GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Féminisme Notes de lecture

L’enjeu féministe des retraites (notes de lecture)

Alors que la bataille contre la contre-réforme des retraites bat son plein, Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic, vient nous apporter à nouveau un éclairage précieux et argumenté sur les enjeux féministes de toute bataille sur cette question.

Le piège du renforcement de la dimension « contributive », mais aussi les nécessaires évolutions tant dans le travail que dans la prise en charge de l’accueil des enfants… : toutes les questions essentielles sont évoquées dans ce livre qui promet d’être passionnant. En amont de sa parution, différentes publications en ont livré des extraits (Ballast, mais aussi Le Monde diplomatique dans lequel Christiane Marty l’a présenté). Nous reprenons ici les passages plus significatifs, qui nous rendent impatiente de lire l’ouvrage in extenso. Les intertitres sont de nous.

Un système plus « contributif » : la double peine

« Les réformes successives visent la limitation, voire la réduction, de la part de la retraite publique par répartition dans la richesse nationale et, ce faisant, à terme, l’extension du champ de la capitalisation. Toutes tendent à baisser le niveau des pensions en durcissant les conditions requises pour les obtenir à taux plein. Et, de ce fait, toutes renforcent le lien entre cotisations versées au cours de la carrière (les contributions) et pensions reçues. Plus le montant des secondes est fonction des premières, plus le système est dit contributif. Or cette corrélation accentuée entre montant des pensions et “effort contributif” affaiblit la part de solidarité dans la détermination des retraites.

Divers dispositifs existent en effet qui visent à compléter les pensions des personnes ayant soit connu des périodes de chômage, de maladie, de retraits d’activité liés aux enfants, soit exercé des métiers pénibles ou des carrières longues. Ils sont essentiels aux femmes qui bénéficient notamment des majorations de durée de cotisation et des minima de pension. Le renforcement de la contributivité sanctionne toutes les carrières hachées, raccourcies et moins rémunérées ; il pénalise donc en majorité celles des femmes dans une société où la division du travail, salarié ou domestique, reste régie par la domination patriarcale. »

Le modèle de travail « patriarcal »

« À sa création [...], notre système de retraites a certes permis un progrès social majeur en affirmant la solidarité entre les générations. Mais, dans le modèle qui prévaut alors, il incombe à l’homme de percevoir les revenus de la famille : il travaille à temps plein, sans interruption de carrière (le chômage n’est pas encore un problème), il cotise et bénéficie de droits propres à une couverture sociale, dont la retraite. Sa femme s’occupe du foyer et des enfants, et bénéficie de droits dérivés en sa qualité d’épouse. Ce qui relève d’une logique de dépendance.

À partir des années 1960, l’emploi des femmes se développe massivement, dans des emplois à temps complet dans un premier temps, il se caractérise néanmoins par des interruptions de carrière dès lors qu’elles assument l’essentiel de la prise en charge des enfants. […] Leur modèle d’emploi, avec des carrières plus courtes et des périodes de temps partiel, est donc différent de celui des hommes sur lequel a été conçu le calcul des droits de retraite… D’une part, les périodes à temps partiel pénalisent fortement le niveau de pension ; d’autre part, le calcul du montant de celle-ci se révèle discriminant pour les carrières courtes – du fait de la prise en compte des vingt-cinq meilleures années de salaire depuis 1993, au lieu des dix meilleures, et de la décote. Celle-ci constitue une double pénalisation des carrières incomplètes, comme l’avait reconnu M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites jusqu’en 2019. »

Des droits propres pour TOUT.ES

« Tirer le fil des inégalités de pension permet d’identifier ce qui dans le système de retraites lui-même contribue à défavoriser plus particulièrement les femmes. Et à envisager des solutions pour y remédier. À cet égard, il va de soi que les droits familiaux accordés au titre des enfants restent indispensables pour atténuer les inégalités de retraite entre les sexes, tant que la prise en charge des enfants n’a pas évolué et reste principalement dévolu aux femmes. […]

[Toutefois,] si une institution sociale comme la retraite attribue des droits supplémentaires aux femmes en lien avec les enfants, elle perpétue nécessairement l’idée que les femmes auraient vocation à s’en occuper. Or, une politique progressiste cohérente doit contribuer tout à la fois à la réduction des inégalités de pensions entre les sexes et à la transformation du modèle de protection sociale : cela signifie, non pas renforcer des droits complémentaires pour les femmes – ce qui serait contre-productif car entretenant la division sexuelle du travail– mais renforcer leur droit propre à une pension à taux plein. Un système de retraites devrait en effet permettre à toute personne de se constituer des droits propres à une pension suffisante, les dispositifs de solidarité assurant des compléments pour les accidents de parcours. »

Pour l’autonomie des femmes et… le financement des pensions 

« D’autre part, et surtout, il est essentiel d’agir en amont de la retraite pour éradiquer les inégalités en matière de salaires, de carrières et d’accès des femmes à un emploi. […] L’autonomie financière est décisive pour l’émancipation des femmes, pour leur assurer par l’acquisition de droits propres les moyens d’existence sans dépendre ni d’un statut conjugal, ni de la stabilité toujours incertaine d’un couple. Avoir un emploi, de qualité, à temps complet, ne pas subir d’inégalités salariales – ce qui implique aussi la revalorisation des métiers à dominante féminine – sont des conditions indispensables, non seulement pour la retraite future des femmes, mais pour leur autonomie tout au long de la vie. C’est en même temps un levier très efficace pour améliorer le financement des pensions, l’égalité salariale et l’égalité des taux d’activité procurant un supplément non négligeable de gains de cotisations. »

Cet article de notre camarade Claude Touchefeu (daté du 11 avril) est à retrouver dans le numéro 304 (avril 23) de Démocratie1Socialisme, l arevue d el aGauche démocratique et sociale (GDS).

Sources : https://www.revue-ballast.fr/les-retraites-un-enjeu-feministe et https://www.monde-diplomatique.fr/2023/03/MARTY/65595

Christiane Marty, L’Enjeu féministe de la retraite,

La Dispute, sorti le 21 avril 2023

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