GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Non, il n’y a pas 200 à 300 000 offres d’emplois non pourvues !

En ouvrant la deuxième conférence sociale, le jeudi 20 juin, François Hollande déclarait, à l’étonnement général : « Nous avons à regarder une réalité, elle n’est pas nouvelle. Il y a à peu près de 200 000 à 300 000 recrutements qui sont entamés, puis abandonnés, parce qu’il n’y a pas de candidats suffisamment qualifiés par rapport aux emplois qu’on propose ».

Le serpent de mer des « offres d’emplois non pourvues »

C’est le serpent de mer des « offres d’emplois non pourvues » qui resurgit. Il avait déjà été agité par François Fillon en 2044, il parlait alors de 300 000 offres d’emplois non satisfaites. Nicolas Sarkozy l’avait de nouveau utilisé en janvier 2008 pour faire pression sur les demandeurs d’emploi et diminuer les indemnités de ceux qui auraient refusé « deux offres d’emploi acceptables ». Nicolas Sarkozy parlait alors de 500 000 offres non satisfaites.

Une image catastrophique des demandeurs d’emploi

Le but des annonces de François Fillon et de Nicolas Sarkozy était de donner une image négative des demandeurs d’emplois. Des « assistés », des gens qui ne veulent pas travailler ! La preuve, il y a 300 000 ou 500 000 offres d’emplois non pourvues : si ces gens-là voulaient travailler, il ne devrait y en avoir aucune.

Ce n’est pas, heureusement, ce que dit François Hollande. Il dit simplement que les échecs de recrutement proviennent d’un manque de qualification, ce qui n’est pas la même chose. Ce n’est pas pour autant qu’il existe 200 à 300 000 offres d’emplois non pourvues dans notre pays.

Des chiffres sujets à caution

Beaucoup de ceux qui auront entendu la phrase de François Hollande en déduiront que sur les 5 millions de chômeurs que compte la France, 200 000 à 300 000 pourraient trouver un emploi s’ils avaient une qualification suffisante.

C’est faux, pour quatre raisons.

Parce que le chiffre d’offres non pourvues, faute de candidat, selon Hélène Paris, directrice des statistiques et de l’évaluation à Pôle emploi n’est que de 126 000 en avril 2013, 1/3 des offres d’emplois non pourvues de Pôle emploi. C’est le seul point de repère stable, le restant n’est qu’extrapolation. Les autres emplois offerts, comptés comme non pourvus (les 2/3), n’ont pas débouché sur un recrutement parce que les offres ont été retirées par les entreprises : elles ont trouvé preneurs en interne, elles sont passées par un recrutement hors Pôle emploi, ou bien elles étaient farfelues (bac + 5, 10 ans d’expérience, payé au Smic), elles permettaient à une entreprise de se faire de la publicité ou de se constituer une base de « curriculum vitae » dans laquelle piocher un jour…

Parce que les offres d’emploi ne peuvent pas être pourvues immédiatement et qu’il est normal qu’à un instant T, il y ait des offres d’emplois qui ne le soient pas. C’est ce qu’on appelle le « chômage de friction » qui existe même en période de plein emploi. Contrairement à ce qu’écrit Le Monde du 20/06/2013(1), il ne s’agit pas d’un « stock » mais bien d’un « flux ». Ce qui paraît étonnant, au contraire, c’est la faiblesse du chiffre avancé. Il y a 21 millions de recrutements en France chaque année et 300 000 emplois ne représentent que 1,43 % du nombre de recrutements. C’est dérisoire et ne peut fonder aucune politique sérieuse de l’emploi.

Parce que ce chiffre ne dit rien sur la réalité de l’offre d’emplois : s’agit-il d’un CDI ou d’un CDD de 4 jours ? Personne n’en sait rien. Il est pourtant évident que refuser un CDD de 4 jours ne changerait rien à la situation de l’emploi dans notre pays.

Parce que la formation ne fait que changer la place dans la file d’attente pour l’emploi mais ne crée pas un emploi de plus. Michel Rocard l’affirmait dès 1989. Si les entreprises manquaient vraiment de salariés, elles dépenseraient ce qu’il faut pour les former, comme elles le faisaient au début des années 1970.

Une proposition dangereuse

François Hollande ajoutait « S’il s’agit d’un différentiel de salaires, cela peut arriver, alors comblons-le, cela peut-être la responsabilité de l’État, parce que mieux vaut un tel soutien que la poursuite d’une indemnisation de chômage, cela coûtera moins cher et cela permettra de favoriser le recrutement et donc l’embauche ».

L’État serait donc prêt, selon François Hollande, à payer la différence entre un emploi sous-payé et les indemnités de chômage. Un encouragement incroyable à tirer les salaires vers le bas donné aux entreprises qui n’ont pourtant pas besoin de cela !

Relancer la croissance !

Michel Sapin, à la sortie de la conférence sociale, posait la question « Mais pendant que la croissance est en panne on fait quoi ? » Il avait parfaitement raison de poser cette question car il y n’y a que deux moyens de faire reculer le chômage de masse : la croissance et la réduction du temps de travail. Or, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, aujourd’hui, fait très exactement l’inverse.

Il continue de respecter le TSCG et la politique d’austérité qui a généralisé la récession à toute l’Europe. Lors de la convention Europe du parti socialiste, 68,9 % des suffrages exprimés avaient pourtant exigé la suspension de ce traité.

Il affirme vouloir résoudre la « question » de nos retraites en augmentant le nombre de trimestres cotisés, c’est-à-dire en allongeant le temps de travail sur toute une vie. Autant d’emplois dont les jeunes seront privés. Il a même fait voter une loi sur « la sécurisation de l’emploi » (l’Ani) qui permet d’augmenter le temps de travail hebdomadaire dans une entreprise, au-delà de la loi et des conventions collectives.

Il ne lui reste donc plus qu’une solution pour « inverser la courbe du chômage » à la fin de l’année : multiplier le nombre des salariés en formation en « stages-parking ». Ils pourront, ainsi, sortir des statistiques des demandeurs d’emploi. Cela ne sera que reculer pour tenter de mieux sauter car casser le thermomètre n’a jamais fait baisser la fièvre.

Avoir recours à un tel procédé était, auparavant, l’apanage de la droite. Il indique l’impasse dans laquelle se trouve la politique de notre gouvernement dès lors qu’il se refuse à utiliser les deux seuls moyens existant pour faire reculer le chômage : la relance de la croissance et la diminution du temps de travail, comme l’avait fait Lionel Jospin entre 1997 et 2001.

Il est urgent que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault change de politique économique, relance la croissance dans notre pays et qu’il renonce à allonger la durée de cotisation pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein. Il est tout aussi urgent que François Hollande se décide à prendre la tête d’une alternative de gauche en Europe, opposée à la politique de la droite européenne, menée par Angela Merkel, catastrophique pour le salariat.

Le dirigeant de FO, Jean-Claude Mailly, à la fin de la conférence sociale, déclarait « je retourne dans le monde réel ». Ce serait sans doute le meilleur conseil à donner à notre gouvernement.

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(1): Jean-Baptiste Chastand et David Revaud d’Allones « L’Élysée prépare un plan d’urgence pour résorber le stock d’emplois non pourvus » - Le Monde – 20/06/2013.  (retour)

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