Une exploitation agricole en Catalogne. Sous un soleil brûlant, les petits-enfants jouent dans une épave de bagnole, juchée là depuis des lustres. Quand soudain, le silence des grands espaces se transforme en un brouhaha mécanique : les tractopelles font le ménage. Sur fond de dissension familiale, c’est l’heure de la dernière récolte des pêches à Alcarràs.

Alors que la famille Solé, trois générations réunies, vivait de l’exploitation des terres qu’elle occupait, un projet de panneaux solaires, décidait par le propriétaire foncier, vient tout bouleverser.

Portrait de famille

Le patriarche, quatre-vingts années au compteur, n’avait du propriétaire terrien qu’un accord oral. Des décennies qu’il travaillait ces parcelles, d’un temps où taper dans la main valait plus et mieux que le passage devant un notaire… Un autrefois désormais révolu et une plongée dans une réalité nouvelle, où les paysans s’effacent et les organisations industrielles triomphent. Où donner sa parole ne vaut pas devant les promesses de bénéfices à venir.

Les enfants se toisent, jaugent la situation. Certains n’abandonneraient les terres pour rien au monde, d’autres voient en revanche d’un bon œil la fin de la culture des pêches qui n’en finit pas d’appauvrir, génération après génération, la lignée… Ils s’observent, se dévisagent. Équilibre précaire d’une famille qu’on imaginait solide. Désaccord, trouble. L’attrait pour une vie meilleure, une vie ailleurs se heurte à l’ancrage et l’enracinement. Au milieu, un projet, une innovation, l’installation de ces panneaux solaires. Forcément rentables, évidemment fructueux !

En toile de fond, les fissures, les jalousies. Aspirer pour soi à une autre vie, n’est-ce pas accepter la fin, pour tous les autres membres de la famille, d’un dessein plus grand, prédestinant des enfants, appelés à devenir à leur tour parents, à entretenir et cultiver la terre afin que des femmes et des hommes puissent, chaque jour que le soleil se lève, manger ?

Du singulier à l’universel

Une histoire de conflits intérieurs et de loyauté. De revenus pour vivre ou survivre. Et de futur aussi. Un sujet actuel et brillamment résumé : nos soleils, les vôtres, nous souffle la talentueuse réalisatrice, Carla Simón.

Cueillir des fruits ou saisir l’opportunité financière : dilemme individuel cruel et vrai questionnement universel. La culture de la terre peut-elle être sacrifiée à une tout autre activité ? En quoi est-elle au fond si singulière et vitale ?

La cinéaste dépeint brillamment la fin d’un monde : la culture de la terre, l’organisation autour de la lignée familiale, la vie au rythme des saisons, et les regards des enfants, partout. Elle insiste sur les dernières fois : la dernière cueillette, le dernier repas de famille, la dernière empoignade, l’ultime soleil qui se couche.

Le film – une coproduction hispano-italienne – est servi par des acteurs amateurs lumineux et brillants. Il a remporté l’Ours d’or à Berlin en 2022 (l’équivalent de la Palme d’or à Cannes). À noter qu’il s’agit d’une première pour un film… tourné en catalan !

Ce film parle de dépendance à la terre, autant que de dépendance à la grande distribution. Il décrit le délitement d’un fonctionnement qui privilégie la rentabilité de terres devenues des espaces à conquérir, des supports de l’accumulation capitaliste, en oubliant les fonctions premières des sols, nourriciers et régulateurs, qui fournissent des services écosystémiques essentiels à la vie sur terre. Marx n’affirmait-il pas à raison qu’avec le travail humain, la terre constitue l’une des « deux sources d’où jaillit toute richesse »* ?

Une histoire intime qui dit beaucoup de notre histoire collective.

Cet article de notre camarade Marlène Collineau à été publié dans le numéro 304 'avril 23) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* Karl Marx, Le Capital, I, 4e section, chap. 15, 10 (p. 547 de l’édition Gallimard, coll. Folio essais, 2008).

Nos soleils de Carla Simón (titre original Alcarràs), sorti en France le 18 janvier 2023. Quand le cinéma nous transporte dans l’intimité d’une famille pour poser la question de l’universel