GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Liberté pour les prisonniers politiques catalans

Alors que l’Espagne est en pleine campagne électorale pour de nouvelles élections législatives prévues le 10 novembre, la Catalogne s’embrase. Le verdict contre neuf dirigeants indépendantistes catalans, en prison préventive depuis deux ans pour avoir organisé la tenue d’un référendum sur l’autodétermination de la région, est tombé le 14 octobre : 100 ans de prison cumulés. Depuis, en Catalogne, les manifestations contre ce verdict sont quotidiennes, massives, et la répression de la part du gouvernement socialiste s’accentue. L’Europe, elle, reste muette.

Ce qui leur est reproché

Après plus de cinq ans de refus du gouvernement Rajoy (PP, droite) d’envisager toute consultation populaire au sujet de l’autodétermination, le 1er octobre 2017, le gouvernement élu de la Catalogne, présidé par Carles Puigdemont, organise unilatéralement un référendum pour une république catalane.

Cette initiative, que le gouvernement espagnol a interdite, mais qu’il n’est pas parvenu à empêcher, est fortement réprimée, ainsi que le mouvement social qui en a découlé.

Le 10 octobre 2017, devant le Parlement catalan, le président Puigdemont déclare l’indépendance et la suspend immédiatement afin d’entamer le dialogue avec le pouvoir central. Celui-ci refuse et le menace de lourdes sanctions.

Le 27 octobre, le Parlement catalan vote une résolution proclamant « la République catalane comme État indépendant, souverain, démocratique et social ».

En réaction, le gouvernement de l’État espagnol active l’article 155 de la Constitution espagnole, mesure exceptionnelle permettant de suspendre les institutions de la Catalogne et de la gérer directement depuis Madrid. Il emprisonne neuf dirigeants indépendantistes, dont six membres du gouvernement catalan ; d’autres ministres s’exilent en Belgique.

De nouvelles élections en décembre 2017 reconduisent une majorité de députés indépendantistes au Parlement catalan qui est rétabli dans ses fonctions.

Après deux ans de détention préventive des prévenus, le procès a lieu et le verdict tombe.

Le Tribunal suprême a la main lourde

Le lundi 14 octobre 2019, les neuf dirigeants indépendantistes catalans sont condamnés pour « sédition » par la Cour Suprême (ou Tribunal suprême), pour leur rôle dans l’organisation du référendum de 2017.

Treize ans pour l’ex-vice-vrésident du gouvernement catalan, Oriols Junqueras, secrétaire général de l’ERC, le parti de la Gauche républicaine ratalane.

Entre dix et douze ans pour cinq autres ex-ministres et l’ex-présidente du Parlement, Carmen Forcadell.

Neuf ans pour les deux Jordi, Cuixart et Sànchez (respectivement présidents d’ Omniums Cultural et de l’ANC, les puissantes organisations sociales organisatrices des gigantesques mobilisations indépendantistes).

Un verdict inique

N’ayant pu prouver aucune violence de la part des accusés, le Tribunal suprême a été obligé d’abandonner le motif de « rébellion » qui se serait traduit par des peines allant jusqu’à 25 années de prison.

Comme l’écrit fort justement Izquierda Unida (proche du PCE et partie intégrante de la coalition électorale « Unidas Podemos », « au cours de la période dite “du procès”, il n’y a eu aucun crime de rébellion ou de sédition, puisqu’il n’y a eu aucun soulèvement ni violent ni tumultueux qui aurait attaqué les pouvoirs judiciaire, exécutif ou législatif de l’Espagne, qui aurait altéré l’ordre public empêchant le fonctionnement institutionnel. Il y a eu des mobilisations massives de citoyens en Catalogne réclamant un État républicain pour ce territoire ; il y a eu une mobilisation populaire non violente ne pouvant être assimilée à une rébellion ou à une sédition, même si elle revendiquait des objectifs politiques non prévus par notre Constitution. La vérité est que ce qui était évident sur le plan politique et juridique est également devenu clair dans l’arrêt de la Cour suprême : en Catalogne, il n’y a pas eu de coup d’État ni de rébellion, pas de substitution de l’institutionnalité de l’État ou de la communauté autonome à la justice, mais des actions politiques et non violentes destinées à empêcher l’application de certaines lois et résolutions judiciaires ».

La sentence du Tribunal suprême vise à criminaliser des droits tels que l’expression, le vote, la manifestation et surtout toute aspiration à l’autodétermination.

Elle condamne des dirigeants politiques, élus démocratiquement par un peuple qui leur a demandé de porter un projet d’indépendance. C’est bien le peuple catalan que l’on veut punir pour désirer vivre dans un pays libre à l’image de ses citoyens, dans leur République.

Mobilisations massives en Catalogne, discrètes dans le reste de l’Espagne

Les rues de Catalogne ont réagi à ce verdict le jour même lorsque 10 000 manifestants ont envahi l’aéroport de Barcelone, faisant annuler 110 vols.

Dans les jours suivants, des routes et des voies ferrées ont été bloquées et des manifestations ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes dans différentes villes catalanes.

Le 18, lors de la grève générale organisée par les syndicats indépendantistes, 525 000 manifestants se sont rassemblés à Barcelone (d’après la police).

La police chiffre à 350 000 le nombre de participants à la manifestation du 26 octobre pour la libération des prisonniers politiques et à 80 000 les anti-indépendantistes lors du rassemblement organisé le lendemain par les formations de droite et par le Parti socialiste.

Dans le reste de l’État espagnol, les manifestations de soutien n’ont pas été à la hauteur, aucune force politique conséquente n’ayant eu le courage de les organiser (par électoralisme ?), sauf au Pays basque, où 20 000 manifestants ont été dénombré à San Sebastian, le 19 octobre.

Seules 2 000 personnes ont défilé à Madrid, ainsi que dans toutes les villes de Galice et à Valence. Ailleurs, les manifestations n’en ont réuni que quelques centaines.

Réactions à droite

Vox (l’extrême droite néo-franquiste) accuse le Tribunal Suprême de clémence. À l’unisson de la formation extrémiste, le Parti populaire (la droite historique) et Ciudadanos (le centre-droit libéral) réclament que le gouvernement Sánchez utilise à nouveau l’article 155 de la Constitution et suspende le Parlement et le gouvernement catalan.

Le PSOE

Aujourd’hui, loin des positions de Pedro Sánchez qui, en 2017, pour redevenir secrétaire général du parti a vendu à sa base militante une révision de la Constitution qui reconnaîtrait explicitement les nationalités de la péninsule et déboucherait sur une traduction politique fédérale de cette reconnaissance, le PSOE et le gouvernement ont approuvé le verdict.

Depuis, le gouvernement Sanchez tente de criminaliser le mouvement de protestation et a réprimé violement les manifestations : plus de 600 blessés la première semaine, dont quatre éborgnés, de nombreuses arrestations et incarcérations. Il refuse tout dialogue avec le gouvernement catalan.

Izquierda Unida

L’alliance regroupant différents partis de gauche autour du Parti communiste et membre de la coalition Unidas Podemos depuis 2016 proclame : « Quarante ans après l’approbation de la Constitution de 1978, la question catalane est en train de remettre en question le modèle constitutionnel actuel : la monarchie parlementaire et l’organisation territoriale régionale, entre autres questions. Il est nécessaire d’adapter notre cadre constitutionnel aux nouveaux besoins et demandes de notre peuple ».

La formation de gauche conclue de la sorte. « Izquierda Unida a toujours défendu un modèle d’État républicain et fédéral dans lequel tous les peuples et nationalités de l’Espagne pourraient vivre en solidarité et faire partie du même projet de pays, respectant à la fois sa réalité plurinationale et les sentiments nationaux de tous. Nous mettons les problèmes matériels des personnes avant toute autre considération, en garantissant à tous la jouissance des droits civils, sociaux, environnementaux, du travail, culturels et des droits des femmes, quel que soit leur lieu de résidence. Sans aucun doute, le peuple catalan a le droit de s’exprimer de la manière la plus appropriée pour participer à ce projet. »

Podemos

Les positions de Podemos diffèrent selon les régions. Centralement, le principal dirigeant, Pablo Iglesias, continue ses volte face rythmées par ses efforts pour convaincre le PSOE d’accepter sa participation à un gouvernement commun.

Au Pays basque, Podemos a co-organisé les manifestations de protestation aux côtés des forces autonomistes Bildu (gauche) et PNV (centristes). En Andalousie, ils ont pris position clairement contre le verdict.

En Catalogne, dès le 15 octobre, Barcelona en Comù d’Ada Calau, maire de Barcelone prend clairement position : « Nous exprimons notre colère face à une sentence injuste qui crée un précédent inacceptable. Nous refusons de lier le droit de manifestation et de libre expression, ainsi que le recours à la désobéissance civile, au crime de sédition.

Nous manifestons notre profonde solidarité avec les condamnés et leurs familles, que nous accompagnons en cette période difficile et injuste pour ce qu’ils traversent.

Nous nous engageons à promouvoir toutes les initiatives politiques, institutionnelles et juridiques nécessaires pour faciliter la libération des prisonniers, des condamnés et le retour des exilés. La liberté des prisonniers est une condition indispensable pour débloquer la politique en Catalogne et en Espagne et pour ouvrir des voies permettant la résolution du conflit.

Nous réitérons notre engagement à œuvrer pour un dialogue et une solution démocratique au conflit politique et pour la transformation de l’Espagne en un État plurinational qui reconnaît pleinement la nation catalane ».

Unanimité chez les nationalistes

Les forces autonomistes et indépendantistes des différentes nationalités (basques, galiciennes, valenciennes et bien sûr catalanes) sont vent debout contre la sentence et organisent les nombreuses manifestations...

Mais que veulent vraiment les Catalans ? L’indépendance ?

Tous les commentateurs soulignent l’existence d’une Catalogne coupée en deux sur la question de l’indépendance. En juin dernier, un sondage commandé par le gouvernement catalan le confirmait : 44 % pour l’indépendance et 48,3 % contre.

Un référendum d’autodétermination ?

Un récent sondage centré sur l’autodétermination, hors de toute autre question, donnait 78,7 % des sondés favorables à un tel référendum, avec la particularité que 59,9 % des électeurs du Parti socialiste de Catalogne (PSC) s’en disaient partisans, en opposition à leur parti. Plus surprenant et inquiétant pour les partis les plus unionistes, le PP et Ciudadanos : 44,5 % des électeurs du premier et 40 % de ceux du second souhaitent ce référendum que les indépendantistes ont dû imposer le 1er octobre 2017 et qui a valu à leurs dirigeants de lourdes peines de prison.

Si un référendum d’autodétermination avait lieu...

L’Institut des sciences politiques et sociales (ICPS), affilié à l’Université autonome de Barcelone, vient de publier son sondage d’opinion annuel selon lequel le « oui » l’emporterait avec 58,6 % des suffrages exprimés lors d’un référendum sur l’indépendance. À la question « Si un référendum avait lieu demain pour décider de l’indépendance de la Catalogne, que feriez-vous ? », 46 % disent qu’ils voteraient pour et 31,5 %, contre. Les sondages annuels donnent cette réponse depuis 2011.

Pour la liberté pour les prisonniers politiques

Sur les 946 municipalités catalanes, 814 (85 %) ont adopté des motions rejetant le verdict du Tribunal suprême et demandent la libération des prisonniers politiques.

Dans un récent sondage, les Catalans désapprouvent l’emprisonnement des responsables politiques et associatifs pour avoir organisé le référendum d’autodétermination le 1er octobre 2017.

Seuls 18 % des Catalans approuvent l’emprisonnement et l’exil de leurs représentants politiques, 14 % ne s’expriment pas sur le sujet et les deux tiers trouvent injustes cet emprisonnement et cet exil.

Seuls les électeurs des trois partis de la droite dure du nationalisme espagnol approuvent les emprisonnements et les exils. Il y a, en revanche, sans surprise, unanimité des électeurs des partis indépendantistes pour s’y opposer, mais aussi 92 % des électeurs d’En Comù/Podem et 58 % de ceux du Parti socialiste de Catalogne (PSC) qui considèrent injustes les deux atteintes aux droits des personnes. Mais ce ne sont là que des sondages.

Alors, que veulent vraiment les Catalans ? La meilleure façon de le savoir serait de leur demander et qu’ils puissent voter.

Querelle stratégique chez les indépendantistes ?

Faut-il s’en tenir à la répétition d’un nouveau référendum unilatéral sur le thème « Nous le referons », comme l’avance souvent Quim Torra, proche de Carles Puigdemont et président de la Généralité, privilégiant ainsi l’affrontement verbal avec le gouvernement central ?

La Gauche républicaine de Catalogne (ERC), aujourd’hui force majoritaire chez les indépendantistes, sans abandonner l’objectif de la République catalane et le droit à l’autodétermination, tente plutôt d’élargir le rapport de force.

De ce point de vue, Torrent, président du Parlement catalan (ERC) s’est prononcé pour la défaite des trois droites (Vox, PP, Ciudadanos) aux élections législatives du 10 novembre.

En Catalogne même, l’ERC tente de construire un bloc autour du « droit à décider » regroupant les forces indépendantistes et celles qui se prononcent contre la répression et pour le droit à décider comme En Comù/ Podem qui est partisane d’un référendum négocié avec Madrid. La gauche républicaine milite pour un gouvernement de concentration intégrant la CUP et En Comù/Podem. Un tel gouvernement « représenterait 80 % de la société » et transmettrait un message politique « très clair », non seulement dans toute la Catalogne, mais également au plus haut niveau de l’État espagnol.

Renforcer le rapport de force

Selon Torrent, cette formule parlementaire inédite renforcerait non seulement les institutions catalanes, mais elle contraindrait le gouvernement espagnol à s’asseoir à la table des négociations et à reconnaître la tenue d’un nouveau référendum comme un perspective « inévitable ». En ce qui concerne le débat sur le dialogue avec l’État et la désobéissance civile, Torrent affirme que l’indépendance doit être « très claire » et que la résolution du conflit se fera par le « dialogue et [la] négociation » dans un cadre « multilatéral ».

Quant à l’investiture de Pedro Sánchez, Torrent regrette de n’avoir vu aucun geste du PSOE envers la Catalogne. Cependant, il appelle les indépendantistes à une « réflexion stratégique » sur ce qui favorise leur combat commun à court et moyen terme : « Qu’est-ce qui est plus pratique pour nous : un gouvernement du PSOE et de Podemos, qui peut être conditionné par les indépendantistes du Congrès, ou une nouvelle élection avec le risque de voir gouverner la droite tripartite ? ».

Torrent a rejeté la stratégie du pire, et a exhorté les militants indépendantistes à être « suffisamment talentueux et intelligent » pour rallier encore plus de partisans à la cause de la Catalogne.

 

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