GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Le mariage pour tous (3 e partie)

Nous publions cette semaine la troisième partie d’un texte de notre camarade Jean-Jacques Chavigné (les deux premières parties ont été publiées dans les lettres de D&S n°153 et 154.

- Lire la première partie

  • Lire la 2e partie
  • 7 – La filiation et le mariage pour tous

    Les violences, insultes et discriminations homophobes ont augmenté de près de 30 % depuis le début du débat sur le mariage pour tous, selon l’association SOS homophobie. Elles sont le fait du retour du « refoulé homophobe » pour une minorité qui trouve de plus en plus en face d’elle, des hommes et des femmes qui n’hésitent plus à témoigner et à porter plainte, confortés par la portée symbolique du débat et du vote de la loi du 23 avril 2013 et maintenant de sa validation par le Conseil constitutionnel, le 16 mai 2013.

    Une large majorité de Français la population étant favorable au mariage pour tous, la droite et l’extrême droite avaient donc dû changer leur fusil d’épaule et entonner l’air de « la protection des enfants » et celui du refus du « changement de civilisation ».

    Un voyage en Belgique ou en Espagne devrait pouvoir calmer assez vite ceux que ronge l’inquiétude d’un changement de civilisation. Se promener dans Bruxelles, capitale d’un pays où les homosexuels peuvent se marier depuis 2003, ne donne pas vraiment l’impression d’avoir changé de civilisation. Un voyage à Madrid est sans doute plus dépaysant mais la crise économique et sociale que subit aujourd’hui l’Espagne pèse d’un tout autre poids dans cette impression de dépaysement que l’instauration du mariage homosexuel en 2005.

    Il ne restait plus à l’Église catholique, à la droite et à l’extrême droite qu’à affirmer vouloir « protéger les enfants » en défendant, bec et ongles, le mariage « d’un homme et d’une femme » qui, seul, pourrait leur assurer cette protection.

    Le principal danger pour la « filiation » paraît pourtant être ailleurs : dans cet étrange enfant que la droite et l’extrême-droite sont en train d’engendrer dans toutes ces manifestations qui les voient s’unir toujours plus étroitement.

    • Le biologique et le social ne se confondent pas

    Les arguments de bien des opposants au mariage pour tous s’appuient sur « la nature » qui serait seule légitime. Le biologique et le social ne se confondent pourtant pas.

    En France, le droit a instauré deux fictions juridiques pour faire « comme si » le biologique et le social se confondaient afin de préserver « la paix des familles ».

    La première de ces fictions juridiques(1) est « la présomption de paternité ». Tous les enfants, nés d’une femme mariée, sont ceux de son mari, même si les enfants ont été conçus par insémination artificielle ou par fécondation in vitro.

    Pour le doyen Jean Carbonnier, doyen de la faculté de droit d’Assas jusqu’en 1976 et éminent juriste s’il en fût, « le cœur du mariage » n’était pas le couple mais « la présomption de paternité ». La sociologue Irène Théry insiste sur le sens de cette fiction juridique : « C’était le sens profond du mariage : être l’institution qui donnait un père aux enfants qu’une femme met au monde. L’homme qui disait oui le jour des noces faisait en quelque sorte une reconnaissance anticipée des futurs enfants qui naîtraient de son épouse, était présumé en être le géniteur et s’engageait à la responsabilité de les nourrir, les élever, leur transmettre le patrimoine, etc. »(2)

    Le mariage et la filiation se sont autonomisées. La loi de 1972 a affaibli la présomption de paternité en instaurant le principe de l’égalité des droits entre enfants naturels (nés hors mariage) et enfants légitimes (nés dans le mariage). Toute distinction entre filiation légitime et naturelle a été effacée du droit français en 2005.

    La deuxième fiction juridique, c’est l’adoption plénière. La loi de 1996 substituait un nouveau lien de filiation au premier et les parents adoptants se substituaient aux « parents biologiques ». Il était alors possible de mimer la filiation biologique et de laisser croire à l’enfant que ses parents adoptifs étaient ses parents biologiques.

    Cette fiction juridique est une sacrée épine dans le pied de la droite : comment affirmer que la filiation est forcément biologique et ne pas remettre en cause une adoption plénière que personne ne conteste ? La juriste Aude Mirkovic, farouche adversaire du mariage pour tous s’y essayait « La filiation résulte de l’acte de naissance, qui indique à chacun de qui il est né, que ce soit biologiquement ou symboliquement comme en cas d’adoption… »(3) Le « symboliquement » faisait pourtant s’écrouler toute son argumentation : si une filiation peut-être symbolique, l’argument de la nature comme source unique de la filiation ne tient plus debout.

    Aude Mirkovic a beau ajouter « Un enfant adopté par deux hommes ou deux femmes serait doté d’éducateurs, d’adultes référents, mais privé de parents au sens propre du terme », ce n’est plus qu’une affirmation qui repose sur ses propres valeurs, devenues des plus discutables dès lors qu’elles ne peuvent plus se réfugier derrière l’argument de la « nature ».

    Avec des parents gays ou lesbiens, la fiction juridique de l’adoption doit être reconnue comme fiction car l’enfant de deux hommes ou deux femmes saura rapidement qu’il ne s’agit pas de l’expression sociale d’une réalité naturelle mais d’un « faire comme si ».

    • La filiation, c’est l’adoption

    Au-delà de la fiction juridique de l’adoption plénière et de sa volonté d’imiter la « nature », c’est l’adoption qui donne pourtant tout son sens à la filiation.

    Le philosophe Michel Serres l’affirmait dans La Croix, au grand embarras de la rédaction de ce journal : « La Sainte Famille est une famille qui rompt complètement avec toutes les généalogies antiques, en ce qu’elle est fondée sur l’adoption, c’est-à-dire sur le choix par amour »(4).

    Michel Cahen(5) précise les rapports de l’adoption et de la filiation biologique : « L’adoption n’est pas un ersatz de filiation biologique, elle n’est pas un cas particulier de filiation, elle n’est pas une « filiation sociale ». C’est précisément l’inverse : c’est la filiation biologique qui n’est que l’un des contextes dans lequel se pratique l’adoption, la filiation n’est que l’une des formes de l’adoption et toutes les adoptions sont sociales ». Il souligne : « C’est l’adoption qui sépare la “naissance vétérinaire” de la naissance humaine ».

    Ce ne sont pas seulement les parents qui adoptent l’enfant, ce dernier, lui-aussi, doit adopter ses parents pour qu’il y ait véritablement filiation.

    • La réalité de la famille aujourd’hui

    La réalité de la famille aujourd’hui, c’est la « famille recomposée » Selon l’Institut national d’études démographiques (INED), en 2011, le nombre de naissance hors mariage atteignait 55 % des 792 996 naissances de l’année.

    C’est dans le cadre de cette « famille recomposée » que l’adoption simple prend tout son sens. À la différence de l’adoption plénière qui substitue un nouveau lien de filiation au premier, l’adoption simple crée un nouveau lien de filiation, mais sans supprimer l’ancien. L’enfant adopté aura de nouveaux parents au regard du droit mais ses parents biologiques garderont leurs liens avec l’enfant. Dans une « famille recomposée, un beau-parent peut donc adopter l’enfant de son conjoint ou de sa conjointe. 95 % du nombre de ces adoptions concerne la sphère intrafamiliale. En 2009 il y avait 66 % d’adoptions simples pour 34 % adoptions plénières.

    La loi du 23 avril 2013 autorise simplement les couples homosexuels qui pouvaient déjà adopter en tant que personnes seules, à le faire en couple. Dans l’immense majorité des cas, elle permettra à des conjoints de familles homoparentales de devenir parent légal de l’enfant biologique élevé dans le couple, par l’intermédiaire d’une adoption simple.

    La « réserve » émise par le Conseil constitutionnel, le 16 mai 2013, sur la nécessaire prise en compte de « l’intérêt de l’enfant » concerne touts les couples adoptants. Pourquoi, cependant, cette réserve a-t-elle été mise lors de la validation par ce même conseil de la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples homosexuels ?

    La réalité ne suffit pas, cependant, à légitimer l’existence d’une famille. François de Singly propose deux fondamentaux sur lesquels pourraient être reconnues les familles. « Le premier c’est l’importance du couple amoureux, hétérosexuel ou homosexuel (…) Le second, c’est le primat de l’intérêt de l’enfant (…) L’enfant a le droit d’être pris en charge, élevé, éduqué par des hommes, de femmes qui signent, chacun individuellement, un engagement à long terme dans le cadre du mariage ou du concubinage, en se déclarant “parent” »(6).

    • L’enfant en danger ?

    Stéphane Clerget (pédopsychiatre), Boris Cyrulnik (psychiatre), Maurice Godelier (anthropologue), Françoise Héritier (anthropologue et ethnologue), Jacques Alain Miller (psychanalyste), Elisabeth Roudinesco (historienne et psychanalyste), Marcel Rufo (pédopsychiatre)… ont signé le manifeste du Nouvel Observateur « Au mariage pour tous, nous disons oui »(7). Ce manifeste affirme notamment : « homosexuel ou hétéro, un parent reste un parent et rien ne permet d’affirmer que les enfants élevés par des couples homo grandiront moins bien que les autres ».

    Trois enseignants du département de psychologie de l’Université d’Aix-Marseille(8) constatent « En 2004, l’Association américaine de psychologie a conclu que les parents lesbiens ou gays sont comparables aux parents hétérosexuels dans leur capacité à fournir un environnement favorable à leur enfant.» Ils précisent que le développement des enfants de parents homosexuels dépend en partie, selon ces études, « des enjeux qui ne sont pas liés à l’orientation sexuelle des parents en soi mais plutôt aux difficultés que ceux-ci rencontrent dans leurs choix ».

    • Les familles homoparentales se construisent comme toutes les autres familles

    Le mariage pour tous correspond à une représentation collective de l’homosexualité qui a changé (mais pas pour tout le monde !). Il correspond aussi au fait que la présomption de paternité n’est plus le « cœur du mariage ». Le mariage, logiquement, n’est donc plus l’union d’un homme et d’une femme.

    L’anthropologue Anne Cadoret atteste que les familles homoparentales se construisent comme toutes les familles : « Les travaux que j’ai pu faire sur les familles homoparentales montrent que ces dernières se construisent comme toutes les autres familles. On y voit notamment la persévérance dont elles font preuve pour reprendre les outils « classiques » de la construction familiale, tels les baptêmes civils ou religieux, ou encore la transmission des prénoms de leurs lignées. Les homoparents sont très soucieux d’inscrire leurs enfants dans un ordre social, dans un champ de la parenté, avec ces grands-parents, des oncles et tantes, des frères et sœurs, des voisins et voisines… »(9)

    • « Deux pères, deux mères ! »

    Ce slogan constamment repris dans les manifestations de la droite et de l’extrême droite vient tout droit de Claude Lévi-Strauss : « deux mères et un père, deux mères et deux pères, trois mères et un père, et même trois mères et deux pères… »(10). Il ne s’en offusque pas pour autant et affirme au contraire « Sur toutes ces questions, les anthropologues ont beaucoup à dire, parce que les sociétés qu’ils étudient se sont posés ces problèmes et offrent des solutions ». Il précise « Bien sûr, ces sociétés ignorent les techniques modernes de fécondation in vitro (…) mais elles ont imaginé et mis en pratiques des formules équivalentes, au moins sous les angles juridiques et psychologiques ».

    Le cardinal Barbarin affirmait dans le cortège du 13/01/2013 : « Pour un enfant, il est mieux d’avoir un papa et une maman. Nous sommes nés d’un père et d’une mère et aucune loi ne changera ça ».

    L’anthropologue Anne Cadoret répondait à ce genre d’argument : « Je ne vois pas où est l’anthropologie, le social, dans le fait qu’il faut la rencontre entre des gamètes mâles et femelles et que l’enfant soit porté par une femelle pendant plusieurs mois, pour qu’il advienne sur terre. Où est l’humain, le social, le symbolique dans tout cela ? Il s’agit là d’un principe biologique »(11)

    Grâce à l’adoption simple, le fait d’avoir « plusieurs papas et plusieurs mamans » existe déjà dans des milliers de familles recomposées. De ce point de vue, la loi autorisant le mariage et l’adoption pour tous ne change rien.

    • « Parent 1 et parent 2 » !

    « Il y aura maintenant dans le code civil le parent 1 et le parent 2 » : cet argument est, au départ, celui de Béatrice Bourges représentante du Collectif pour l’enfant et proche de l’institut catholique traditionnaliste « Ichtus ».

    Reprise maintes fois dans les manifestations de la droite et de l’extrême droite, cet argument a pris, aussi, la forme du slogan « Touchez pas au code civil ! ».

    Comme si le code civil était intangible ! Il a été profondément modifié depuis le code Napoléon de 1804. Le droit au divorce a été instauré en 1884, l’autorisation de la recherche de paternité en 1912, la capacité civile de la femme mariée a été définie en 1938, les régimes matrimoniaux ont été réformés en 1965, la notion de « chef de famille » (accordée automatiquement au père) a été supprimée en 1970. L’inégalité juridique entre enfants naturels et illégitimes a été supprimée en 1970, le Pacs a été instauré en 1999…

    Ce slogan « Parent 1 et parent 2 » est devenu l’une des formules clé de tous les argumentaires contre le mariage pour tous, l’adoption par des couples homosexuels ou la Procréation médicale assistée (PMA).

    Contrairement à ce que laissait entendre Marine Le Pen(12), sur les documents scolaires, les parents 1 et 2 ne remplaceront pas « le nom du père et le nom de la mère ».

    Pour l’Union nationale des associations familiales (Unaf) « les 14 millions de pères et de mères se verraient ainsi dépossédés du droit d’être reconnus comme tels par la loi ». Comme le souligne l’UFAL(13) « À ce compte-là, l’Unaf devrait attaquer les directeurs d’écoles, chaque fois qu’ils annoncent une réunion de parents d’élèves, pour subversion de la famille »(14).

    Dans la loi du 23 avril 2013, jamais les termes de « parent 1, parent 2 » ou « parent A et parent B » ne sont employés. Un « article balai » a été intégré à la loi du 23 avril 2013, précisant qu’il fallait interpréter les mots « père et mère » en fonction du type de famille et les assimiler à « parents » en cas de famille homoparentale. Dans le livret de famille, rien ne change pour les couples hétérosexuels et la référence au père et à la mère sera maintenue.

    8- La procréation médicale assiste (PMA) et la gestation pour autrui (GPA)

    La droite, l’Église catholique et l’extrême droite brandissent aujourd’hui la PMA et la GPA comme des épouvantails et veulent interdire tout débat sur ces sujets qui, pour elles, sentent le souffre. Le gouvernement de gauche face à cette diabolisation, temporise et recule.

    En avril 2009, l’UMP avait une attitude très différente au sujet de la GPA (les « mères porteuses »). Nadine Morano, UMP, ministre de la Famille de Nicolas Sarkozy, allait jusqu’à affirmer que si sa fille était stérile, elle serait prête à porter son enfant(15).

    À gauche, en 2010, plusieurs dizaines d’intellectuels, élus et dirigeants socialistes écrivaient « Sans encadrement, la société peut dériver vers une instrumentalisation des femmes (…) Nous proposons de fixer le cadre qui permettra aux femmes de porter un enfant pour d’autres parents sans voir leurs droits menacés ». Trois actuels ministres de François Hollande, Aurélie Filipetti, Najat Vallaud-Belkacem et Alain Vidalies signaient ce texte.

    Avec le rapport coécrit, en 2008, par Michèle André (PS), Alain Milon (UMP) et Henri de Richemont (UMP)(16), le Sénat à majorité de droite s’engageait dans la légalisation de la maternité pour autrui.

    Aujourd’hui, ce sont les évêques, les imams, les grands rabbins qui semblent dicter leur loi et interdire tout débat sur la PMA ou la GPA, avec l’appui intéressé de la droite et de l’extrême droite.

    • La PMA

    Le vote de la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples homosexuels est un grand pas en avant vers l’égalité. Mais pourquoi refuser la PMA aux couples de femmes homosexuelles ?

    Il n’y a qu’Henri Guaino pour ne pas savoir que le don de sperme, même dans les familles les plus bourgeoises, faisait l’objet « d’arrangements entre amis » et que personne ne s’offusquait de ces gestes généreux. Il n’y a que lui pour s’effrayer, comme il le faisait, dans l’émission Dimanche Plus(17) du risque que la PMA « ne multiplie les cas de frères et sœurs qui pourraient s’épouser entre eux sans le savoir ». Peut-être Henri Guaino ne connaît-il pas l’adage juridique « mater certissima, pater semper incertus » ? Il pourrait pourtant approximativement être traduit par « maman c’est sûr, papa pas toujours ». Un adage non repris dans le droit positif français mais qui ne fait qu’exprimer la réalité d’un monde dans lequel il a toujours été possible d’épouser (puisque c’est ce qui semble effrayer monsieur Guaino) son demi-frère ou sa demi-sœur, sans vraiment le savoir.

    La PMA ne figurait pas dans les « 60 engagements » de François Hollande. Lors du Meeting pour l’Égalité du 31 mars 2012(18), cependant, Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole de François Hollande, avait affirmé que ce dernier était favorable à la PMA et que le futur chef de l’État s’engageait à « ouvrir l’assistance médicale à la procréation (…) avec un donneur anonyme à tous les couples sans discrimination… ». Dans un entretien accordé au magazine Têtu(19), à une semaine du second tour de l’élection présidentielle, François Hollande avait confirmé qu’il était favorable à l’ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes « Oui, je l’ai dit. Aux conditions d’âge, bien sûr. Je suis très précis là-dessus. Il faut que ce soit un projet parental ».

    En septembre 2012, la PMA pour les couples de femmes ne figurait pas dans le projet de loi ouvrant à tous le mariage et l’adoption. Le 22 décembre 2012, le groupe socialiste de l’assemblée nationale déposait un amendement à la loi sur le mariage pour tous en faveur de la PMA pour tous les couples de femmes mariées. Le 9 janvier 2013, le président du groupe socialiste, Bruno Le Roux, annonçait l’abandon de cet amendement car la ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, venait d’annoncer un projet de loi sur la famille et la filiation, en mars 2013. Le lundi 4 mars, Alain Vidalies, ministre chargé des Relations avec le Parlement, précisait que la loi sur la famille serait votée avant la fin de l’année !

    Dans son entretien télévisé sur France 2, François Hollande affirmait que, sur la question de la PMA, il entendait « respecter » l’avis du Comité national d’éthique. Ce comité s’était pourtant prononcé en 2005 contre la PMA pour les femmes homosexuelles(20) : « L’AMP a toujours été destinée à résoudre un problème de stérilité d’origine médicale et non à venir en aide à une préférence sexuelle ».

    EELV et le Front de gauche sont, eux-aussi, favorables à l’instauration de la PMA. Pourquoi la gauche reculerait-elle devant le vote d’une loi autorisant la PMA et confèrerait-elle un poids aussi décisif à un « Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé » qui n’a de compte à rendre à aucun électeur ? La gauche n’est-elle pas majoritaire à l’Assemblée nationale et au Sénat ?

    • La GPA

    Le problème posé par la GPA est plus complexe. La GPA n’est pas une « PMA gay ». Le corps de la femme, sa subjectivité sont en jeu, car porter un enfant pendant 9 mois n’a, évidemment, rien d’anodin.

    Mais, en même temps, le droit à l’égalité pour tous les couples, notamment des couples d’hommes homosexuels, de pouvoir devenir parents doit être pris en considération et les possibilités limitées d’adoption ne permettent pas de répondre à ce droit.

    Les parents d’un enfant né grâce à la GPA (ou la PMA) n’exercerait pour autant aucun « droit à l’enfant » tel que s’en indignent la droite et l’extrême droite. Au contraire, comme le précise Ruwen Ogien(21) ce « droit » ne serait pas « un droit d’utiliser l’enfant comme un objet, ou le traiter comme un esclave, mais des devoirs d’éducation et de protection ».

    En France, la GPA est interdite depuis la décision de la Cour de cassation de 1991(22). Cette technique médicale est, cependant, autorisée dans de nombreux pays : en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark, en Hongrie, au Luxembourg, en Inde, en Pologne ou au Royaume-Uni. Aux États-Unis, de nombreux États ont légiféré pour encadrer cette pratique : l’État de New-York, l’Arkansas, la Floride, l’Illinois, le Nevada, le New-Hampshire, le New Jersey, le Texas, l’Utah, la Virginie et Washington.

    En 2010, plusieurs sénateurs de droite, dont Alain Milon (UMP), Fabienne Keller (UMP) et Sylvie Goy-Chavent (Parti Radical) avaient signé une proposition de loi « autorisant et encadrant la Gestation pour autrui (23)». Visiblement la droite n’en a plus le moindre souvenir.

    Les « intellectuels de gauche », les socialistes sont partagés. Élisabeth Roudinesco, Élisabeth Badinter se sont prononcées pour la légalisation de la GPA. Françoise Héritier, Sylviane Agancinski sont contre cette légalisation. Benoît Hamon, Élisabeth Guigou, Lionel Jospin, Michel Rocard considèrent que cette pratique porterait fondamentalement atteinte aux droits des femmes à disposer de leurs corps. En revanche, en 2010, une proposition de loi sénatoriale « tendant à autoriser et à encadrer la gestation pour autrui » avait été cosignée par plusieurs élus socialistes(24) : Michèle André, Jean-Pierre Bel (aujourd’hui président du Sénat), François Rebsamen, Robert Badinter…

    Certaines pratiques qui entourent la GPA en Inde sont effrayantes. Les cliniques médicales sélectionnent la « mère porteuse ». Celle-ci est rémunérée en fonction du poids du bébé à la naissance. Elle doit, pendant les 9 mois de sa grossesse, obéir aux prescriptions des médecins et du « couple commanditaire », en matière de nourriture et de mode de vie (elle est, avec d’autres « mères porteuses » logée collectivement par la clinique). Elle n’a pas le choix, à la naissance, de décider de garder ou non l’enfant.

    La législation britannique est beaucoup plus protectrice des droits de la « mère porteuse » qui dispose, notamment, depuis 1990(25), d’un délai de 6 semaines pour décider ou non de garder l’enfant. Ce droit change bien évidemment tout dans le rapport de forces éventuel entre la « mère porteuse » et le « couple commanditaire ». La « mère porteuse » a droit à une indemnité mais cette indemnité doit se limiter au remboursement des frais (raisonnables) qu’elle a engagé pendant sa grossesse.

    Une éventuelle loi française autorisant et encadrant la GPA devrait s’inspirer de la législation britannique sur ces deux points déterminants. Le dédommagement perçu par la « mère porteuse » devrait, d’abord, être encadré par la loi et se limiter à un montant « raisonnable », lié au remboursement des frais engagés pour la grossesse, l’accouchement, les premières semaines de l’enfant. La subjectivité de la « mère porteuse » qui a « porté » l’enfant pendant 9 mois devrait, ensuite, être prise en considération et la possibilité de décider de garder l’enfant devrait lui être garantie pendant plusieurs semaines après sa naissance.

    • Réformes sociétales et réformes sociales

    Les engagements de la gauche sur la PMA doivent être tenus. Le débat sur la GPA, entamé au Parlement en 2010, doit se poursuivre.

    Ces objectifs pourront difficilement être atteints si le gouvernement de François Hollande ne change pas radicalement de politique sociale. Celle qu’il mène qu’il mène aujourd’hui, en cédant aux pressions du Medef, permet à la droite de prendre appui sur le mécontentement social et d’instrumentaliser la PMA et la GPA.

    C’est une motivation supplémentaire pour que le gouvernement de gauche change sa politique sociale et décide, enfin, de répondre aux immenses besoins sociaux de la très grande majorité de la population, le salariat.

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    (1): Une fiction juridique n’est pas un mal en soi, bien au contraire. Sans une fiction juridique telle que « nul n’est censé ignorer la loi », le droit n’aurait aucune portée pratique. (retour)

    (2): « Mariage homosexuel : “mariage et filiation se sont autonomisés” - Entretien avec Irène Théry, sociologue du droit de la famille, directrice d’études à l’EHESS ». Nouvel Observateur – 04/11/2012. (retour)

    (3): Le Point – 26/01/2013 - « Mariage pour tous : le véritable enjeu, c’est la filiation » Entretien avec Aude Mirkovic, juriste, membre de l’association Juristes pour l’enfance, maître de conférence à l’université d’Évry. (retour)

    (4): Michel Serres « L’adoption est la bonne nouvelle de l’Évangile » - La Croix du 11 octobre 2012 – Propos recueillis par Élodie Maurot. (retour)

    (5): Michel Cahen «Accouchement anonyme et adoption plénière – Une dialectique des secrets » - Éditions Karthala – Questions d’enfances – 2003. (retour)

    (6):  François de Singly, professeur de sociologie à Paris-Descartes, directeur du Centre de recherche sur les liens sociaux « Faisons cohabiter les deux modèles » Le Monde - 31/01/2013. (retour)

    (7): « Manifeste : au mariage pour tous, nous disons oui » - Nouvel Observateur – 9 janvier 2013. (retour)

    (8): Marianne Jover, maître de conférences, Patrick Perret, maître de conférences, Carole Tardif, professeur. « Homoparentalité : ce que dit la psychologie » - Libération- 31 janvier 2013. (retour)

    (9): Anne Cadoret , chargée de recherches en anthropologie sociale au CNRS : « Les familles homoparentales se construisent comme toutes les autres familles » - Psychologie.com – Novembre 2012. (retour)

    (10): Claude Lévi-Strauss « L’anthropologie face aux problèmes du monde moderne » - Éditions du Seuil – Avril 2011. (retour)

    (11): Anne Cadoret, article cité. (retour)

    (12): Catherine Pétillon « Parent A et parent B : la droite part en live sur le mariage pour tous » -Libération – 27 novembre 2012. (retour)

    (13): Union des familles laïques « Mariage pour tous : à la place de l‘égalité, l’Unaf propose la ségrégation » - 05/11/2012 (retour)

    (14): Union nationale des associations familiales « Ouverture de nouveaux droits pour les couples de même sexe : les propositions de l’Unaf » - 26-10/2012. (retour)

    (15): « Mères porteuses : la polémique » - Le Parisien – 28/06/2008. (retour)

    (16):  « Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui » - Rapport n° 421 du 25 juin 2008 - Sénat - Au nom de la Commission des Affaires sociales (…) par le groupe de travail sur la maternité pour autrui. (retour)

    (17): Henri Guaino était l’invité de l’émission « Dimanche plus » sur Canal Plus, le dimanche 27 janvier 2013. (retour)

    (18): Le Meeting pour l’Égalité était organisé, le 31 mars 2012 par la Fédération LGTB (Fédération Lesbiennes, Gays, Bi et Trans de France), la coordination Inter-pride France et l’inter-LGTB. (retour)

    (19): « François Hollande à Têtu : Les libertés, elles s’arrachent toujours » - Par Rédaction de Têtu – 29 avril 2012. (retour)

    (20): Avis n°90 de Comité consultatif national d’éthique (CCNE) « Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation » 24 /11/2005. Page 26. (retour)

    (21): Ruwen Ogien « Le corps et l’argent » - Éditions La Musardine – mars 2010. (retour)

    (22): Arrêt de la Cour de cassation, Assemblée plénière, du 31 mai 1991, 90-20.105. (retour)

    (23): « Proposition de loi tendant à autoriser et encadrer la gestation pour autrui » Sénat, 27 janvier 2010. N° 234. (retour)

    (24): « Proposition de loi tendant à autoriser et à encadre la gestation pour autrui » Sénat, 27 janvier 2010. N° 233. (retour)

    (25): « Human Fertilisation and Embryology Act » du Parlement britannique, promulgué le 1er novembre 1990. (retour)

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