GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Intervention de Gérard Filoche au BN du PS du 6 mai 2014

1°) Sur les thèmes de campagne pour les élections européennes :

Oui, il faut agir pour limiter les craintes qui se manifestent à propos du résultat possible des élections européennes. Parce que ce résultat est déterminé avec les mêmes paramètres qui l’ont emporté les 23 et 30 mars derniers. On peut même dire que c’est pire, parce que depuis le message des électeurs socialistes qui se sont abstenus n’a pas été entendu. Et même, les mesures du nouveau gouvernement aggravent les raisons qui ont poussé à l’abstention une grande partie de notre électorat. La droite ne s’est imposée que par la démobilisation massive à gauche, et cela est du fait de la politique d’austérité et de cadeaux aux patrons du gouvernement. On a beau nier qu’il s’agisse « d’austérité » et de « cadeaux », nos électeurs ne sont pas tout à fait sans lucidité.

Alors oui, ce qui vient d’être proposé, par exemple, peut être repris dans la dernière semaine où se cristallisent les votes. En pleine actualité des gros salaires que se versent les patrons et qui font scandale alors qu’on leur donne des milliards (et qu’ils s’en moquent en bradant sans consulter le gouvernement Alstom à General Electric, avec tout ce que cela signifie en perte d’industrie et d’emploi). Si on reprenait la revendication de la CES ( Confédération européenne des syndicats) d’un salaire maximum limité à 20 Smic, si on annonçait qu’on allait l’appliquer en France où nous en avons le pouvoir et qu’on va se battre au Parlement européen pour le faire reprendre si la majorité bascule à gauche, cela aurait le mérité de concrétiser ce possible changement de majorité auprès des électeurs qui s’interrogent et qui ont du mal à percevoir l’avantage d’avoir Martin Schultz par rapport à Jean-Claude Juncker.

Salaire maximum, et salaire minimum : car il y a toujours la question pendante des travailleurs dits « détachés », contre lesquels, en pratique rien n’a été fait. Ils sont 350 000 à subir ici, sur notre territoire, du dumping social, 200 000 identifiés, et 150 000 qui ne le sont pas ; souvenez vous des chiffres de Michel Sapin, ici même. Or l’Europe ne nous empêche pas d’appliquer nos lois, le Smic se contrôle sur le Smic brut et net, aucune directive n’a traduit le renoncement à appliquer le droit pénal du travail contenu dans notre Code du travail. Ce sont nos lois, celles de la République, je l’avais déjà dit il y a quatre mois qui s’appliquent, et le non respect du Smic est sanctionné lourdement ; tout au moins il peut l’être si on pousse, si on veut. Qu’il y ait des contrôles et sanctions contre les patrons voyous qui introduisent ici des travailleurs européens dont ils ne paient pas les cotisations sociales serait très enrichissant, exemplaire.

2°) Sur le Marché transatlantique :

Ensuite, mon cher Henri [Weber], tu as toute mon amitié, mais ta présentation des négociations du traité transatlantique me semble relever d’une Alice au pays des merveilles idyllique. Comme si l’Europe était en position de force pour ces négociations ? En fait ce qui va se passer, ce sera pire que l’élargissement de 15 à 28 commencé en 2004 et que tout le monde critique maintenant. Cela s’est fait au détriment de toute cohésion européenne. Là il s’agit d’élargir à 50 États de plus, cela fera 78 États. Et nul n’ignore la puissance des USA face à une Europe éclatée à 28. C’est une négociation entre un porte-avion et un chalutier. C’est Laurent Fabius ici qui a dit que l’Europe était un « nain politique ». oui, mais les USA sont un géant politique. Nos négociateurs auront tous les handicaps, y compris celui d’être écoutés par la NSA, avant même d’arriver en séance. Au lieu d’être pugnaces et de protéger nos droits, ils seront soigneusement divisés et dominés. Tu parles de 12 conditions, 12 lignes rouges, mais la dernière fois, dans cette salle, c’était quatre conditions, et puis, il y en a de bien plus nombreuses. Ce n’est pas parce que l’exception culturelle serait (temporairement ?) épargnée, qu’’elle ne sera pas « encerclée » et que les autres n’auraient pas d’aussi lourdes conséquences. Les droits de douane protègent encore nos produits industriels et agricoles, mais aussi nos services. Nous avons travaillé aussi cette question !

Complément sur ce point. Propos non tenus lors du BN :

Pour la France, cet « équivalent droits de douanes » se lève à 37,6 % pour les communications ; 36,4 % pour la construction ; 61,7 % pour les assurances ; 50,7 % pour la finance ; 39,8 % pour les « autres services ». Pour les États-Unis, ces équivalents droits de douanes atteignent 36,9 % pour les communications ; 95,5 % pour la construction ; 43,7 % pour les assurances ; 42,3 % pour les autres services. L’enjeu des négociations sur les services serait donc très important. Le plus important resterait, cependant, à venir : les « protections après la frontière », c’est-à-dire les normes. Ces normes sont juridiques, culturelles, financières, environnementales, sanitaires… Il n’y a aucune possibilité de créer un « grand marché intérieur » entre les États-Unis et l’UE sans que ces normes soient standardisées.

Je n’ai pas le temps pour développer, mais on pourrait, on devrait avoir la discussion sur le fond, ici, un jour, à ce BN.

Complément sur ce point. Propos non tenus lors du BN :

Pascal Lamy, alors commissaire européen au Commerce extérieur, déclarait en 2004, que ces normes faisaient l’objet d’une préférence collective et constituaient « L’ensemble des choix opérés par les collectivités humaines en tant que collectivités ». Pascal Lamy semblait ignorer l’activité intense des lobbies d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique pour édicter ces « préférences collectives ». Ces « préférences collectives », ces normes, concernent tout notre mode de vie.

Le rapport de Claude Revel, Conseillère du commerce extérieur de la France, à notre ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq, affirmait : « L’accord UE États-Unis à venir sera un accord fondamental par sa portée juridique ; les enjeux en termes de régulation à venir sont énormes Le rapport de forces est favorable aux États-Unis ». Ce rapport n’hésite pas à préciser que tous les secteurs sont concernés « Les industries, l’agriculture et l’agroalimentaire mais aussi de plus en plus de services, y compris traditionnellement publics en France ». Le « traditionnellement » a le mérite d’indiquer clairement que les négociations pourraient parfaitement remettre en cause ce caractère public.

Cet accord va s’imposer au reste du monde. Tu dis habilement, Henri, que tu préfères que ces normes se négocient entre « pays démocratiques » plutôt que d’être imposées par la Chine plus tard. Outre que je ne comprends pas bien à quel sorte de monde dangereux du futur tu fais référence, cela ravalerait au rang de simulacres les autres négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : ce sera aux États-Unis et à l’Union européenne d’imposer leurs normes, donc aux États-Unis. Pareil diktat générera des tensions fatales avec d’autres « blocs » économiques, très dangereux dans le cas, par exemple, d’une bipolarisation avec la Chine. Au lieu d’un monde multipolaire, la toute puissance d’un pôle, constitué sauvagement de cette façon, menacera le reste de la planète et suscitera inéluctablement les cassures et les résistances. « Le capitalisme porte la guerre en son sein comme la nuée porte l’orage ».

Complément sur ce point. Propos non tenus lors du BN :

Les États-Unis ont une politique industrielle. Leur industrie est réglementée par le « Buy American Act » pour la sidérurgie. Dans l’UE, c’est Arcelormittal qui décide. Les États-Unis n’hésitent pas à verser toutes les aides publiques nécessaires au soutien de leurs « champions industriels ». Les articles 107 à 109 du traité de Lisbonne interdisent aux États-Membres de l’UE de verser des aides publiques aux entreprises. La concurrence prétendue « libre et non faussée » doit s’imposer partout. Elle ne sera pas libre. Elle sera faussée. Les marchés publics des États-Unis sont réservés à 25 % à leurs PME. Un accord de libre-échange avec l’UE n’engagerait que l’État fédéral, pas les marchés publics des 50 États américains.

Les États-Unis ont une politique internationale redoutablement efficace.L’UE ne peut pas en avoir car l’article 28 A du traité de Lisbonne oblige à prendre à l’unanimité du Conseil les décisions en matière de politique internationale. Par ailleurs, les États-Unis ont une politique de change. Grâce à cette politique, la valeur du dollar par rapport à l’euro, au yen, au yuan, augmente ou diminue en fonction des intérêts des États-Unis. Dès 1971, le secrétaire d’État au Trésor, John Connolly affirmait : « Le dollar est notre monnaie et votre problème ». La création de l’euro n’a rien changé, le dollar est toujours notre problème car la politique de change de l’euro est laissée à la BCE qui n’a qu’une seule mission : garder la valeur de l’euro. Le résultat est un euro cher (sa valeur par rapport au dollar a augmenté de 70 % entre 2002 et 2010) qui pénalise, de façon inouïe, les exportations de la zone euro.

Le nivellement par le bas assuré pour les salariés. La perspective d’aligner « les standards de vie » vers le haut n’est qu’un miroir aux alouettes. Les salariés des États-Unis ont subi les effets de l’Alena, l’accord de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique. Ce ne sont pas les salaires et les conditions de vie des salariés mexicains qui ont été tirées vers le haut, mais ceux des salariés des États-Unis et du Canada qui ont été tirés vers le bas. Les salariés de l’Europe des 15 n’ont pas vu leurs salaires et leurs conditions de travail tirés vers le haut lorsque lUnion européenne a ouvert grand ses portes aux pays de l’Europe centrale et orientale (les PECO) sans approfondissement démocratique et social préalable. Au contraire ! Combien de salariés de l’industrie, en France, ont-ils entendu répondre à leurs revendications salariales : allez donc voir en Pologne ou en Roumanie ? L’accord de libre-échange entre les États-Unis et l’UE soumettrait les salaires et les conditions de travail des salariés européens et américains à une double pression vers le bas : celle du Mexique d’un côté, celle des PECO de l’autre.

Les seules gagnantes seraient les firmes transnationales. Dans tous les cas de figure, quelles que soient les firmes transnationales qui l’emporteraient dans tel ou tel secteur, l’accord se ferait sur le dos de ces salariés qui verraient leurs salaires et leurs conditions de travail nivelés par le bas. D’ailleurs nous avons tout sous les yeux de façon expérimentale et spectaculaire : regardons Alstom et General Electric. Regardons les effets sur notre industrie et sur l’emploi.

Complément sur ce point. Propos non tenus lors du BN :

Que les négociations soient publiques, que les peuples soient consultés ! En 1997, les États-Unis, le Canada, l’UE et d’autres pays avaient secrètement négocié l’Ami (Accord multilatéral d'’investissement). Ce n’est que lorsque les conséquences de cet accord avaient été mises en lumière (l’« effet Dracula ») que les négociateurs avaient été obligés d’y renoncer. En 2012, c’est l’Acta (Accord commercial anti-contrefaçon) que le Parlement avait refusé de ratifier. Pourtant les États-Unis et 22 États de l’UE (dont la France) l’avaient signé. Cet accord sous prétexte de lutter contre les « contrefaçons » organisait la fin de la neutralité d’Internet en obligeant les fournisseurs d’accès à coopérer à une sorte d’Hadopi mondial. Pire, cet accord considérait comme des « contrefaçons » la fabrication de médicaments génériques par des pays comme le Brésil et l’Afrique du Sud. L’Acta défendait le droit de la « propriété intellectuelle » des firmes multinationales pharmaceutiques contre le droit des peuples à se soigner. La Commission européenne avait refusé, jusqu’à l’été 2010, de divulguer quoi que ce soit des négociations en cours. Wikileaks l’avait fait et les médias s’étaient emparés du dossier. L’Acta n’avait pas survécu à ces révélations. Là encore l’« effet Dracula » avait joué à plein. Instruits par des échecs, le gouvernement des États-Unis et la Commission européenne prendront toutes les précautions pour parvenir à leurs fins. C’est dans notre dos, dans le secret, contre les Parlements, les Républiques, les États, les peuples que va se négocier à haute dose et a haut niveau, l’ensemble de ces tractations pour mieux nous « plumer ». Il n’y a rien de bon à attendre de ce processus sinon la fin d’un projet européen, déjà mis à mal quand nous sommes passés de 15 à 28 États. Passer à 78 États dans ces conditions, c’est la fin de tout projet de construction d’une Union européenne politique, économique et sociale.).

3°) Du devenir des institutions territoriales :

Reste une troisième idée, qui me revient et que j’esquisse : je ne comprends pas ce séisme que le gouvernement provoque dans nos institutions territoriales. Je suis pour la défense des communes, des départements et des régions telles qu’elles sont avec déconcentration des décisions, et un État national stratège, et volontaire. Pas pour affaiblir l'État devant les multinationales qui l’emporteraient sur nos régions faussement fortifiées. Comme le dit Claudy Lebreton, et je l’avais entendu dans cette salle, rien ne prouve que le fameux « millefeuille » administratif coûte cher, et que celui qui sera à sa place coûtera moins cher. S’embarquer dans ce jeu de Lego risque au contraire de casser ce qui fonctionne bien et de générer des vraies fausses féodalités qui fonctionnent beaucoup moins bien. Avec des pertes considérables de temps et de démocratie en ligne, car les décisions s’éloigneront des citoyens sans atteindre des niveaux où elles soient pertinentes. Et surtout je doute que nos électeurs soient intéressés par cette complexe vraie-fausse recentralisation. Bousculer la fin du quinquennat avec cela va faire (mauvaise) diversion aux grands problèmes économiques et sociaux qui dominent tous les esprits. J’ai peur qu’on se fourvoie en se lançant dans cette opération. Il n’est pas sûr du tout que ce soit bien pris ni compris, au moment où l’on diminue de 11 milliards les transferts aux collectivités territoriales. Et cela que les élections aient lieu en 2015 (il vaudrait mieux) ou en 2016 à un an de la fin du quinquennat (quel risque !).

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