GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Les avions de combat financeraient deux fois le salaire minimum !

Nous publions ici la chronique de notre camarde Jean-Claude Rennwald, parue dans la revue Démocratie&Socialisme d’avril. Jean-Claude Rennwald est un militant socialiste et syndical de la Confédération helvétique, ancien député (PS) au Conseil national suisse

Démocratie directe oblige, les Suisses votent souvent et parfois sur des sujets dont l’enjeu est relativement secondaire, comme l’heure d’été ou l’institutionnalisation d’un avocat des animaux. Pourtant, parmi les différents plats qui figurent au menu de la votation du 18 mai, deux revêtent une importance primordiale : l’introduction d’un salaire minimum légal et l’achat de 22 avions de combat pour l’armée suisse. Détail intéressant, le salaire minimum coûterait 1,6 milliard à l’économie suisse, alors que la Confédération devrait dépenser près du double, soit 3,1 milliards, pour renouveler une partie de sa flotte militaire aérienne

Primat des conventions collectives

Durant des décennies, les syndicats suisses, comme ceux d’Allemagne et des pays nordiques, ont fondé leur politique sur les conventions collectives de travail (CCT). Dès lors, l’idée d’ancrer un salaire minimum de 4'000 francs (*) dans la loi, comme le demande l’initiative de l’Union syndicale suisse, n’entre-t-elle pas en contradiction avec la stratégie suivie jusqu’ici ?

Cet argument, ne tient pas, du moins si l’on procède à une analyse rigoureuse :

  • En Suisse, 330'000 personnes – dont une majorité de femmes - ont un salaire inférieur à 4’000 francs par mois. Or, avec moins de 4'000 francs, il est impossible de vivre normalement dans ce pays.
  • Cela correspond à près de 9 % des travailleurs, dont les trois quarts ont plus de 25 ans et ont terminé une formation !
  • Seuls 50 % des salariés sont au bénéfice d’une CCT, soit le plus faible taux de couverture conventionnelle d’Europe occidentale, exception faite de la Grande-Bretagne.
  • Certaines conventions collectives ne fixent pas de salaire minimum de branche.
  • Il n’y a, en Suisse, que 40 % des travailleurs qui sont protégés par une CCT comportant des salaires minimaux.
  • Preuve que les syndicats n’ont pas changé leur fusil d’épaule, l’initiative prévoit d’inscrire, dans la Constitution, le primat des conventions collectives. La CCT serait ainsi renforcée dans son rôle central d’instrument de régulation des conditions de travail, le salaire minimum légal n’intervenant qu’à titre subsidiaire.

    Des réflexions du même type ont été faites en Allemagne qui, dès 2015, sera le 22e des 28 pays de l’Union européenne à adopter une rémunération plancher légale et généralisée.

    Contre le dumping salarial

    Avec le développement des CCT, l’introduction d’un salaire minimum à 4'000 francs serait le meilleur moyen de combattre le dumping salarial que peut engendrer la libre circulation des personnes. Après l’acceptation de l’initiative de l’UDC (parti national-populiste) « contre l’immigration de masse », - approuvée par une partie de la classe ouvrière - le 9 février dernier, la généralisation du salaire minimum à 4'000 francs permettrait de réconcilier le monde du travail avec la nécessité de recoller les pots cassés avec l’Union européenne. Ce que n’a manifestement pas compris la droite dite modérée (libéraux-radicaux et démocrates-chrétiens) et le patronat qui, depuis des semaines, tirent à boulets rouges contre l’initiative syndicale. La bataille sera âpre jusqu’au dernier moment, raison pour laquelle il faut se méfier des sondages qui donnent l’initiative victorieuse le 18 mai.

    Avions de combat : de 3 à 10 milliards !

    Alors que le salaire minimum est soutenu par toute la gauche politique et syndicale, ce sont grosso modo les mêmes forces qui combattent l’achat de 22 avions de combat suédois Gripen. À cette nuance près qu’un comité de personnalités bourgeoises s’oppose aussi à cette acquisition.

    Pour un pays qui ne connaît plus aucune menace extérieure depuis belle lurette, ce projet paraît délirant. Et ceci d’autant plus que si l’on ajoute au prix d’achat de 3,1 milliard, les coûts d’exploitation et d’entretien, ainsi que les futures mises à niveau nécessaires, ce ne sont pas moins de 10 milliards qu’engloutiraient ces avions de combat au cours de leur durée de vie !

    L’achat du Gripen est également très risqué, comme l’explique Evi Allemann, députée socialiste au Conseil national : « Le Gripen E, tel que commandé par la Suisse, n’est pas encore développé et n’existe que sur le papier. Il est donc d’autant plus surprenant que la Suisse paie un acompte extrêmement élevé de 40 % du prix d’achat. » Autrement dit, si les Gripen devaient ne pas être livrés, ou livrés trop tard, les contribuables suisses assumeraient l’entier du risque financier. » Le 18 mai, ces arguments financiers pourraient bien faire disparaître du ciel suisse le rêve aérien du très nationaliste ministre de la défense Ueli Maurer.

    (*) Ce montant, qui correspond à environ 3'300 euros, peut paraître extrêmement élevé. Mais n’oublions pas que la Suisse est un îlot de cherté, que le niveau du franc est particulièrement élevé et que ce pays ne connaît pas la sécurité sociale au sens français du terme.

    Document PDF à télécharger
    L’article en PDF

    Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




    La revue papier

    Les Vidéos

    En voir plus…