GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

L’étau du Front National se resserre sur l’UMP

En Italie, la droite avait réussi à imposer à l’extrême-droite une alliance qu’elle dirigeait. Le MSI, après avoir participé à la coalition gouvernementale dirigée par Silvio Berlusconi en 1994, était devenu en 1995 « L’Alliance nationale » qui s’était dissoute dans le parti de Berlusconi, « Le Peuple de la Liberté », en 2009.

Le FN a tiré les leçons du naufrage de l’extrême-droite italienne et s’est fixé, à l’exact opposé, l’objectif de recomposer la droite française sous son hégémonie.

La lettre d’Henri Guaino, de Laurent Wauquiez et de 37 autres parlementaires UMP marque un nouvelle avancée du FN dans cette direction.

L’appel de 39 parlementaires UMP

Cet appel, paru dans Le Figaro du 25 avril, a été signé par 39 parlementaires UMP emmenés par Henri Guaino et Laurent Wauquiez. Ces 39 parlementaires vont du filloniste Bernard Brochand aux députés de la Droite populaire Lionnel Luca, Philippe Meunier ou Jacques Myard, en passant par Patrick Ollier ou Arlette Grosskost.

Le contenu de cet appel est pour le moins surprenant, même si l’affirmation « Les frontières extérieures de l’Espace Schengen qui laissent passer des flux d’immigration incontrôlés, ça ne peut plus durer. L’élargissement sans fin, ça ne peut plus durer » ne s’éloigne guère du registre habituel de l’UMP.

Jugeons-en sur pièces :

« Trente années d’aveuglement ont installé durablement sur notre continent le chômage de masse, l’exclusion, la stagnation économique »

« Trente années de renoncement ont provoqué une profonde crise identitaire, mis à mal la cohésion des sociétés, creusé un fossé d’incompréhension entre les peuples et les responsables politiques… »

« L’austérité aveugle qui détruit la croissance et creuse les déficits, ça ne peut plus durer » (…)

« La politique monétaire qui fait peser sur l’Europe tout entière le spectre de la déflation et ruine la compétitivité de nos entreprises ne peut plus durer » (…)

« Le dumping fiscal et social à l’intérieur de l’Europe, ça ne peut plus durer » (…)

Ce n’est bien sûr pas la pression du Front de gauche ou de la gauche du Parti Socialiste qui a amené ces 39 parlementaires à prendre de telles positions mais bien celle du Front National. Ce dernier développe des thèses analogues, et cherche à semer l’illusion que la « préférence nationale » et la sortie de l’Union européenne permettraient de lutter contre la baisse du pouvoir d’achat, le chômage de masse et la précarité.

Comment expliquer qu’un tel appel ait pu être lancé ?

Le « souverainisme » à la Philippe Seguin, partisan du « non » au référendum sur le traité de Maastricht, ferait-il un retour fracassant ? Cela semble bien difficile à croire, car beaucoup d’eau est passée sous les ponts depuis 1991, et le souverainisme de l’UMP, sous Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy, s’est singulièrement dilué dans cette eau-là.

Une brutale amnésie aurait-elle frappé aussi bien Henri Guaino et Laurent Wauquiez que la presque totalité des signataires de cet appel ?

Henri Guaino a-t-il soudainement oublié qu’il était conseiller de Nicolas Sarkozy lorsque ce dernier rédigeait et signait le TSCG avec Angela Merkel ? Laurent Wauquiez n’a-t-il plus le moindre souvenir du temps, pourtant pas si éloigné (de novembre 2010 à juin 2011), où il sévissait comme ministre des Affaires européennes du même Nicolas Sarkozy ?

31 des 37 autres signataires de l’appel qui avaient voté sans états d’âme le TSCG en octobre 2012 seraient-ils frappés du même mal ?

Cela semble tout aussi difficile à croire.

La seule explication raisonnable du lancement d’un tel appel réside dans la pression de plus en plus prégnante exercée par le FN sur l’UMP. Sans une telle pression, cet appel n’aurait certainement pas vu le jour.

Cette pression s’était déjà exercée à plein sur les six parlementaires de l’UMP, signataires de l’appel, qui n’avaient pas voté le TSCG. Lionnel Luca était de ceux-là et, toujours dans la nuance, avait alors expliqué son vote « contre » en comparant le vote « pour » ce traité au vote « des pleins pouvoirs donnés au Maréchal Pétain en 1940 ». Jacques Myard (un autre membre de la Droite populaire) allait même jusqu’à déclarer que la situation était « pire » qu’en 1940, puisqu’alors « on était vaincus, il y avait un choc, mais aujourd'hui, que je sache, l'Allemagne n'occupe pas Paris ».

L’UMP avait tremblé en mars 2013, lors du second tour de la législative partielle, dans la 2e circonscription de l’Oise (Beauvais), car la candidate du FN n’avait perdu que de très peu (48,4 %) face au candidat de la droite. En octobre 2013, lors du second tour de la cantonale partielle de Brignoles (Var), c’est en vain l’UMP avait sonné le tocsin puisque son candidat avait été largement battu par celui du FN, qui l’avait emporté avec 53,9 % des voix. Dans les deux cas, la stratégie du « front républicain » de la direction du PS avait tourné au fiasco.

Les résultats des élections municipales ont de nouveau accentué la pression. Le FN obtient plus de 1 000 conseillers municipaux ; il s’est consolidé entre les deux tours dans les onze villes qu’il a gagnées, comme dans celles qu’il n’a perdues que de peu (Forbach, Perpignan, Saint-Gilles…), alors que la participation électorale augmentait.

Les sondages sur les intentions de vote aux élections européennes qui mettent le FN et son rejet de l’Union européenne en 1re ou en 2e position pèsent également de tout leurs poids et contribuent à expliquer la vitesse à laquelle plusieurs dizaines de parlementaires de la principale formation de droite ont été gagnés par la panique.

Guaino et Wauquiez ont réussi l’exploit de réunir, momentanément, Fillon et Copé

Les deux frères ennemis de l’UMP, Jean-François Copé et François Fillon ont dénoncé, chacun depuis son coin de ring, l’appel des 39 parlementaires.

Jean-François Copé a condamné publiquement le vice-président de l’UMP lors du lancement de la campagne européenne de l’UMP : « Laurent Wauquiez a des positionnements individuels parce que populistes. »

François Fillon s’en est pris plus précisément à la proposition de Laurent Wauquiez de recentrer l’Union européenne sur le noyau dur de la CEE, en excluant le Luxembourg qu’il accuse maintenant d’être un paradis fiscal : « L’Europe des Six ? Ce serait revenir à la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Nul besoin de pulvériser un demi-siècle d’efforts en détruisant ce que nous avons mis tant de temps à construire ».

Pour le moment, les digues semblent donc tenir encore à la direction de l’UMP, mais la fissure s’agrandit.

L’appel des 39 accélère un processus déjà bien entamé

Les digues avaient déjà commencé à se fissurer dès 1998, lorsque cinq candidats de droite (Charles Millon, Charles Baur…) s’étaient fait élire présidents de Région avec les voix du FN. Mais la droite avait réagi et condamné ces dérives, alors qu’aujourd’hui, à Avignon, l’élection du président (UMP) de l’agglomération avec les voix du FN, et celle du 2e vice-président (FN) avec celles de l’UMP s’effectuent dans une glaciale indifférence.

Il est vrai que, dans le Sud-est de la France, et en tout premier lieu dans le Vaucluse, la recomposition de la droite, sous l’égide du FN, a déjà largement commencé avec l’aide de Jacques Bompart, maire d’Orange, ancien du FN et comparse dans ces grandes manœuvres de Marion Maréchal-Le Pen.

Il est vrai, également, que la base de l’UMP, sous la pression du FN, avait amené les dirigeants du parti de droite à se retrancher derrière leur « ni, ni », ni FN, ni PS ! Et, lorsque François Fillon avait franchi un pas supplémentaire et appelé, en septembre 2013, à voter pour le parti « le moins sectaire » en cas de duel PS-FN aux municipales, il avait été approuvé, selon un sondage BVA pour I-télé, par 70 % des électeurs de l’UMP.

« Tripolarisation » ou « bipolarisation » de la vie politique ?

La plupart des commentaires politiques ont insisté, après le résultat des élections municipales, sur la « tripolarisation » de la vie politique qui s’annonçait. Une minorité a aussitôt affirmé que cette « tripolarisation » existait depuis 1984, et qu’il n’y avait rien de nouveau (ou si peu) sous le soleil.

Cette « tripolarisation » avait été soulignée par Marine Le Pen elle-même, notamment dans un entretien qu’elle avait accordé au Monde le 28 mars dernier(1). Ce qu’elle précisait dans la suite de cet entretien est passé inaperçu alors qu’il s’agissait, pourtant, du passage le plus important de cet entretien. Elle y indiquait clairement le but et les moyens de sa stratégie de conquête du Pouvoir : « On passe par une tripolarisation de la vie politique française. Or, sauf à passer à une VIe République, la Ve va imposer à nouveau une bipolarisation, c’est la logique des institutions. Cela se fera entre l’UMPS d’un côté et le Front National - Rassemblement Bleu Marine de l’autre ».

Du point de vue du Front National, cette stratégie ne manque malheureusement pas de pertinence. Les institutions de la Ve République peuvent parfaitement arriver à servir les desseins de ce parti si une solution réellement de gauche n’est pas rapidement mise en œuvre.

La succession de plans d’austérités de droite et de gauche, tapant toujours sur les mêmes (le salariat) et favorisant toujours les mêmes (le patronat et les marchés financiers) ne peut que conforter l’opposition souhaitée par le FN, entre lui-même et ce qu’il appelle l’ « UMPS ». Cette politique d’austérité nourrit une triple crise : économique, sociale et politique et sociale, et l’accentuation de ces crises peut permettre au FN d’apparaître, aux yeux de nombreux électeurs, comme l’ « ultime solution », celle qui n’a jamais été essayée.

La « bipolarisation » de la vie politique qui avait, jusqu’à maintenant, contribué à ériger un barrage efficace contre le Front National se retournerait, alors, en son contraire. Dans un tel contexte de crise, le « retour du balancier », si cher aux routiniers de la politique, relève de la pensée magique et n’a plus rien d’automatique.

La stratégie du FN sera d’autant plus dangereuse que la crise économique s’aggravera

La sortie de la crise économique provoquée par la crise financière de 2007-2008 est pour le moins problématique.

Dans le meilleur des cas, avec les politiques menées en France et dans l’Union européenne, cette sortie de crise se traduira par une faible reprise, s’étalant sur plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années comme au Japon, et ne permettra pas de faire reculer le chômage de masse, la précarité et la pauvreté qui, au contraire, continueront à s’aggraver.

La stratégie du FN serait encore plus dangereuse si une nouvelle crise, du type de celle de 2007-2008, ravageait de nouveau notre continent. La probabilité d’une telle crise est pourtant tout aussi sérieuse que celle d’une reprise faible et chaotique.

Les politiques d’austérité, en effet, étouffent la croissance, et peuvent plonger l’Union européenne dans la déflation, accélérant encore la plongée dans la spirale de la triple crise (économique, sociale et politique) que nous subissons actuellement.

Pire, aucune leçon n’a été tirée de la crise financière de 2007-2008. Les activités spéculatives des banques n’ont été que symboliquement séparées de leurs activités de crédit à l’économie productive, que ce soit en France ou dans l’Union européenne. Le montant des produits structurés, à l’origine de la crise de 2007-2008, tout comme la « banque de l’ombre », n’ont cessé de croître.

Le « pacte de responsabilité », qui vient d’être adopté à une courte majorité, favorisera encore la croissance des dividendes qui, loin de s’investir dans les activités productives, vont, pour l’essentiel, gonfler de nouvelles bulles spéculatives (dans la finance, l’immobilier, les matières premières…).

Tout cela dans un contexte où le niveau des dettes publiques rendrait des plus aléatoires un nouveau sauvetage massif des banques.

39 d’un côté, 41 de l’autre

39 députés de l’UMP viennent de manifester leur panique devant la progression du FN et l’impact de sa propagande sur leur électorat, se mettent à reprendre une partie des thèses de l’extrême-droite sur l’Union européenne. Cette panique, si elle continue à s’étendre, accélèrera la recomposition de la droite sous la direction de l’extrême droite, les électeurs finissant toujours par préférer l’original à la copie.

41 députés du Parti socialiste ont, de leur côté, refusé de voter pour le plan d’austérité de Manuel Valls. La plus grande partie des députés écologistes ont voté contre ce plan, comme tous les députés du PCF.

Leurs votes indiquent qu’une une riposte unitaire de toute la gauche est possible. Une riposte unitaire qui devrait se concrétiser par la constitution d’un gouvernement PS-FDG-EELV. Un gouvernement qui refuserait de céder aux pressions du Medef et de la Commission européenne. Un gouvernement qui mettrait en œuvre un programme de transformation sociale retrouvant l’orientation définie par François Hollande lors de son discours du Bourget en 2012. Un gouvernement qui s’opposerait à la droite comme à l’extrême droite, en France et dans l’Union européenne.

Un gouvernement menant une telle politique, trouverait rapidement, dans l’état actuel de notre société, l’appui d’un puissant mouvement social qui pourrait, à son tour, faire tâche d’huile et se coordonner dans une Union européenne où des dizaines de millions de salariés, de chômeurs, de précaires, de pauvres cherchent désespérément l’issue d’une crise dont ils subissent de plus en plus brutalement les effets.

Une course de vitesse est engagée, symbolisée par l’évolution opposée de 39 parlementaires UMP, d’un côté, et de 41 parlementaires du Parti Socialiste, de l’autre. Cette course ne sera sans doute pas linéaire et son rythme dépendra de la forme que prendra la crise actuelle : sortie de crise lente et chaotique ou crise systémique. Mais, dans tous les cas, il est difficile de penser que cette course de vitesse n’aura pas lieu. Il serait, surtout, suicidaire de ne pas se préparer à une telle éventualité.

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(1): « Marine Le Pen détaille au Monde sa stratégie de conquête du pouvoir ». Le Monde du 28/03/2014. Propos recueillis par Abel Mestre et Caroline Monnot. (retour)

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