GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Jeunes

Tuer la fonction publique dans les oeufs ?

La destruction à la racine de la fonction publique est en marche, et elle se cache bien. Nicolas Sarkozy annonçait déjà le 19 Septembre 2007 (discours de l’IRA de Nantes) sa volonté de proposer aux futurs fonctionnaires un choix entre le statut de fonctionnaire et un contrat de droit privé, avec incitation financière à opter pour ce dernier. Cette proposition relève d’une logique de carrièrisation à l’américaine des agents de l’Etat, substituant à l’appartenance au service public via un corps constitué une mise en concurrence des agents, et un déclassement pour les ringards fainéants faisant le choix définitif du service public.

Depuis peu, une autre réforme, encore plus insidieuse et complexe se met progressivement en ordre de marche. Il s’agit non plus de saper les statuts à la titularisation, mais en amont ! Deux documents, l’un commis par la Conférence des directeurs d’IUFM (CDIUFM), l’autre par le député UMP de Seine-et-Marne Guy Geoffroy, proposent des pistes au gouvernement pour une réforme de la formation des futurs professeurs des écoles et professeurs certifiés. Un objectif central est avancé : intégrer ces formations dans le LMD (Licence-Master-Doctorat), et donc procéder à leur « masterisation ». L’IUFM deviendrait donc un Master, théoriquement accessible sur concours. Mais les propositions préparent aussi le terrain à la dissolution du recrutement sur concours, que Sarkozy et ses affidés se plaisent à trouver « trop académiques » - vieille rengaine réactionnaire du bourgeois empli de ressentiment anti-intellectuel. Est notamment suggéré (et parfois déjà appliqué par certains IUFM zélés, au mépris de l’égalité territoriale et républicaine), de prendre en compte des acquis antérieurs (certifications, expériences professionnelles) dans les calculs d’admission aux concours. De même préconise-t-on de regrouper ces formations dans un grand master professionnel délivrant un diplôme, dont l’objet affiché est d’être monnayable sur le marché du travail, français et européen. La réussite à un concours national de recrutement de fonctionnaires-stagiaires n'induirait plus l'obligation, fut-elle morale, de servir le service public. Dans cette optique, il y aurait donc naturellement lieu d'interroger la pertinence même du statut de fonctionnaire-stagiaire, CQFD. Le message est clair : le service public recrute, vendez-vous au privé après !

Pourquoi s’attaquer d’abord aux IUFM ? Parce que l’enjeu politique est de taille : tailler d’abord à la serpe dans le statut des futurs enseignants, ces fonctionnaires paresseux, éternels grévistes et depuis peu criminels qui abandonnent nos enfants dans la rue. Et bien sûr, aboutir au Graal de la droite : la suppression du statut de fonctionnaire, du moins stagiaire en 2e année d’IUFM, qui constituerait une économie d’échelle propre à compenser en partie les cadeaux fiscaux donnés et à venir.

En réalité, une première tentative avait été avortée ces dernières années : l’Ecole Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques (ENSSIB), formant les conservateurs-stagiaires, avait tenté de « masteriser » la formation de ces derniers, la faisant passer de 18 à 24 mois. Conscients du but final de cette manœuvre, lesdits fonctionnaires-stagiaires se sont rebellés dans un superbe mouvement d’archaïsme forcené. La réforme a été provisoirement enterrée.

Quoiqu’il en soit, cela ne peut être reçu sans que ne soit explicitement posée l'hypothèse d'une intégration généralisée des formations post-concours dans le LMD, notamment partout où cela ouvre la voie à une remise en cause, d'une part, du statut de fonctionnaire-stagiaire, d'autre part, du caractère national et républicain des concours. La liste est longue des futures cibles potentielles: élèves des ENS, de l'Ecole Nationale des Chartes, conservateurs-stagiaires de l'ENSSIB et de l'INP, auditeurs de justice de l'ENM... toutes ces formations sont dispensées en dehors du cadre du Master et de la semestrialisation, et sont rémunérées sur les grilles de la fonction publique. Quant au recrutement sur concours, il repose sur trois piliers : l’égalité territoriale, l’anonymat, et conséquemment la non-prise en compte de quelconques acquis antérieurs (qui peuvent aussi être un « passif » social, racial, politique). Le processus enclenché de « masterisation » vise tout simplement à les détruire de fait tous les trois, ouvrant la voie à l’anarchie territoriale, aux clientélismes et aux localismes féodaux de tous poils, terrain déjà bien préparé par la Loi Pécresse sur les universités.

Pourquoi ? Parce que les lauréats actuels des concours ne sont pas formés pour se vendre ensuite au plus offrant, mais pour servir toute leur vie professionnelle l’intérêt général en contrepartie de la sécurité de l’emploi. Et c’est bien ce contrat moral, un des socles de la République issu du programme commun de la Résistance, que la droite décomplexée n’hésite plus à viser directement. Ne nous étonnons pas : Sarkozy voulait déjà détecter le délinquant en puissance au berceau, il veut maintenant mater les dernières fortes-têtes (après les cheminots, les gaziers et les électriciens, les fonctionnaires) avant qu’elles ne soient irrécupérables.

Théo Bélaud, Pour la République Sociale 62

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