GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Note de lecture sur la CFDT de Lille de 1920 à aujourd'hui

La CFDT de Lille et environs :

un ouvrage-bilan sur un siècle de syndicalisme nordiste

« En hommage à toutes les militantes et tous les militants connu-e-s ou obscur-e-s, qui avant nous et avec nous ont bâti la CFDT que nous aimons ». C'est sur cette belle dédicace pleine de sens que s'ouvre le livre collectif La CFDT de Lille et environs. Un siècle (ou presque!) d'histoire ouvrière, sorti aux éditions La Voix du Nord en cette fin d'année 2012. Les auteurs, Marguerite-Marie Béghin, Thierry Delahousse, Jacques Désidéri et Yveline Edmé, sont tous les quatre des militants syndicalistes d'expérience qui, suite à la création de le CFDT métropole lilloise en septembre 2009, ont décidé de revenir sur leur « combat pour plus de justice sociale » et, plus généralement sur « cette histoire syndicale de la CFDT de Lille et environs qui a débuté en 1920 ». Rien de surprenant, donc, que le soin de réaliser la préface de ce livre-bilan ait été confié à Martine Aubry, maire de Lille, ancienne ministre du travail et surtout dirigeante socialiste dont les attaches politiques et affectives avec la confédération cédétiste sont à la fois nombreuses et profondes !

Cet ouvrage collectif, à la fois dense et volumineux, est découpé en trois chapitres à géométrie variable. La première section s'attache à retranscrire l'histoire de l'Union locale lilloise des origines jusqu'à la constitution de la CFDT Métropole lilloise. C'est dans cette partie que sont scandés les grands moments de l'histoire ouvrière du pays et de la région lilloise : les grèves du Front populaire (p. 6-9), Mai 68 et ses suites (p. 21-25), la montée de la gauche et les conquêtes de 1981 (p. 31-42)... Le propos des auteurs s'appuie sur des témoignages, de courtes biographies et l'iconographie est abondante et souvent pertinente (reproduction de tracts, d'articles, de couverture de matériel militant...). Outre cette riche documentation, l'intérêt de cette section repose sur le traitement, malheureusement trop rapide -mais là n'est vraisemblablement pas l'objectif de l'équipe de rédacteurs-, de la déconfessionnalisation de la CFTC, de la création de la CFDT en 1964 et de la signature de l'unité d'action avec la CGT de Séguy l'année suivante. L'ouvrage met à juste titre l'accent sur le personnage d'Eugène Descamps, originaire de Lomme dans la banlieue lilloise, premier secrétaire général de la jeune CFDT, proche du PSU et des idées de Michel Rocard, et surtout promoteur d'une « orientation de lutte des classes et [d']un nouvel élan idéologique à la gauche dans le monde du travail » (p. 19).

Le second chapitre est consacré à l'action syndicale menée par la CFDT Lille et environs de la fin des années 1980 à la création de la nouvelle structure cédétiste lilloise en 2009. Ce zoom sur ces 20 ans de combat se fait au travers de l'exploitation des données dénichées dans Faire face, la revue mensuelle de l'Union locale de Lille. C'est ce chapitre, extrêmement documenté, qui occupe la majeure partie de l'ouvrage, en revenant de façon analytique sur les différents pans de l'activité cédétiste : emploi et réduction du temps de travail, protection sociale, conditions de travail, questions salariales et dimensions internationales. C'est surtout dans cette section que l'on verra traités les grands combats de salariés français et nordistes depuis le début des années 90 (novembre-décembre 1995, le CPE, la montée vers la grève générale sur les retraites en 2003, puis en 2010), ainsi que les débats qui ont traversé l'organisation cédétiste au niveau national comme à l'échelon local, et notamment la grave crise interne de 2003, consécutive à la signature par François Chérèque du projet de loi scélérat de Fillon sur les retraites de la Fonction publique (p. 128-134).

La CFDT Lille et environs bataille alors contre l'orientation de la confédération. Suite à l'annonce de la capitulation de Chérèque, un conseil extraordinaire de la CFDT Lille et environs est réuni d'urgence et, à l'issue d'une discussion où la combativité des militants face à la droite n'a eu d'égal que leur colère et leur désarroi à l'encontre de leurs dirigeants nationaux, est votée à l'unanimité une motion où il est écrit noir sur blanc que la conseil « condamne la décision de la direction nationale de la CFDT de soutenir le leurre de très maigres avancées proposés par Raffarin et Fillon alors que la réforme dans son ensemble s'attaque au montant des retraites, rallonge la durée, rend illusoire l'idée de retraite à 60 ans et renforce les inégalités […] existantes » (p. 131). Mais pour l'heure, la place des cédétistes de Lille et d'ailleurs « est toujours dans l'action », puisque « toute la CFDT a sa place dans le bras de fer que le mouvement social vient d'engager avec le gouvernement ». Par la suite, le choix est fait par l'Union lilloise de « continuer à agir à la CFDT », même si une partie des troupes, certains syndicats, notamment les Santé-Sociaux qui rejoignent Sud avec leur dirigeant Vladimir Nieddu (p. 51), au grand dam du secrétaire Jacques Désidéri qui regrette « l'émiettement syndical » renforcé par ce type de choix. C'est un des grands mérites de cette publication de ne pas esquiver le débat, puisque les auteurs ne craignent pas de parler de « tsunami » pour évoquer cette crise de l'année 2003 et d'évoquer « les traces indélébiles » laissées par le conflit sur les retraites. Pour nous, à « Démocratie socialisme », dont de nombreux cadres ont fait le choix d'abandonner la ligne de l'opposition interne à Notat-Chérèque, de quitter la CFDT et de rejoindre la CGT à cette période, la comparaison avec les choix opérés par les syndicalistes cédétistes du Nord constitue une confrontation de points de vue extrêmement enrichissante.

Face aux grands mérites de ce livre qui consiste à ne rien taire, à faire preuve d'une grande « qualité de subjectivité », pour reprendre les mots de Ricoeur, mais aussi à rentrer dans l'intimité d'un syndicat que ses auteurs connaissent parfaitement (ce que prouve notamment la partie 3, p. 263-290), les quelques limites que l'on se permet de pointer n'ont qu'un poids fort relatif. Il est tout d'abord regrettable que la lisibilité du propos soit entravée par une mise en page parfois confuse et que la distinction entre le texte central et les encarts annexes ne soit pas toujours très nette. Mais c'est là probablement la rançon de la volonté bien compréhensible d'exhaustivité qui anime les auteurs à chaque page. Par ailleurs, font défaut à différents moment des rapides parallèles entre l'histoire intérieure de la CFDT et l'arrière-plan économique, social et même culturel (la permanence d'une forte tradition démocrate-chrétienne dans le Nord par exemple), ainsi que des mises en rapport des événements narrés avec le contexte politique national et local (liens avec la CGT et les autres syndicats, rapport de forces au sein de la gauche...). Mais ce reproche n'en est pas un, car il va de soi que le déficit de mises en perspective globales est plus que largement compensé par l'érudition des quatre auteurs et par leur connaissance tout autant encyclopédique que vivante de l'organisation dans lequel ils ont forgé leurs trajectoires de syndicalistes de transformation sociale. Tous les militants attachés au syndicalisme de masse et de classe ne peuvent que saluer le travail de nos camarades nordistes qui, espérons-le, suscitera des vocations multiples dans tout le pays !

A lire : BEGHIN M.-M, DELAHOUSSE Th., DESIDERI J. EDME Y., La CFDT de Lille et environs. Un siècle (ou presque!) d'histoire ouvrière, La Voix du Nord, 2012.

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