GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Intervention de Gérard Filoche

Bonjour, je suis le premier à parler, mais je dois partir tôt ce soir ; nous sommes moins nombreux que la semaine dernière, et pourtant cette question de la déchéance de la nationalité qu’en savons-nous ? Rien. Pas plus que les 4 et 18 janvier ? Nous n’avons pas voté au BN, la semaine dernière, cela nous a été refusé, alors qu’au moins 98 % du BN était contre. Le premier secrétaire a rencontré le président vendredi dernier, mais que savons-nous ? La seule réponse catégorique a été faite par Sarkozy sur le perron de l’Elysée, affirmant que la déchéance de nationalité pour les binationaux restait prévue, à inscrire dans la Constitution. Mais alors à quoi servons-nous ?

À quoi servons-nous ? Jean-Christophe, tu avais dit que le parti devait « anticiper », étudier en amont les dossiers, donner son avis, peser… mais là, on ne pèse même pas en aval ! Rien à faire : on assiste médusés, à la déchéance de la nationalité, à la casse des 35 h, à la casse de la majoration des heures supplémentaires, à la mort du Code du travail en tant que tel. Enfin, Jean-Christophe, toute ta vie politique, comme l’essentiel de nos combats, sont désavoués en ce moment !

Alors Guillaume, ce n’est pas à toi, ni à ton rapport, ni à ta personne que je m’en prends, mais à quoi ça sert de nous lancer dans une rédaction collective des « cahiers présidentiels » pour 2017 et de travailler comme si de rien n’était à un futur programme, alors que l’ancien de 2012 est foulé aux pieds, n’a servi à rien, et a même été délibérément trahi sur tous les points. On a tous en tête, les images du travail du dimanche, de Mittal, de Goodyear, des 35 h, du 49-3 et de dizaines de sujets où le président disait exactement en 2012 tout le contraire de ce qu’il fait aujourd’hui.

On ne va pas ensemble préparer une campagne 2017 sans savoir si les 35 h seront brisées ou confirmées. Et il faut être clairs : il n’y a pas de « candidat naturel ». Ce n’est pas à un ministre désigné par lui de le « nommer » « candidat naturel » sans les primaires prévues par nos statuts. Et sans qu’on fasse de bilan. Et sans qu’on fasse un programme. D’ailleurs, est-ce avec « toute la gauche » ou est-ce que le « referendum » pour l’unité à gauche est déjà du passé ?

Parce que l’évènement d’aujourd’hui a été préparé toute la semaine à Davos. Manuel Valls annonce que les 35 h sont « dégoupillées »… comme il l’avait proposé minoritairement il y a 5 ans. Le ministre Macron nous tape dessus à chaque intervention : il s’affiche à Davos aux côtés de son ami le mafieux méprisant, Travis Kalanick, qui dirige Uber, viole nos lois, fraude nos impôts, détruit illégalement les droits des taxis. Il explique qu’il faut appauvrir les salariés pauvres et ne plus leur payer d’heures supplémentaires majorées. Qu’il faut « travailler plus sans gagner plus ». Alors que les marges des entreprises sont reconstituées comme jamais. Alors qu’il a été donné 41 milliards de CICE au patronat qui supprime chaque jour des emplois. L’un comme l’autre, Valls et Macron, contre toutes les traditions de toute la gauche, contre toute l’histoire du progrès social, s’apprêtent à mettre fin à la durée légale du travail, aussi bien de 35 h que de 48 h, y compris à la durée annuelle « oubliée » de 1600 heures. Il y aura mille codes, autant d’accords que d’entreprises et pas de droits universels ; le règne des dérogations et le renversement de la hiérarchie des sources de droits sont consacrés. L’exploitation à la carte sans état de droit aussi.

Sarkozy avait essayé déjà cela, il y a 5 ans. Il avait permis que soit abaissé par accord le taux des heures sup de 25 % à 10 %, appauvrissant les salariés soumis à des heures sup - Fillon et lui avaient envisagé un « taux zéro » alors, mais ils y avaient renoncé, car même eux savaient que les esclaves, quand ils travaillaient plus, avaient droit à un « bonus ». Les 35 h, ça n’est pas du tout une limite à la durée du travail, hélas, ce n’est QUE le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Et là, le rapport Badinter prévoit une « compensation » à la place d’une « majoration », ce qui indique que le taux zéro est plus qu’envisagé ; il est déjà dans le préambule du futur non-code du travail.

Où en sommes-nous en tant que parti si nous laissons casser les 35 h ? Vous imaginez ce que cela signifie historiquement ? La loi la plus avancée que nous avons conquise avec toute la gauche ? La seule loi qui ait vraiment fait baisser de façon incontestable le chômage de masse en 40 ans ? Les 40 h, les 39 h, les 35 h, c'est la gauche, et il faut maintenant aller vers 32 h et 30 h vite, car le chômage monte chaque jour et 400 000 jeunes vont arriver sur le marché du travail chaque année, jusqu’en 2030 au moins… Encore que l’an passé il y ait eu 50 000 naissances de moins (à cause des mesures contre les allocations familiales ?) et 40 000 morts de plus (à cause du recul de l’âge de départ en retraite, du coût des soins pour les catégories pauvres, de l’absence de moyens contre la canicule ?). Mais ce n’est pas le modèle de société que nous voulons, n’est-ce pas ? Nous voulons un partage du travail, et pas une « élite salariée » et une nébuleuse d’auto-entrepreneurs autour, comme disent Attali et Macron, ou d’« uberisés » ? Nous ne voulons pas baisser le coût du travail en abaissant les droits des salariés. Ni baisser encore plus le coût du travail, de 50 %, en cassant le salariat lui-même pour favoriser des « indépendants » sans droits ni lois, ni horaires, ni salaires.

Nous avons une idée du progrès social, nous n’allons quand même pas laisser un recul social massif se mettre en place, d’ailleurs sans effet ni lien avec les objectifs affichés. Le chômage augmente, la misère aussi, la fameuse « dette » aussi – de 14 points. L’austérité ne sert à rien, sauf à bloquer l’économie entière.

Alors à quoi sert cette offensive que personne n’a demandée, à part Gattaz et le Medef, contre le Code du travail ? La droite a déjà, de son point de vue, recodifié le Code entre 2004 et 2008, supprimé 500 lois, enlevé 1,5 million de signes, enlevé un livre sur neuf, enlevé 10 % du Code, s’est félicitée de l’avoir réduit, simplifié, etc. Ça n’a évidemment rien donné en emplois, puisque quand il y a dérégulation, le chômage augmente.

Badinter mélange droit civil et droit du travail, droit commercial et protection des salariés. Ce n’est pas à droits constants, cela casse un siècle de droit du travail. C’est la mort du « code », en tant que tel. Les salariés sont présumés à « égalité de droits » avec l’employeur, alors que chacun sait qu’il n’y a pas d’égalité de droits dans les entreprises. La subordination caractérise le contrat de travail, et non pas la « liberté des personnes » : ce n’est pas la « soumission librement consentie », « compliance without pressure » comme en rêve le Medef. Le plus important n’est pas de commencer chronologiquement par le respect de la vie privée, y compris la liberté de manifester ses convictions religieuses, mais par la santé, l’hygiène, la sécurité au travail. La commission Badinter-Combrexelle raye la médecine du travail et l’indépendance de l’inspection du travail même pas mentionnée. Il n’y a plus de règlement intérieur disciplinaire. La gestion des carrières est du ressort unique de l’employeur qui « assure l’adaptation du salarié à l’évolution de son emploi » (sic). Le même rapport n’envisage qu’en termes négatifs la grossesse et le congé maternité. Il envisage que la loi déroge au travail des enfants « en dessous de 16 ans… », sans mettre de limite d’âge. La période d’essai est « raisonnable », la durée du travail est « normale ». Il n’est pas précisé que le licenciement se fait par écrit, ni qu’un licenciement abusif peut donner lieu à recours, indemnités ou réintégration (ce qui est aussi un droit fondamental, convention OIT 158). Les institutions représentatives du personnel sont ignorées, les « délégués » ne sont même pas mentionnés, contrairement à la Constitution. Ni les CE, les CHSCT, les DS, les élus au CA. Le droit du licenciement, la mensualisation n’existent plus. Les responsabilités de l’employeur, la faute inexcusable, le droit pénal du travail, tout cela est absent. Les conflits peuvent ne plus relever de la juridiction prud’homale.

En fait la divergence est théorique, fondamentale, historique : depuis la catastrophe de Courrières en 1906 (1099 morts et 13 survivants retrouvés 12 jours plus tard alors que le patron avait déjà exigé la reprise du travail), nous avons créé en France un ministère du Travail indépendant du ministère de l’Economie, pour que le droit du travail ne soit plus subordonné aux exigences de l’économie. Cela fait cent ans que l’on construit un droit du travail, des salariés, pour les protéger, dans une relation inégalitaire, des pressions de la rentabilité, de la compétitivité, de la productivité dangereuses pour leur santé, leur emploi, leur vie. Or François Hollande, dans sa conférence de presse de septembre 2015, a déclaré qu’il fallait adapter le droit du travail aux besoins des entreprises. Exactement le contraire de ce que nous avions fait en France depuis cent dix ans. C’est une rupture avec les fondements mêmes du Code. Sommes-nous sûrs, nous qui fêtions le centenaire du Code en 2010, de vouloir aller en sens contraire ? Sommes-nous sûrs de l’ensemble de ces choix réactionnaires dans lesquels nous nous engageons contre toutes les traditions de notre parti ? Cent ans d’histoire de notre parti et surtout du droit social se jouent. Est-ce que nous ne pouvons dire stop à l’exécutif, lui dire que nous ne voulons plus aller à contre-sens, que nous voulons rester socialistes et à gauche ? Que sinon, en 2017, nous n’aurons plus que le choix entre LR et FN au second tour ? Et que sinon, on ne rassemblera pas la gauche, mais qu’on l’emmènera toute entière à l’abîme ?

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