GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Libertés

« Ne parlez pas de violences policières »

Nous sommes en 2019 et c’est en ces termes que le président de la République s’exprime : « Ne parlez pas de répression ou de violences policières. Je refuse ce terme ». Nous, nous refusons les violences policières. Point d’étape sur le déni du pouvoir face à la réalité constatée, la plus grande visibilité des faits de violences imputables à des policiers.

Asséner un mensonge n’en fait pas une vérité, voilà une constante du pouvoir en place. En matière de violences policières, on détient peut-être – et très malheureusement – un record de prises de parole du président Macron et de ses ministres réfutant purement et simplement la vérité. Cette dernière, outre qu’elle est documentée par des journalistes exemplaires et vigilants, inonde les réseaux sociaux. Souvent crues et glaçantes, les images montrent une brutalité policière banale, dont les racines idéologiques, politiques et sociales sont extrêmement profondes.

Ceci n’est pas une bavure

L’un de ces journalistes – le très médiatique David Dufresne – explique dans un roman paru il y a deux ans comment il a pris conscience de cette banalité et s’est attaché à donner à voir, via son compte Twitter, la réalité des violences dès le démarrage du mouvement des Gilets jaunes1. Interpellant le ministère de l’Intérieur à chaque tweet par un « Allô, Place Beauvau », il dénombre ainsi près de mille situations de citoyennes ou citoyens qui, en deux ans, ont été violentés par des policiers.

Descentes de police musclées dans les quartiers, mouvements sociaux réprimés, contestations de grands projets d’aménagement matés par la force, résurgence des questions de racisme… Ce sont bien des questions systémiques qui sont posées à la police. Si certaines populations victimes essayaient depuis longtemps d’alerter, leurs alertes étaient restées vaines. Mais l’intensification des signalements et la diversité des personnes ayant à subir des violences a permis au sujet d’émerger. N’en déplaise au président Macron, qui souhaiterait qu’il reste dans l’ombre.

Les chiffres des violences policières sont difficiles à obtenir et interrogent quant à leur fiabilité. D’abord, parce que traditionnellement, nous l’avons écrit, les personnes concernées étaient plutôt aux franges de la société, voire en rupture comme peuvent l’être des personnes commettant des délits. Si rien ne justifie qu’une personne ayant commis un fait délictueux puisse subir en retour la violence des policiers, sa crédibilité sociale lors d’une confrontation avec la parole d’un policier est toujours mise à mal. Vous connaissez l’adage de La Fontaine « Selon que vous serez puissant ou misérable Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Et puis, parce que les constatations des violences de policiers incluent nécessairement leur prise en compte par des policiers eux-mêmes. Une victime porte plainte auprès du commissariat de police, donc de policiers. Les motifs retenus et les suites à donner sont aussi le fait de policiers.

Sentiment d’impunité

Des analyses sociologiques quantitatives anglo-saxonnes2 ont tenté d’objectiver les facteurs environnant le passage à l’acte : le lieu ou l’horaire, la présence ou non de témoins oculaires potentiels, l’isolement des personnes victimes de violences illégitimes des policiers. Concrètement, ils établissent que le degré de force physique employée est corrélée à l’horaire de l’intervention. La nuit, la violence augmente. Ils établissent que le motif d’arrestation induit le niveau de force. L’intervention policière pour trafic de stupéfiants inclut souvent de la violence, etc. L’objectivation des facteurs environnants est une des clés utiles à la recherche de solutions d’apaisement, mais, en France, peu de données existent. Comme si le débat n’existait pas. Comme si les violences policières n’existaient pas. Comme si le président Macron avait raison.

Pire, les données chiffrées des sanctions administratives des policiers viennent confirmer le discours de déni. En 2019, la justice a confié à l’IGPN3 près de 1 500 enquêtes dont la moitié pour des faits de violences volontaires de policiers. Seules 150 d’entre elles4 ont abouti à des reconnaissances d’un « usage disproportionné de la force ». Dans le cadre de ces 150 enquêtes, ce sont quelque 1 600 sanctions qui ont été prononcées : des avertissements, en majorité, et des blâmes. En 2019 toujours, année du mouvement des Gilets jaunes, le nombre d’enquêtes judiciaires menées en parallèle des enquêtes administratives a augmenté. Cependant, aucun chiffre officiel du ministère de l’Intérieur n’existe sur la réalité des condamnations pénales, à l’issue des procès – quand il y en a…

Notre conviction

Des media se sont emparés du sujet en glanant les données auprès de chaque tribunal. C’est ainsi qu’on apprenait qu’en 2018, sur 334 saisines mettant en cause des policiers, le parquet de Bobigny a renvoyé une vingtaine de situations devant le tribunal correctionnel et a fait une dizaine de rappels à la loi. La plupart des policiers sanctionnés le sont parce qu’il existait des images5.

En ce sens, la loi « sécurité globale », qui restreint de fait la capacité à rendre compte, appareil photo ou caméra au poing, des situations qui concerneraient des policiers en action, est à combattre. Seul l’apaisement est de nature à assurer la protection des personnes par la police. Il passe par une stratégie nouvelle de maintien de l’ordre dans les manifestations sociales ou aux abords des manifestations musicales ou sportives. Cette stratégie doit notamment reposer sur un désarmement des policiers du maintien de l’ordre et la création d’une police de proximité postée, qui connaît les quartiers où elle travaille.

C’est aussi par un plan de recrutement au sein de la police nationale, une réforme de la formation des élèves policiers et une discussion sur les contours des missions de la police que nous pourrons réaffirmer une autorité politique sur les forces de l’ordre.

Cette discussion ne peut éluder la présence importante de fonctionnaires de police dont les valeurs ne sont pas solubles dans nos valeurs collectives : c’est donc aussi un discours sur l’intransigeance de la République quant aux obligations des fonctionnaires qui doit être porté publiquement. De ce point de vue, il convient, en prenant le contre-pied du déni présidentiel, d’ouvrir la voie à un débat à gauche qui prépare les élections présidentielles de l’an prochain. Aux prémices du débat, ce constat : il existe des violences policières. Et une orientation univoque : nous ne les tolérons pas.

Cet article de notre camarade Marlène Collineau est paru dans le dossier ("le déni élevé au rang de politique") du numéro de mars 2021 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

1.David Dufresne, Dernière sommation, Grasset, 2019.

2.Pour une études des plaintes de citoyens en Australie, voir Tim Phillips et Philip Smith, « Police violence occasioning citizen complaint. An empirical analysis of time-space dynamics », The British Journal of Criminology n° 40, 3 (2000), p. 480-496.

3.Inspection générale de la police nationale.

4.Rapport d’activité 2019 de l’IGPN (https://www.interieur.gouv.fr/Publications/Rapports-de-l-IGPN/Rapport-annuel-d-activite-de-l-IGPN-2019).

5.Mathilde Goupil, « L’IGPN innocente-t-elle systématiquement les policiers ? », 20 août 2019, www.lexpress.fr.

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