GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Face aux contre-feux macronistes, unifier par les discours

Dans le cadre du travail que nous menons en commun, les camarades de Picardie debout, la formation politique lancée par notre ami François Ruffin, nous ont proposé une carte blanche mensuelle à insérer dans nos colonnes. Ils traitent dans cette livraison de nôtre tâche politique n° 1.

En juin dernier, après six mois de batailles des retraites, les macronistes n’ont pas lancé les états-généraux du travail. Non, à la place, ils ont préféré les Assises de la dépense publique (sic !). Avec cette bonne nouvelle à la clé : « Ouvrir un chantier pour limiter les arrêts maladie ». Ils auraient grimpé, en dix ans, de six à huit millions. Élisabeth Borne et Bruno Le Maire prenaient des airs sévères : les travailleurs tire-au-flanc étaient dans leur viseur, ils allaient mater tout ça. Le patron du Medef applaudissait : « Il y a trop d’arrêts de travail de complaisance en France. Surtout chez les jeunes ».

De la faute des malades, bien sûr. Des travailleurs. Et des jeunes. Des petites natures, tous ces feignants. Les causes, elles, ne seront pas traitées. Que cherchent-ils ? Des petites économies, certes, sans doute. Mais surtout, des gains politiques, cyniques.

Diviser pour régner

Durant le mouvement contre la réforme des retraites, nous avons retrouvé une « bipartition de l’espace social » : nous, contre eux. Nous, les travailleurs, nous, le bas, nous rassemblés, deux tiers des Français, quatre cinquièmes des salariés, tous les syndicats unis, des millions de personnes dans la rue, contre eux, en haut, à Paris, et en vérité : nous tous contre Macron, presque seul.

Il leur fallait, à la macronie, à la droite, le plus vite possible, casser cette unité. Retrouver « la tripartition de l’espace social » : nous, eux, ils. Retrouver le « ils » en bas. Les « cas sociaux ». Les immigrés. Les fraudeurs. D’où, très vite, Le Maire qui s’en prend aux mandats envoyés à l’étranger. D’où Ciotti-Retailleau-Marleix et leur une-tribune sur l’immigration. D’où Attal sur la fraude sociale et aujourd’hui sur l’abaya à l’école. D’où le RSA dans le collimateur de France Travail. D’où, enfin, les arrêts maladie. Que les regards de la France du milieu se tournent vers le bas. Qu’on stimule la petite jalousie. Et qu’on oublie à nouveau le haut.

Samuel Legris, docteur en sociologie, a mené une étude sur les ronds-points dans son coin, le Berry. Y domine une « vision tripartite du monde social » : « ceux d’en bas / nous / ceux d’en haut ». Cette « conscience sociale triangulaire » constitue, pour lui, « le principal obstacle à l’unification d’un bloc populaire ».

Comment cette « conscience sociale triangulaire » se traduit-elle dans les discours des gens ? Il y a ce « nous » des Gilets jaunes, ce « nous » des travailleurs modestes. Qui s’opposent au « eux » d’en haut, au gouvernement, aux élites, qui les taxent, qui les étouffent. Mais qui s’en prennent, aussi, par facilité, par proximité, aux « ils », les « assistés », les « immigrés ». Et recréent une frontière sociale, morale même, entre ce « nous » qui « bosse », « paie », « se prive », « préserve », « respecte », « joue le jeu », et un « ils » qui « glande », « dépense », « profite », « détruit », « méprise », « triche ».

Convaincre pour unifier

C’est ce rôle que nous devons jouer dans le pays tout entier. Unifier. Unifier le bloc populaire. Unifier le milieu et le bas, et même le haut, pour celles et ceux que la vie a servis et qui veulent servir en retour, servir un idéal de justice pour toutes et tous, une nation sans exclusion. Unifier la France des bourgs et celle des tours. Unifier, contre toutes les forces centrifuges, de division, d’éclatement.

Unifier par les discours, il le faut, mais aussi par du commun, par le « faire-ensemble » : les Français, les habitants de ce pays, doivent vivre de leur travail. De leur travail selon leurs moyens, pas forcément à temps plein, pas seulement sur un « marché du travail » qui trie, qui éreinte, qui rejette, qui fragilise les plus fragiles, mais aussi par des emplois aidés, par des territoires zéro chômeurs, par un accompagnement qui, dans le grand changement qu’il nous faut, ne néglige aucun talent : bricoler, cuisiner, jardiner, creuser, s’occuper de nos enfants ou de nos aînés. Chaque geste, chaque plaisir, à chaque instant, repose sur le travail des autres, sur la masse colossale du travail des autres, et c’est ainsi que nous faisons société.

Notre conviction, c’est que la bataille écologique, la sauvegarde de notre planète, le défi du réchauffement, réclament le même effort. Cette transformation de notre agriculture, de notre industrie, de nos logements, de nos déplacements, réclame du travail, une masse de travail, haies à planter, passoires thermiques à isoler, et que chacun doit y prendre sa part : du haut avec ses capitaux au bas avec sa main d’œuvre, le peuple français tout entier doit y participer. De quoi chasser le sentiment d’injustice qui, aujourd’hui, sinon pourrit, du moins assombrit le cœur des travailleurs.

Cet article de Guillaume Ancelet, président de Picardie debout, a été publié dans le numéro 307 (septembre 23) de Démocratie&Socialisme, la revue de la gauche démocratique et sociale.

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