GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Niger : un coup d’État anti-impérialiste ?

La brutale éviction du président Mohamed Bazoum par les militaires fait planer sur le Niger le spectre d’une intervention militaire de la CEDEAO soutenue par la France. La GDS dénonce toute ingérence extérieure qui ne pourrait être qu’une agression impérialiste. Ce qui ne nous exonère en rien d’essayer de comprendre la signification de ce nouveau coup d’État.

Le 26 juillet dernier, le chef de la garde présidentielle, Abdourahamane Tiani, a déposé sans effusion de sang, le président de la République, l’ancien syndicaliste Mohamed Bazoum, qu’il était censé protéger. Il a ensuite reçu le soutien des généraux des autres branches de l’armée, incertains au départ, puis l’appui de la jeunesse urbaine pauvre de Niamey, avide de changement.

Le régime du président Bazoum était considéré, en France, comme un modèle de démocratie au Sahel. A. Tiani était un fidèle de l’ancien président Mahamadou Issoufou (2011-2021), qui l’avait nommé à la tête de la Garde présidentielle en 2011. Bazoum, élu le 2 avril 2021, l’y avait maintenu. Pendant une décennie, Tiani a veillé sur le pouvoir de ses maîtres et amassé une fortune. Il faisait partie du système. Alors comment comprendre ce quatrième coup d’État militaire victorieux en Afrique occidentale depuis 2021 ?

Paradoxes nigériens

Il y a eu une série de coups d’État en Afrique occidentale depuis 2021 : en Guinée, 5 septembre 2021 ; au Mali, les 18 août 2020 et 24 mai 2021 ; au Burkina-Faso, les 23 janvier et 30 septembre 2022. Il s’agit donc d’une tendance régionale nourrie par l’échec d’une démocratie de façade, bien sûr encore fragilisée au Sahel par l’avancée djihadiste.

Mais cela a été surtout vrai au Mali et au Burkina-Faso, où les coups d’État furent liés à la dégradation de la situation militaire qui poussait les militaires à vouloir négocier avec les groupes djihadistes, provoquant des tensions croissantes avec la France dont l’intervention militaire pourtant ne pouvait en rien démontrer son efficacité. Personne ne s’est posé la question de savoir pourquoi les islamistes avaient de toute évidence réussi à obtenir une base sociale dans certains segments de la population, pourquoi il s’agissait donc de vraies guerres civiles et pas seulement d’« agressions terroristes » – même si des actes terroristes sont commis de part et d’autre. Les militaires putschistes n’ont pas répondu davantage à la question : au moment de prendre le pouvoir, les uns et les autres faisaient entièrement partie du système corrompu et néocolonial.

Au Niger, la situation militaire s’était pourtant plutôt améliorée ces dernières années, notamment grâce à des négociations locales avec des insurgés réalisées par le président déchu. La mise en service de l’oléoduc Niger-Bénin à l’automne 2023 devait rapporter beaucoup d’argent. Mais la situation sociale restait extrêmement précaire avec un régime certes civil, mais autoritaire – lors d’une élection précédente, le principal candidat de l’opposition avait tout simplement été invalidé –, avec un parti dominant, le PNDS-Tarayya (Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme), membre de l’Internationale socialiste. Avant le putsch, 4,4 millions de personnes (sur 25 millions) étaient en situation d’aide par les organisations internationales, avec de graves problèmes sanitaires depuis les inondations de 2022, avec un considérable afflux de réfugiés dû aux avancées islamistes dans les pays voisins du Sahel.

Démagogie militaire

Mais le néo-souverainisme des militaires put facilement défendre l’idée que bouter l’ancienne puissance coloniale hors du pays suffirait à permettre l’émancipation, fut-ce à l’aide de mercenaires russes. En effet, comme l’a écrit Achille Mbembe, philosophe et historien camerounais, dans Le Monde, le 4 août dernier : « Face à l’enchevêtrement de crises, la démocratie électorale n’apparaît plus comme un levier efficace des changements profonds auxquels aspirent les nouvelles générations. Truquées en permanence, les élections sont devenues la cause de conflits sanglants. Les expériences démocratiques récentes n’ont guère permis de juguler la corruption. Au contraire, elles s’en sont nourries et ont légitimé la perpétuation au pouvoir d’élites anciennes, responsables des impasses actuelles. Dans ces conditions, les coups d’État apparaissent comme la seule manière de provoquer le changement, d’assurer une forme d’alternance au sommet de l’État et d’accélérer la transition générationnelle ».

Le Niger n’a jamais connu durablement un régime démocratique stable et capable de satisfaire un tant soit peu les besoins sociaux. Depuis l’indépendance en 1960, les militaires ont pris quatre fois le pouvoir (sans parler de tentatives avortées de putsch – la dernière deux jours avant l’investiture du président Mohamed Bazoum à présent déposé, fin mars 2021). Ce dernier coup d’État a cependant surpris les observateurs, y compris les « grandes oreilles » de la France et sa cause immédiate aurait été – les sources divergent – que le président Bazoum s’apprêtait à limoger le chef de sa garde présidentielle A. Tiani, mais aussi voulait plus généralement une réforme de l’armée et plus de transparence dans l’essor de la production pétrolière. Serait-ce alors un coup d’État en réalité conservateur ?

Le refus du néocolonialisme

Les militaires nigériens ont tenu des discours souverainistes hostiles à l’ancienne puissance coloniale et à ses bases militaires dans le pays, mais n’ont rien dit sur les bases américaines ni annoncé quelque mesure que ce soit en faveur du petit peuple. Ils n’ont pas révisé les accords sur l’uranium. Pourtant, cela leur a suffi pour obtenir le soutien d’une jeunesse urbaine très pauvre et mobilisée par les réseaux sociaux.

En effet, le ressentiment contre la France est profondément enraciné en raison des souvenirs de la colonisation. Comme l’a remarqué l’historienne Camille Lefèbvre, « beaucoup en France semblent ne pas mesurer ce qu’a été la colonisation au Niger ». La suite n’a pas été meilleure. Par exemple récemment, lorsque Orano (ex-Areva) a fermé temporairement la mine d’uranium à Imouraren, expliquant attendre une remontée des prix du minerai pour l’exploiter à sa convenance, cela a eu des effets dramatiques sur l’économie de cette région qui s’est retrouvée précarisée.

Sans parler des conséquences catastrophiques en matière de santé publique sur le long terme que représente l’exploitation de l’uranium dans le nord du Niger. Camille Lefèbvre prévient : « Une grande partie des Nigériens [étaient] d’abord en colère contre leur propre gouvernement. Beaucoup considèrent que depuis plus de dix ans, ceux qui [étaient] au pouvoir se sont comportés en prédateurs, accumulant par le biais de la corruption et du clientélisme des richesses énormes et laissant la population dans une pauvreté immense. […] Depuis plusieurs années, une colère sourde monte notamment dans la jeunesse, très largement majoritaire dans le pays, une jeunesse peu éduquée, qui ne vote pas […]. L’un des moteurs de cette colère a notamment été le redéploiement des troupes françaises ayant quitté le Mali au Niger. Ces dernières années un discours de plus en plus construit circule sur le vol des richesses du Niger par la France. [Il y a] une vraie émergence d’une volonté de rompre la relation inégale avec la France et de se construire loin de l’ancien colonisateur. Il est important de percevoir qu’une partie de ces discours échappent aux analystes […], parce qu’ils ont lieu majoritairement sur WhatsApp […] dans une langue africaine (haoussa, zarma, etc. » (Mediapart, 6 août 2023)

Et maintenant ?

Les militaires nigériens ont ensuite avancé bien plus rapidement que leurs congénères maliens et burkinabés. Ils ont nommé très vite un Premier ministre civil, composé un gouvernement, soudé la population contre les sanctions de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et l’ennemi extérieur symbolisé par la France. Dans ces conditions, une intervention militaire de la CEDEAO risque d’être extrêmement sanglante. Or cette dernière aurait besoin du soutien du contingent français et ce n’est certainement pas l’ancienne puissance coloniale qui saurait intervenir « au nom de la démocratie ».

Les militaires nigériens qui viennent de prendre le pouvoir ne sont ni anti-impérialistes ni progressistes. Mais le soutien actuel et les exigences de la population pourraient les pousser à quelques bonnes mesures. Ils ont arrêté une série de dirigeants du PNDS et le degré de liberté des anciens partis d’opposition – qui se sont ralliés au coup d’État – et des organisations de la faible société civile et des syndicats reste à examiner. Plutôt que de savoir si l’ancien président légal, Mohamed Bazoum, doit être remis en selle – il ne pourrait l’être que par une intervention extérieure –, c’est la question des droits démocratiques qui doit maintenant attirer l’attention.

Mais pour cela même, les militants progressistes nigériens doivent savoir que nous autres, militants français, disons : « Troupes françaises hors d’Afrique », que ce soit au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Tchad, à Djibouti ou au Niger. Nous aussi, nous voulons que le franc CFA soit aboli et que l’Agence française de développement soit profondément réformée pour ne plus être une banque, mais un fonds de soutien aux initiatives sociales et aux ONG nationales. Aujourd’hui, les sanctions de la CEDEAO bloquent l’acheminement de l’aide aux civils.

– Non aux sanctions qui touchent la population !

– Troupes françaises, américaines et russes, hors d’Afrique !

– Liberté d’expression, de revendication et d’action pour les syndicats et la société civile.

Cet article de notre camarade Michel Cahen est à retrouver dans le numéro 307 (septembre 23) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale.

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Y a-t-il dans l’histoire des coups d’État militaires progressistes ?

Cela a pu arriver, mais dépend énormément des contextes, du mouvement social dans le pays, mais aussi de l’histoire et de la sociologie de l’institution militaire. L’Amérique latine foisonne ainsi de coups militaires plus ou moins progressistes, plus ou moins nationalistes et anti-impérialistes, comme celui de Juan Velasco au Pérou en 1968, la première tentative de Hugo Chavez au Vénézuela en 1992 (évidemment, il y aussi encore bien plus de coups d’État réactionnaires ou même fascistes, comme celui de Pinochet au Chili dont on « fête » le cinquantenaire ce 11 septembre 2023). En Europe, il y a l’exemple du coup d’État militaire du 25 avril 1974 au Portugal, qui mit fin à 48 années de fascisme et à treize ans de guerre coloniale et surtout provoqua – ce que les militaires n’avaient pas prévu – le formidable processus de révolution permanente (1974-1975) dénommé « Révolution des Œillets ». En Afrique, au Burkina-Faso, on peut citer le coup d’État du 4 août 1983 de Thomas Sankara, leader de l’aile progressiste de l’armée, rapidement soutenu par une foule en liesse, qui forma un gouvernement avec des partis de gauche, y compris d’ex-étudiants maoïstes rentrés de France – qu’il réprimera par la suite. L’expérience sankariste, pour limitée qu’elle soit, a certainement été l’épisode le plus progressiste portée par des militaires en Afrique. On ne peut pas dire que la situation soit comparable aujourd’hui au Niger.

M.C

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Dernière minute : coup d’État au Gabon

Quatre jours après les élections frauduleuses du 26 août, sans la présence d’aucun observateur extérieur, avec les réseaux sociaux coupés et le couvre-feu, la Garde républicaine, a pris le pouvoir et mis en « retraite d’office » le président-dictateur Ali Bongo Ondimba. Il y a des points communs avec le Niger : le chef des mutins, le colonel Brice Oligui Nguema, faisait parfaitement partie du régime, il avait été appelé à la tête de la Garde républicaine après la répression de la contestation électorale de 2016. Mais le contexte est différent : ce coup d’État annule le « scrutin » caricatural et met fin au régime dynastique des Bongo, mis en place par la France. S’il n’y a rien à attendre du colonel Nguema, l’exigence de démocratie est en revanche criante dans la population.

M.C.

 

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