GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

LE PARI PERDU DE BEN GOURION

Si les années suivant immédiatement la seconde guerre mondiale ont vu plusieurs déplacements massifs et forcés de populations consécutifs à des déplacements de frontières (Allemands de Pologne et de l’ancienne Prusse orientale, Polonais d’Ukraine), ces réfugiés se sont intégrés dans leurs pays d’accueil, dont ils sont devenus des citoyens à part entière.

Il n’en est pas allé de même pour les quelques 700.000 Palestiniens chassés de leurs terres par la Nakba, dont l’immense majorité s’est retrouvé parquée dans des camps de réfugiés théoriquement provisoires, mais qui sont devenus pérennes, que ce soit dans les territoires demeurés palestiniens (maintenant occupés ou soumis à blocus) ou dans les pays limitrophes. Leur existence même inflige « un sérieux démenti à la prédiction de Ben Gourion, persuadé que les vieux mourront et les jeunes oublieront »1. À cela, une raison simple : ils attendaient, et attendent toujours, la mise en œuvre de la résolution 194 décidée par l’ONU le 11 décembre 1948, disant qu’il y a lieu « de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible » et précisant que ceux qui ne désirent pas rentrer dans leurs foyers doivent être indemnisés2. Et loin de disparaître, ils sont devenus beaucoup plus nombreux.

Évolution démographique

En ce début du XXIe siècle, il est possible d’estimer que la moitié du peuple palestinien se trouve en exil forcé. En 2007, la diaspora palestinienne (vivant hors des limites de la Palestine mandataire) compte plus de 5 millions de personnes (47 % de l’ensemble des Palestiniens). Les territoires occupés ou sous blocus regroupent plus de 4 millions de personnes, dont une forte proportion de réfugiés3. Il faut encore préciser que nombre de Palestiniens ayant réussi à rester en Israël sont également des déplacés auxquels il demeure interdit de retourner sur leurs terres d’origine, qui ont été purement confisquées par des manœuvres militaires et juridiques (légales étant un terme pour le moins inapproprié) plus que contestables4 .

Évolution politique

Selon l’historien Arno J. Mayer, les débuts de la vie des réfugiés ne se caractérisèrent point par une conscience de type nationaliste : « Ils se concevaient plus en termes de famille et de clan, de tradition et de dialecte locaux, que comme des Palestiniens, et moins encore comme des membres de la grande nation arabe que tant de sionistes et d’Israéliens s’obstinaient à considérer comme la patrie et la destinée naturelle des réfugiés »5 .

La Guerre des six jours provoquée et remportée par Israël fut contre toute attente le point de départ d’une politisation multiforme, radicale et permanente des masses palestiniennes : « Les petites organisations palestiniennes, qui vivaient jusque-là exclusivement dans l’orbite de différents gouvernements arabes, se sont paradoxalement émancipées grâce à la défaite militaire »6. Les camps de réfugiés ont constitué un terreau fertile pour une résistance d’abord principalement armée (mais la stratégie de guérilla a fait long feu), puis civile, et de mieux en mieux incrustée dans la population. Ce n’est pas un hasard si ces camps ont payé (et continuent à payer) un lourd tribut face à la soldatesque israélienne et à ses supplétifs : qui ne se souvient de Sabra et de Chatila (1982), ou encore de Jénine (2002), pour ne citer que les massacres les plus connus ? Sans oublier les habitants de la bande de Gaza, dont une grande partie est constituée de réfugiés, plus nombreux que les Gazaouis d’origine, qui ont souffert de l’opération Plomb durci (2008-2009), et continuent de subir un blocus inhumain.

Un problème incontournable

La paranoïa israélienne officielle a tendance à faire un tabou de la seule évocation de la question des réfugiés palestiniens. Cette problématique est pourtant apparue sur le devant de la scène à deux reprises déjà :

  • En 1961, avec le plan Johnson7, dont les projections révélaient qu’au grand maximum 40 % seulement des réfugiés pourraient être intéressés par le retour.8
  • En 2001, lors des négociations de Taba, où un document israélien reprenait « de fait l’ordre de séquence proposé par les Palestiniens, celui de la priorité du droit, du récit historique aussi, sur les mesures concrètes relevant d’une solution de compromis »9 .
  • Il ne sert à rien (si ce n’est à prolonger peur d’une part et souffrance de l’autre) de refuser de voir les réalités en face. Quelle que soit l’issue concrète qui verra le jour, il faut prendre ce problème à bras le corps. Il est en effet incontournable. Tout comme l’est le postulat palestinien : « Le droit n’est pas négociable, mais son application l’est dès lors que ce même droit est reconnu »10 .


    1 Arno J. Mayer, « De leurs socs, ils ont forgé des glaives », Paris : Fayard, 2009, p.125.

    2 Farouk Mardam-Bey Elias Sanbar (éditeurs), « Le droit au retour : le problème des réfugiés palestiniens », Arles : Actes Sud, 2002, p.10.

    3 Jean-Paul Chagnollaud Sid-Ahmed Souiah, « Atlas des Palestiniens », Paris : Autrement, 2011, p.26.

    4 Démocratie socialisme n°193, mars 2012, Le statut de la terre.

    5 Arno J. Mayer, opus cité, p.366.

    6 CAPJO-Europalestine, « Israël, 60 ans de mystification, 22000 jours de résistance palestinienne », Paris, 2007.

    7 Il s’agit de l’Américain Joseph Johnson, chargé par l’ONU, sous l’impulsion des États-Unis, d’une mission sur la question des réfugiés palestiniens.

    8 CAPJO-Europalestine, opus cité.

    9 Farouk Mardam-Bey Elias Sanbar, opus cité, p.392.

    10 Idem, p.397.

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