GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Non à leur constitutionalisation !

Nous reproduisons ici un article, plus que jamais d’actualité, paru dans la lettre de D&S de janvier 2016, que son auteur, notre camarade Jean-Jacques Chavigné vient de compléter (27/01/16).

L’idée d’avoir à changer la Constitution de 1958 pour pouvoir combattre Daesh et le terrorisme en France est pour le moins surprenante. Qui peut penser, un seul instant, que cette Constitution, élaborée par et pour le Général de Gaulle, à la suite du coup d’Etat militaire du 13 mai 1958 à Alger, ne donnerait pas tous les moyens de lutter contre le terrorisme djihadiste ?

L’idée que le juge, en particulier le juge de l’ordre judiciaire, soit un obstacle à la sécurité dans notre pays est une idée dangereuse. Lorsque l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 posait la « sûreté » comme l’un des tous premiers droits de l’Homme, c’était avant tout la sûreté du citoyen face à l’Etat qu’il visait : le refus de l’embastillement, des lettres de cachets, de l’arbitraire du pouvoir exécutif. Cet aspect de la « sûreté », de la « sécurité », ne doit surtout pas être oublié.

Il ne s’agit pas de sous-estimer les terroristes mais le droit commun, le droit pénal français est amplement suffisant, même s’il peut être modifié à la marge, pour faire face à ce type de menace, sans donner à ces terroristes le statut, inespéré pour eux, de combattants politiques.

La déchéance pour les binationaux, tout un programme !

Certes, tout le monde est d’accord pour reconnaître que cela n’entraverait en rien l’action de terroristes prêts à se faire sauter. Il s’agit donc bien, avant tout, d’un symbole. Mais de quel symbole s’agit-il ?

D’une violence symbolique inouïe, tout d’abord. Il serait, en effet, brutalement signifié à 3,3 millions de Français ayant une autre nationalité, qu’ils ne sont pas des Français comme les autres ! Une violence symbolique qui engagerait très loin la République dans la voie tracée par le FN : « Être Français, ça s’hérite ou ça se mérite ! »

D’un cadeau symbolique inestimable à Daesh, ensuite, puisque 9 assassins auraient, à eux-seuls, obligé la France, la 5e puissance mondiale, à modifier sa Constitution. Comment ne pas voir que ce serait donner une reconnaissance symbolique déconcertante à ces terroristes ? Comment ne pas voir que cela serait aider Daesh (qui sait, pour sa part, parfaitement manier les symboles, aussi horribles soient-ils) à recruter ?

D’un autre cadeau symbolique, tout aussi inestimable, au Front national puisque Marine Le Pen estimait que l’extension de la déchéance de la nationalité était « le premier effet des 6,8 millions de voix pour le Front national aux élections régionales » et que Florian Philippot exultait : « François Hollande a été touché par la grâce ! »

Le sommet de l’hypocrisie : les dernières propositions de Manuel Valls

Le 27 janvier, Manuel Valls affirmait que trois principes guideraient la proposition de réforme de la Constitution concernant la déchéance de la nationalité :

  • 1 - La déchéance de nationalité sera bien inscrite dans la Constitution.
  • 2 - Aucune référence à la bi-nationalité ne figurera dans la réforme constitutionnelle ou les lois d'application.
  • 3 - La France ratifiera la convention de 1954 interdisant de créer des apatrides.
  • Il suffit donc de faire une soustraction : la déchéance de nationalité sera bien dans la Constitution mais elle ne pourra concerner les Français qui n’ont qu’une seule nationalité car ils deviendraient apatrides. Les seuls concernés resteront donc les binationaux. Valls fait entrer par la fenêtre ce qu’il affirme vouloir faire sortir par la porte et la violence symbolique reste la même pour les Français binationaux.

    Déchéance pour tous ? Indignité ? Pas mieux !

    La déchéance de la nationalité pour tous reviendrait à accepter que soient créés des apatrides, c’est-à-dire des personnes qui n’auraient plus aucune existence, car il n’est pas possible d’exister sans avoir de droits et qu’un apatride n’a aucun droit. Le symbole envoyé serait que les « pays des droits de l’Homme » n’a aucune considération pour la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, la convention de New York de 1961, la convention du Conseil de l’Europe sur la nationalité de 1997 qui, toutes, interdisent de créer des apatrides. Une autre victoire symbolique pour Daesh !

    Pour la peine d’indignité nationale, il en irait de même. Après avoir souligné à quel point la situation de la France en 1944 et celle de la France d’aujourd’hui était différente, retirant tout intérêt pratique à cette peine, le rapport du 25 mars 2015 de Jean-Jacques Urvoas, alors président socialiste de la Commission des lois de l’Assemblée nationale - et désormais Garde des Sceaux - affirmait : « plus qu’une condamnation, l’indignité nationale serait pour les terroristes une confirmation et une reconnaissance qui servirait leur cause ».

    Cela ne concernerait que quelques cas ?

    Qu’en savent François Hollande et Manuel Valls ? Peuvent-ils affirmer, que le Front national qui était arrivé en tête dans six régions métropolitaines en décembre 2015, n’accédera pas au pouvoir en 2017 ou en 2022 et qu’il n’utilisera pas beaucoup plus largement la possibilité donnée par la Constitution de déchoir des personnes nées françaises de leur nationalité ?

    Sarkozy, lui-même, pose ses conditions pour que LR vote la réforme constitutionnelle. Il exige notamment que la possibilité de déchéance de la nationalité concerne non seulement les personnes reconnues coupables d’un crime relevant du terrorisme, mais aussi celles qui ne seraient coupables que d'un simple délit. Valls malheureusement vient de répondre positivement à cette demande de la droite.

    Le FN n’avait pas hésité en 2001, après que la Marseillaise ait été sifflée lors d’un match amical France-Algérie, à demander que les coupables binationaux soient déchus de leur nationalité française. Il avait récidivé en 2008, après un match France-Tunisie. Modifier la Constitution serait ouvrir la porte à la multiplication, par une simple loi, des cas auxquels s’appliquerait la déchéance de la nationalité.

    Le juge Marc Trévidic insiste, également, sur le caractère particulièrement flou de la notion juridique de « terrorisme » et attire l’attention sur le fait qu’un régime autoritaire pourrait fort bien, demain, qualifier ses opposants politiques de « terroristes ».

    La constitutionnalisation de l’état d’urgence

    La constitutionnalisation de l’état d’urgence paraît poser moins de problème que la déchéance de la nationalité. Elle est, pourtant, au moins aussi dangereuse. Il ne s’agit pas, en effet, comme l’affirme le gouvernement, de simplement inscrire dans la Constitution la loi de 1955, modifiée lors du vote par le Parlement prolongeant l’état d’urgence, le 20 novembre 2015. Le prétexte avancé par le gouvernement est de « sécuriser cette loi » du 20 novembre, alors qu’elle est parfaitement sécurisée sur le plan juridique, puisque le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État n’y ont fait aucun obstacle. C’est donc de tout autre chose dont il est question.

    L’objectif est de constitutionnaliser la possibilité pour la loi de « moderniser » (selon le terme employé dans le projet de loi de révision constitutionnelle du 23 décembre 2015) l’état d’urgence, c’est-à-dire de donner encore plus de pouvoir aux préfets, à la police et à la gendarmerie, aux dépens du juge. Une nouvelle loi qui « moderniserait », ou plutôt durcirait, en fait, la loi du 20 novembre 2015, sans cette révision constitutionnelle, ne pourrait que se heurter à des décisions défavorables du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat. C’est pourquoi François Hollande et Manuel Valls veulent inscrire l’état d’urgence et la possibilité de le « moderniser » dans la Constitution.

    Le juge, essentiellement le juge administratif, ne peut intervenir qu’a posteriori et dispose de pouvoirs très limités. Un « Collectif d’une dizaine de juges administratifs » a pris le risque de sortir de la réserve imposé aux magistrats pour affirmer dans Mediapart, le 29 décembre 2015 : « C’est ainsi qu’imperceptiblement, l’équilibre entre ordre public et libertés publiques se déplace. Et nous nous retrouvons, juges administratifs, dotés d’une responsabilité accrue sans avoir véritablement les moyens de l’assumer ». Le « contrôle du juge » évoqué par le projet de loi du 23 décembre n’a donc rien de vraiment de rassurant, alors que les emballements, les dérapages et les erreurs du dispositif mis en place se multiplient, et que l’interdiction quelque peu discrétionnaire du droit de manifester laisse planer une sourde menace sur les mobilisations syndicales et citoyennes.

    Si le projet constitutionnel était adopté par le Congrès, un régime autoritaire, parvenu au pouvoir en 2017 ou en 2022, pourrait modifier les limites (déjà très extensibles puisqu’il a été possible, avec l’accord du Conseil d’État, d’assigner des militants de l’écologie à résidence), l’accroissement des pouvoirs de l’appareil répressif et la durée de l’état d’urgence, par une SIMPLE LOI ! Il n’aurait pas à franchir l’obstacle d’une majorité des 3/5e des députés et des sénateurs, ou d’un référendum, mais simplement celui d’obtenir la majorité simple à l’Assemblée nationale.

    François Hollande était infiniment plus près des valeurs socialistes lorsqu’il cosignait une Tribune de Libération du 13 septembre 2010, répondant à Nicolas Sarkozy qui, dans son discours de Grenoble avait voulu étendre les possibilités de déchéance de la nationalité française : « Pour la première fois au plus haut niveau de l’État, il aura été publiquement affirmé qu’il existe des « Français de souche » et des « Français de papier », comme le clame le Front national depuis sa création et au risque de crédibiliser ce dernier ».

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