GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Feux croisés : Morts et vies des journalistes palestiniens

Nous publions ci-dessous la chronique Palestine de notre ami Philippe Lewandowski, parus dans Démocratie&Socialisme n°222 de février 2015.

Le thème de la liberté de la presse est revenu à la une des journaux après les tueries injustifiables qui ont marqué l’actualité française en ce début d’année 2015. Le sursaut citoyen qui s’est alors manifesté ne saurait toutefois être détourné au profit d’individus dont la présence médiatisée dans le cortège parisien relève au bas mot de l’incongruité, si ce n’est de l’obscénité, tant leur engagement démocratique demeure pour le moins sujet à caution. Il ne s’est pas trouvé grand monde pour rappeler une série de faits illustrant pourtant remarquablement les dangers de toute activité journalistique réelle, en particulier dans la région du monde à laquelle est dévolue la présente rubrique, la Palestine et Israël. Est-il nécessaire de préciser que les risques encourus varient considérablement en fonction de la nationalité ou de la citoyenneté de quiconque tente de pratiquer un métier consistant à informer le public sur une réalité qui dérange ? Le tableau qui se dresse est implacable.

Les massacres de 2014

2014, proclamée par l’ONU « année internationale de solidarité avec le peuple palestinien », a vu l’armée israélienne lancer l’opération dite « Bordure protectrice ». Il est important de ne pas en laisser le compte rendu et les images au monopole de la presse de l’agresseur, souvent complaisamment relayée par les grands médias occidentaux. Mais les Forces armées de Netanyahou sont conscientes de ce danger, et tentent sans complexe de le couper à sa source. Citons ici Susan Abulhawa, femme écrivain, fille de réfugiés palestiniens de la guerre de 1967 :

« 16 juillet 2014 : Israël bombarde l'immeuble de la station de radio Sawt al-Watan à Gaza. Le même jour, Israël vise d'autres journalistes et frappe une voiture sur le toit de laquelle, clairement visibles, étaient peintes en grand les lettres "TV" : un journaliste est tué, trois autres sont grièvement blessés. D'autres immeubles abritant des organes médiatiques, d'autres voitures de médias et d'autres journalistes ont été ciblés directement. En tout, dans le seul mois de juillet 2014, Israël a assassiné 14 journalistes : Hamid Abdullah Shehab, Najla Mahmoud Haj, Khalid Hamad, Ziad Abdul Rahman Abu Hin, Ezzat Duheir, Bahauddin Gharib, Ahed Zaqqout, Ryan Rami, Sameh Al-Arian, Mohammed Daher, Abdullah Vhjan, Khaled Hamada Mqat, Shadi Hamdi Ayyad, Mohammed Nur al-Din al-Dairi, Ali Abu Afesh, Simone Camilli, Abdullah Fadel Murtaja. »(2) Si la liste comporte 17 noms, c’est qu’elle inclut des acteurs de l’information qui ne sont pas directement journalistes ; la présence d’un nom de journaliste italien rappelle que les tueurs ne font pas dans le détail.

Quelques mois plus tard, l’homme à qui incombe la responsabilité politique de ce massacre s’invite sans ciller dans une manifestation dont l’un des objets est la défense de la liberté de presse.

Du harcèlement à l’autocensure

Le danger, pour les journalistes palestiniens, ne vient hélas pas seulement de l’adversaire officiel et reconnu, c’est à dire de l’occupant israélien ; il vient aussi de ceux qui sont censés les représenter et les gouverner, de ceux donc qui prétendent, chacun à sa façon, incarner leur propre camp. Asma al-Ghoul, écrivain, journaliste, et féministe palestinienne, lance un cri d’alarme :

Combien de voix entends-tu lorsque tu rédiges ton article de presse ? Quelle est la superficie de la cellule de prison dans laquelle tu serais jeté si jamais ton article venait à être publié ? L’homme de ton imagination qui pointe son arme sur ta tête porte-t-il un masque ? Ce sont-là les illusions qui poussent la plupart des journalistes à supprimer l’information la plus importante sinon la plus puissante de leurs articles. Certaines de ces illusions vous poussent à faire plus : à supprimer l’article en entier.

Une étude menée fin 2014 par MADA, le Centre Palestinien pour le Développement et la Liberté des Médias, a révélé que 80% des journalistes Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza s’autocensurent lorsqu’il s’agit de rédiger des articles.

Ghazi Bani Odeh, le journaliste qui a effectué ce sondage intitulé « Les Médias Officiels et la Liberté d’Expression » a confié à Al-Monitor que si les journalistes s’autocensurent systématiquement c’est parce qu’ils appréhendent le harcèlement et les agressions qui les guettent.

« Qu’ils soient en Cisjordanie ou à Gaza, la violence contre les journalistes est identique. C’est pourquoi, ils étudient et examinent l’ampleur de chaque terme avant de l’écrire. »(3)

Son article offre des exemples concrets de ces violences, et un paragraphe peut résumer la situation pour le seul mois de janvier 2015 :

« D’après Skeyes, le Centre pour la Liberté de la Presse et de la Culture, il y a eu durant le mois de janvier 2015 trois cas de détention de journalistes par les forces de sécurité de Cisjordanie, et deux autres opérés par la sécurité de Gaza, en plus de deux attaques à Gaza découlant de l’anarchie. La journaliste Maha Abu Omer a été victime de l’un de ces incidents où elle a été rouée de coups par un inconnu alors qu’elle marchait dans la rue. »(1)

Si nous comprenons bien, le droit de critique officiellement reconnu consisterait donc à la liberté de critiquer le Hamas lorsqu’on travaille dans les Territoires occupés de Cisjordanie, et à la liberté de critiquer l’Autorité palestinienne de Ramallah lorsqu’on vit dans la bande de Gaza ? Cela nous semble en effet un peu court.

In memoriam : un précédent symbolique

La difficulté d’exercer le métier de journaliste ou de dessinateur satirique n’est pas une nouveauté. Qui donc se rappelle que le premier dessinateur abattu en raison de ses œuvres satiriques était un Palestinien ? S’il critiquait bien entendu la politique israélienne, il n’épargnait pas non plus les dirigeants palestiniens marqués par la corruption. Il s’agit de Naji al-Ali, créateur du personnage de Handala, assassiné à Londres en 1987. Jusqu’à ce jour, on n’a pas identifié l’assassin ou l’organisation qui se cache derrière lui. Échec de Scotland Yard ou prudence diplomatique ? Qui sait ?

En tout état de cause, il nous revient de rendre hommage à ces hommes et ces femmes qui, au risque de leur vie, s’obstinent inlassablement à nous offrir un reflet honnête de la réalité, quels que soient les moyens d’expression qu’ils peuvent choisir.

P.S. : Dans la manifestation de janvier, je m’étais confectionné un petit badge représentant Handala, avec l’inscription : « Je n’aimais pas Charlie, mais je suis là ». Ce qui a permis de fructueuses discussions.

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