GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Martin Luther King, l'insoumis

Nous reproduisons ici la chronique « Internationales » de notre ami Philippe Marlière, professeur de sciences politiques à l'University College de Londres. Cet article est paru dans la revue Démocratie&Socialisme n°222 de février 2015.

La jeune cinéaste Ava DuVernay vient, avec Selma (2015), de réaliser un très grand film consacré à un épisode crucial de la lutte des Noirs pour l’égalité civique aux États-Unis. Cette œuvre rompt avec la représentation aseptisée de Martin Luther King, l’orateur œcuménique de I Have A Dream, et redonne au combat de King sa dimension révolutionnaire et pleinement spirituelle.

Héro et paria

Le rôle principal est joué par David Oyelowo, qui incarne King de manière émouvante et subtile. L’acteur britannique recrée le pasteur baptiste tel qu’il était : il met en scène son militantisme intelligent et courageux, ainsi que sa stratégie spirituelle qui repose sur un appel à la décence, à la tranquille humanité des religieux et des laïcs.

L’action débute à Stockholm en 1964. Accompagné de son épouse Coretta (Carmen Ejogo), Martin Luther King s’apprête à recevoir le prix Nobel de la paix. Respecté et admiré dans le monde, King est presque un paria dans son pays. De retour aux États-Unis, il décide de mener campagne en faveur du droit de vote des Noirs dans le sud du pays. En 1965, il se rend à Selma, petite ville dans l’État ultra-conservateur d’Alabama.

Martin Luther King est reçu à la Maison blanche par le président Lyndon B Johnson (joué par un autre acteur britannique, Tom Wilkinson), fraîchement élu. Le militant des droits civiques demande au président de faire cesser ces pratiques discriminatoires et illégales. Johnson, alors engagé dans la guerre du Vietnam, botte en touche, estimant que le droit de vote est “techniquement” déjà accordé à travers le Civil Rights Act de 1964. Sans soutien politique, King n’a pas d’autre choix que de mener la lutte sur le terrain.

Un pays institutionnellement raciste

Le sud des États-Unis, au milieu des années 60, est institutionnellement raciste ; un racisme encouragé par le gouverneur réactionnaire George Wallace (Tim Roth). Ce mode de gouvernement est mis en pratique de manière débridée par une police locale, mi-milice, mi-organisation fasciste.

Le film, qui n’est pas un biopique, se concentre sur trois marches décisives entre Selma et Montgomery, la capitale de l’Alabama, distante d’une soixantaine de kilomètres. Lors de la première marche, King est absent. Les manifestants – tous Noirs – empruntent le pont Edmund Pettus (qui était le dirigeant local du Ku Klux Klan ; ce pont porte toujours ce nom aujourd’hui). La police en tenue de combat et à cheval les attend. Sans sommation, ils chargent et frappent la foule à l’aide de bâtons entourés de fil de fer barbelé ; ils fouettent les manifestant comme du vulgaire bétail. Le président Johnson et des millions d’Américains, choqués et médusés, regardent à la télévision cette scène de pure barbarie. Cette journée sinistre fut nommée Bloody Sunday (le dimanche sanglant). Une manifestante témoigne : “les chevaux avaient plus d’humanité que les policiers”.

Marcher pour la justice

King ne se résigne pas. Il organise une autre marche et invite l’ensemble des hommes de “foi et de justice” à rejoindre le mouvement. Les manifestants noirs sont accompagnés par des représentants de toutes les religions ; des Blancs sont présents aussi. Cette fois-ci, le pasteur mène la marche. Johnson tente de le dissuader, en vain. Sur le point Edmund Pettus, la police cette fois-ci s’écarte pour les laisser passer. King s’agenouille, prie et décide de rebrousser chemin à la surprise générale. Il dira ensuite qu’il craignait des violences sur le parcours et ne pouvait donc prendre le risque de les faire subir à cette foule pacifique.

C’est le tournant, car une semaine plus tard, le président Johnson décline devant le Congrès le détail d’une loi qui inscrit dans la pratique l’égalité des droits civiques entre communautés ethniques. King veut faire approuver devant les tribunaux le droit des manifestants à marcher de Selma à Montgomery. Il gagne cette bataille judiciaire. Martin Luther King emmène 4.000 marcheurs jusque la capitale de l’Alabama et fait un discours triomphal devant la maison du gouverneur Wallace.

De Selma à Ferguson

On peut, aujourd’hui, poser la question : à quoi a servi la première présidence noire des États-Unis sur le plan de l’approfondissement des droits sociaux-économiques des Noirs ? À pas grand chose serait-on  tenté de répondre au vu de la multiplication de crimes policiers contre des Noirs, dont la grande majorité reste impunie.

À Ferguson, la ville où un policier a récemment abattu un jeune noir et a été acquitté du meurtre, la majorité de la population est noire. Pourtant, la police, la mairie ou encore les écoles sont gérées presque exclusivement par des Blancs ; les Noirs continuent de peu voter et les inégalités socio-économiques entre les Noirs et le reste de la population américaine sont plus marquées que jamais.

La présidence Obama a pourtant eu une influence positive sur une nouvelle génération de cinéastes afro-américains. Selma, Lincoln, Red Tails, The Help ou encore The Butler : autant de films post-2008 qui mettent en scène le combat des Noirs pour leur émancipation sociale et politique et qui dénoncent le racisme anti-Noir. S’il y a un effet Obama, il est peut-être là. De l’avis de cinéastes américains, de tels films auraient pu difficilement être réalisés et commercialisés dans l’avant-Obama.

Que manque-t-il alors au mouvement Noir actuel ? L’absence de leadership était flagrante lors des récentes émeutes raciales. À Ferguson, le révérend Jesse Jackson fut chaleureusement accueilli par une foule jeune, mais il fut conspué dès qu’il tenta de promouvoir son organisation. Il est vrai que Martin Luther King a été l’homme politique américain le plus déterminant du 20e siècle ; un leader insoumis et unique.

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