L’avortement aux États-Unis à l'approche des élections…
En juin 2022, la Cour suprême des États-Unis, remaniée in extremis par l’ex-président Trump, a supprimé, à travers la décision « Dobbs », la protection constitutionnelle du droit à l’avortement qui était garantie par le jugement « Roe vs Wade ». Qu’en est-il deux ans plus tard ?
Cette décision a eu des effets ravageurs. Une Américaine sur trois (25 millions) vit privée du droit à disposer de son corps. L’accès même à la contraception a été rendu parfois plus difficile : des femmes et des médecins ont été condamné.e.s, des femmes ont été dans l’obligation de poursuivre une grossesse alors qu’une maladie congénitale avait été détectée…
Une régression sans précédent
Vingt États ont interdit ou sévèrement restreint l’accès à l’IVG. Dans plus de douze d’entre eux, il n’est fait aucune exception en cas de viol ou d’inceste. Dans tous ces États, les cliniques ont été dans l’obligation de fermer ou de déménager dans un État voisin. Dans six autres États, les délais ont été – et parfois drastiquement – restreints. Dans de nombreux États, les batailles juridiques font rage. Par exemple dans le Wioming, l’Ohio ou le Montana, l’IVG n’est pas interdit, mais des textes visant à l’interdire ou le restreindre sont actuellement discutés dans les tribunaux.
En revanche, dans une dizaine d’États – dont la Californie, l’État de New-York ou Washington – l’accès a été étendu. Professionnels et patientes y sont plus protégés, parfois notamment contre des poursuite venant d’autres États qui interdisent l’IVG.
De nombreuses femmes n’ont donc d’autre recours que de se rendre dans des États où l’IVG est autorisé, souvent loin de chez elles, et où les cliniques sont parfois largement débordées. Cela représente un coût, du temps, des journées où elles ne peuvent travailler, et parfois la prise en charge des enfants. Tous ces facteurs créent une forte inégalité dans l’accès aux soins.
Déjà en juin 2023, un rapport d’experts de l’ONU constatait « que les femmes et les filles en situation défavorisée sont touchées de manière disproportionnée par ces interdictions. Ils font ainsi référence aux femmes et aux filles issues de communautés marginalisées, de minorités raciales et ethniques, de migrants, de femmes et de filles handicapées, ou vivant avec de faibles revenus, dans des relations abusives ou dans des zones rurales. »*
Planning familial : dégradation globale
Une étude publiée le 26 juin par cinq chercheurs américains indique que la décision de la Cour suprême aurait également amené à une baisse des contraceptifs oraux, à la fois pilules quotidiennes et pilules du lendemain, dans les États adoptant les politiques les plus restrictives. L’utilisation de « contraceptifs d’urgence » a diminué de plus de 65 % dans ces États-là.
D’après les auteurs, se basant sur 143 millions d’ordonnances apportées dans les pharmacies américaines entre 2021 et 023, ce phénomène est à mettre en lien avec la fermeture des centres de planning familial. « Environ 11 % des femmes américaines en âge de procréer dépendent [de ces cliniques] pour leur contraception ».
Un enjeu politique majeur
Si les législations se durcissent et la situation pour les femmes se dégrade, l’opinion publique, elle, reste globalement favorable à une législation « pro choice ». C’est pourquoi la question du droit à l’avortement est à nouveau un des enjeux forts de l’élection de novembre.
De manière significative, depuis le revirement de la Cour suprême, les conservateurs ont perdu chaque référendum abordant la question de l’avortement à l’échelle des États, y compris dans des États épublicains. La question sera de nouveau inscrite sur les bulletins de vote dans plusieurs États en novembre, dont l’Arizona, le Missouri et la Floride.
Cette série de défaites face aux électeurs pousse le Parti républicain à avancer maqué sur l’avortement. Trump tente aujourd’hui de donner une image plus « modérée » que par le passé, déclarant récemment abandonner la proposition d’une loi fédérale interdisant l’avortement sur l’ensemble du territoire et préférer laisser les États maîtres de leur législation sur le sujet. Ce qui revient à maintenir la situation catastrophique actuelle dont il est le premier responsable.
Face à lui, l’arrivée de Kamala Harris dans la bataille change la donne. Elle a toujours exprimé des positions beaucoup plus claires et déterminées sur le sujet que Joe Biden. En mars 2024, elle avait effectué une visite historique dans un établissement pratiquant des avortements, aucun président ou vice-président en exercice ne l’ayant jamais fait. Elle était d’ailleurs accompagnée de Tim Walz, candidat choisi depuis à la vice-présidence. Lui-même s’était engagé en 2022 « à faire de son État un sanctuaire pour les femmes cherchant à avorter ». Il a ainsi inscrit le droit à l’avortement dans la législation du Minnesota. Sans aucune ambiguïté, ils portent ensemble la promesse de faire voter une loi fédérale pour protéger l’avortement.
Kamala Harris inclut cette question dans une bataille beaucoup plus globale pour les droits des femmes, déplaçant symboliquement la bataille présidentielle, laissant Trump à sa propre caricature de vieux mâle blanc suprémaciste, désarçonné par un combat qui ne se joue plus sur son terrain.
Cet article, daté du 1er septembre, de notre camarade Claude Touchefeu est à retrouver dans le n°317 (septembre 24) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).