en effet,
58 % des praticiens parisiens pratiquent
les dépassements d’honoraires. Entre les
deux, une myriade de situations variant
en fonction de l’âge et des ressources.
De l’âge tout d’abord. Une fois à la
retraite, fini les contrats d’entreprise, il
faut avoir recours au contrat individuel
nettement plus onéreux. D’autant plus
onéreux que les sociétés d’assurances et
les mutuelles augmentent leurs tarifs en
fonction de l’âge. Ce qui constitue bien,
malgré leurs dénégations, une méthode
pour sélectionner les patients en fonction
de leur état de santé. Chacun sait bien
que la santé ne s’arrange pas en vieillissant.
N’est-ce pas pour cela, d’ailleurs,
que les assurances privées (mutuelles et
sociétés d’assurance) augmentent leurs
tarifs en fonction de l’âge de leurs
clients ?
En fonction des ressources, ensuite. Les
tarifs de remboursement des assurances
privées sont multiples, en fonction du
montant des primes payées chaque mois
par l’assuré. Selon une étude du Cabinet
privé Jalma faite à la demande de
Roselyne Bachelot entre 2001 et 2009,
les coûts directs de santé dans les budgets
des ménages (hors cotisation assurance
maladie) ont augmenté de 40 à 50 %. Il
s’agit des primes versées aux assurances
complémentaires privées (mutuelles et
sociétés d’assurance) et de ce qui reste à
la charge des ménages une fois les remboursements
de l’Assurance maladie et
des assurances complémentaires effectués.
Cela représente 5,4 % du revenu
disponible en moyenne. Pour les plus de
65 ans, l’augmentation est de plus de
55 % en 8 ans et représente 11 % de leur
budget. Le Cabinet Jalma prévoit une
augmentation aussi massive d’ici 2015.
Ce qui représenterait plus de 10 % du
revenu moyen d’un ménage et 22 % pour
les plus de 65 ans.
Face à cette accélération de l’offensive libérale,
le rôle de la gauche et de sa principale
composante (le parti Socialiste) est évident:
proposer un projet réellement alternatif à
celui des néolibéraux. Un projet qui permette
de sauver et de renforcer notre
Assurance maladie solidaire.
Dans son prochain numéro, D&S apportera
sa contribution au débat indispensable pour
l’élaboration d’un tel projet alternatif.
Jean-Jacques Chavigné