GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Le Tribunal Russel sur la Palestine

Nous reproduisons ici la chronique « Palestine » de notre ami Philippe Lewandowski, parue dans la revue « Démocratie Socialisme » n°205 de mai 2013

« Lorsque les gouvernements et les décideurs n’agissent pas en conformité avec la loi, c’ est à la société de leur rappeler leurs obligations » (8).

HISTORIQUE

Le Tribunal Russell sur la Palestine est le troisième à porter ce nom. Le premier d’entre eux s’est en effet constitué en 1967 à l’initiative de Bertrand Russell, philosophe britannique et prix Nobel, « pour décider si les accusations de « crimes de guerre » portées contre le gouvernement des États-Unis ainsi que ceux de Corée du Sud, de Nouvelle-Zélande et d’Australie à l’occasion du conflit vietnamien sont justifiés » (1).

Le Tribunal Russell II sur l’Amérique Latine (1974-1976) a été organisé par la Fondation Lelio Basso pour les droits et la libération des peuples. Il a statué sur l’impunité dont bénéficiaient les auteurs de crimes de guerre en Amérique Latine (Argentine, Brésil, Chili).

Le Tribunal Russell sur la Palestine a été fondé en 2009 par un grand nombre de citoyens voulant traduire en justice Israël et les tierces parties (États, organisations internationales et entreprises) pour les constantes violations des droits de l’homme en Israël et en Palestine. Il s’agissait non pas tant de répéter un droit déjà exprimé par d’autres instances faisant autorité (2), que de se pencher sur l’inapplication d’un droit clairement identifié. Son président d’honneur en a été Stéphane Hessel.

LES CINQ SESSIONS DU TRIBUNAL

La première session, tenue les 1, 2 et 3 mars 2010 à Barcelone, ville où furent scellés les accords d’association entre l’Union Européenne et l’ensemble des pays du pourtour méditerranéen, fondés sur le respect des droits de l’homme et sur la démocratie (1995), a étudié les complicités et manquements de l’UE et de ses États membres dans la prolongation de l’occupation des Territoires palestiniens et les violations par Israël des droits du peuple palestinien. 21 témoignages ont mis en évidence des formes d’assistance passive et active de l’UE et de ses États membres aux violations du droit international commises par Israël. Le verdict n’est pas très glorieux pour l’Europe : « Après ses délibérations, le jury a émis ses conclusions dans lesquelles il est démontré que l’Union Européenne assiste illicitement Israël en maintenant des relations normales avec Israël, voire même en les rehaussant, manquant ainsi à ses obligations de respecter et faire respecter le droit international et le droit européen »(3).

La session de Londres (20-22 novembre 2010) a travaillé sur le thème de la complicité des entreprises dans les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Les entreprises mises en question étaient Veolia, Cement Roadstone Holdings, Ahava, Dexia, EDO ITT, Caterpillar, G4S, Elbit Systems, Agrexco, Soda Stream et PFZW. « Le jury a conclu que, par leur relations commerciales avec Israël ou avec les colonies israéliennes de peuplement, certaines entreprises privées devenaient elles-mêmes complices de violations du droit international, y compris de crimes de guerre, imputés à Israël »(4).

La question suivante, « Les pratiques d’Israël envers le peuple palestinien violent-elles l’interdiction internationale de l’apartheid ? », a été abordée par la session du Cap, en Afrique du Sud, du 5 au 7 novembre 2011. Son verdict ne souffre pas d’ambiguïté : « Après avoir entendu 25 experts et témoins, le jury du tribunal a conclu qu’Israël soumet le peuple palestinien à un régime institutionnalisé de domination considéré comme apartheid en vertu du droit international. Ce régime discriminatoire se manifeste sous une intensité et des formes variables à l’encontre des différentes catégories de Palestiniens selon le lieu de résidence. Les Palestiniens vivant sous le régime militaire colonial en territoire palestinien occupé sont soumis à une forme d’apartheid particulièrement grave »(5).

La quatrième session s’est tenue à New York les 6, 7 et 8 octobre 2012, et a cette fois traité de la complicité des États-Unis et des manquements des Nations Unies dans la poursuite des violations du droit international commises par Israël envers le peuple palestinien. Le tribunal a conclu que « la politique et l’expansion continue des colonies de peuplement d’Israël, ainsi que ses politiques de ségrégation sociale et son militarisme violent ne pourraient exister sans le soutien inconditionnel des États-Unis » (6). Il s’ensuit que les États-Unis deviennent également responsables de violations du droit international. La responsabilité de l’ONU découle de ses statuts mêmes : « Les experts ayant démontré que l’ONU a l’obligation d’agir pour empêcher ou mettre fin aux violations du droit international par Israël, le jury a constaté que le manque de mesures concrètes de la part de l’ONU pour tenir Israël responsable de ses violations du droit international constitue un acte internationalement illicite portant préjudice à la Palestine et impliquant la responsabilité de l’Organisation »(7).

Un point particulièrement novateur de cette session a été la mise en avant de la notion de « sociocide », qui pourrait devenir, un jour, un nouveau concept juridique, désignant la destruction systématique d’un territoire occupé, colonisé ou contrôlé, la destruction de ses infrastructures politiques, économiques, sociales, culturelles, cultuelles, et ayant pour objectif la destruction d’une société donnée, et empêchant de facto la réalisation de son droit plein et entier à l’autodétermination.

La session de clôture du tribunal s’est tenue à Bruxelles les 16 et 17 mars 2013 : « Le Tribunal conclut qu’il donnera son soutien à toute initiative venant de la société civile et des organisations internationales visant à traduire Israël en justice devant la Cour Pénale Internationale. Le Tribunal demande à la CPI qu’elle reconnaisse sa juridiction sur la Palestine et demande aussi la convocation d’une séance spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies a sujet de l’apartheid israélien » (9). À cela s’ajoutent un certain nombre d’autres recommandations clés (consultables en ligne sur le site du Tribunal).

ET MAINTENANT ?

Comment ne pas faire nôtre la recommandation qui dit : « Encourager la société civile à utiliser les conclusions du Tribunal afin d’entreprendre des actions pour faire face à la complicité étatique, institutionnelle et des entreprises avec les crimes commis par Israël » ?

Peut-être est-il utile de citer ici un extrait de la déclaration de Roger Waters (membre du groupe de musique Pink Floyd, et membre du jury du Tribunal) : « Si vous pensez que le Tribunal se trompe dans ses déclarations, il faut que vous vous rendiez en Palestine, dans les camps de réfugiés, et que vous jugiez par vous-mêmes. Sinon vous ne pourrez parler qu’en fonction de vos propres préjugés ».

C’est possible, à condition que la prétendue seule démocratie du Proche-Orient vous accorde l’autorisation de passer.

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L’article en PDF

(1): Jean-Paul Sartre, discours inaugural prononcé le 2 mai 1967, in « Tribunal Russell : le jugement de Stockholm », Paris : Gallimard, 1967, p.25. (retour)

(2): Notamment par la Cour Internationale de Justice dans son avis sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé. (retour)

(3): « Justice pour la Palestine ! Tribunal Russell sur la Palestine », Paris : L’Herne, 2013, p.28. (retour)

(4): Idem, p.29-30. (retour)

(5): Idem, p.32. (retour)

(6): Idem, p.34. (retour)

(7):  Idem, p.36. (retour)

(8): Présentation du Tribunal Russell sur la Palestine, consulté le 04/05/2013. (retour)

(9): Site du Tribunal Russell sur la Palestine, consulté le 05/05/2013. (retour)

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