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Préjudice d’anxiété : enfin reconnu !

732 mineurs lorrains viennent de gagner devant la Cour de cassation la reconnaissance de leur préjudice d’anxiété pour avoir été exposés jusqu’à la fermeture de leur mine en 2004 à des produits toxiques. Cette exposition à des produits cancérigènes peut conduire à la mort ou de graves maladies. C’est le fait de vivre dans cette anxiété permanente qui est indemnisé. Il a fallu à ces salariés livrer une âpre bataille. Comment la jurisprudence française a-t-elle pu être aussi hésitante ?

D'abord admis par les chambres civiles de la Cour de cassation pour un malade du VIH, le préjudice d’anxiété est indemnisé sans difficulté dans les contentieux strictement civils. Mais pour les contentieux sociaux, impliquant des salariés, ils se sont heurtés à la volonté de certains magistrats de « sécuriser les entreprises ».

Le salarié, cet homme pas comme les autres

Ce préjudice d’anxiété est d’abord invoqué devant la chambre sociale pour des salariés victimes de l’amiante. Face au scandale de l’amiante, à la suite de l’interdiction de son utilisation en 1997, un régime de pré-retraite a été mis en œuvre en 1998. Des arrêtés ministériels déterminent strictement les entreprises qui relèvent de ce dispositif. Il s’agit des salariés ayant travaillé à l’extraction ou à la transformation de l’amiante. Mais il ne s’applique pas aux salariés ayant utilisé de l’amiante dans l’industrie ou le bâtiment, alors que les risques existent aussi pour eux.

En 2010, la chambre sociale de la Cour de cassation admet que des salariés en préretraite amiante peuvent faire valoir un préjudice spécifique dit d’anxiété, en plus du régime de pré-retraite dont ils relèvent. Mais à partir de 2015, une série d’arrêts de la chambre sociale refuse systématiquement de reconnaître ce préjudice d’anxiété pour les salariés de l’amiante qui ne relèvent pas des entreprises citées par les arrêtés ministériels. Tous les salariés de l’industrie et ceux du bâtiment sont donc exclus de cette réparation d’un préjudice particulier.

Fidèle chien de garde...

C’est que sévit depuis 2014 à la présidence de la chambre sociale, le très libéral Jean-Yves Frouin, qui avait décidé de trouver un équilibre entre « la protection du salarié et l’intérêt de l’entreprise ». Une façon de déplacer le curseur, d’abandonner le rôle protecteur de la partie faible au contrat et de s’affranchir du principe d’adapter le travail à l’homme en matière de santé au travail. Une remise en cause de principes fondamentaux que la chambre sociale s’autorise alors à fouler aux pieds.

Ce même magistrat est convoqué devant le conseil de discipline pour avoir, entre autres, omis de se déporter alors qu’il était depuis des années salarié des éditions Wolters Kluwer France, partie ayant formé un pourvoi. Il existe des conflits d’intérêt plus discrets ! L’audience du conseil disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature doit se tenir en décembre 2019.

Retour à la raison

Les solutions rendues par la chambre sociale en matière de préjudice d’anxiété n’ont pas manqué de susciter de sérieux questionnements au sein des autres chambres de la Cour de cassation. Jean-Yves Frouin ayant pris sa retraite, l’assemblée plénière de la Cour a fermement réagi. Le 5 avril 2019, elle a reconnu le préjudice d’anxiété pour des salariés exposés à l’amiante, mais ne relevant pas de la loi du 1998. Le 11 septembre, ce sont les mineurs lorrains qui ont vu leur préjudice d’anxiété reconnu par la chambre sociale.

Ce préjudice s’applique désormais, grâce à cette jurisprudence, à tous les produits nocifs ou toxiques sources de risques graves. Il est reconnu dans des conditions de droit commun et, précise la Cour de cassation, il suffit que l’employeur n’ait pas rempli toutes les obligations de sécurité auxquelles il est astreint pour engager sa responsabilité. Ce préjudice accompagne toutes les infractions de mise en danger de la vie d’autrui. C’est une victoire importante. Mais ne croyez pas pour autant que les travailleurs s’enrichissent. Leur anxiété vaut entre 3 000 et 15 000 euros !

À l’heure où nous écrivons ces lignes la catastrophe de Lubrizol frappe Rouen et ses alentours, plaçant des milliers de personnes dans l’anxiété d’avoir été exposées à des produits nocifs. Salariés et riverains ont naturellement tout notre soutien.

Cet article de notre camarade Anne de Haro est à retrouver dans le numéro d'octobre de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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