GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Féminisme

La victoire des féministes argentines

Elles ont gagné ! 2020 aura été l’année de la légalisation ! Dans la nuit du 29 au 30 décembre, alors que des milliers de personnes manifestaient devant le Sénat argentin, celui-ci a adopté la loi autorisant l’IVG.

Le texte adopté prévoit un droit à l’avortement jusqu’à la quatorzième semaine de grossesse. L’IVG sera prise en charge par le système de santé argentin, et sera donc gratuite. Les médecins disposeront du droit de refuser de la pratiquer, mais leur établissement de santé devra dans ce cas diriger la patiente sans délai vers un autre hôpital ou une autre clinique.

Le bout du tunnel

La bataille a été longue : depuis 2005, une large coalition d’associations féministes et d’organisations de la société civile mène campagne pour un « avortement légal, sûr et gratuit ». Elle avait déjà déposé pas moins de sept projets de loi. La victoire a la couleur de cette « vague verte », véritable lame de fond, ayant profondément bouleversé la société argentine.

La victoire a aussi un petit goût de revanche. En août 2018, le Sénat, à la fin d’une procédure similaire, avait rejeté la loi pourtant adoptée par la chambre des députés en juin de la même année. Le mouvement féministe, s’il avait été profondément déçu, avait pourtant conscience de l’ampleur de la transformation qu’il avait initiée dans la société. Comme le disait Mariela Belski d’Amnesty International Argentine au lendemain de cette défaite, « malgré ce revers, le changement est inéluctable. Dans l'Argentine actuelle, les femmes peuvent se rassembler fièrement et revendiquer la liberté de prendre des décisions concernant leur corps. […] Chaque citoyen mobilisé en faveur de ce changement en Argentine peut se sentir fier de tout le chemin parcouru. Des millions de personnes se sont rassemblées pour soutenir les droits des femmes. […] Désormais, nous sommes visibles partout dans le monde. La victoire est proche »*.

Travail de conviction

Jusqu’au bout, l’Église catholique a mobilisé contre la loi : organisant messes et soirées de prière. Les évêques ont encore, quelques jours avant le vote, refusé de présenter leurs vœux de Noël aux autorités. Rappelons que le pape François lui-même, a directement fait pression usant de comparaisons d’une violence inouïe avec le régime nazi.

Mais le mouvement a su répondre et convaincre. D’abord sur le fait que la légalisation de l’avortement est un enjeu de santé publique : en Argentine, comme dans tous les pays où l’IVG est pénalisé, l’avortement clandestin apportait son lot de souffrances et de complications parfois dramatiques. Le rendre légal, c’était sauver des vies.

Mais le mouvement a fait aussi bouger les lignes, fait reconnaître la volonté des femmes de disposer librement de leur corps, dénoncé les violences de genre, revendiqué l’autonomie.

Le petit vent de l’Amérique latine

Cela fait maintenant plus de dix ans que le mouvement féministe connaît une vitalité nouvelle ; ce que certains nomment une « quatrième vague du féminisme ». Pour la militante et sociologue Aurore Koechlin, « cette nouvelle vague a débuté en Amérique latine, hors des États-Unis ou de l’Europe, contrairement aux vagues précédentes. On l’oublie trop souvent dans les médias et dans les discours militants, mais l’Amérique latine montre aujourd’hui la voie au monde, ce qui est symboliquement très fort ».

Il n’est qu’à se rappeler les manifestations monstres contre les féminicides qui ont eu lieu en 2015 à Buenos Aires et dans de nombreuses villes d’Argentine, où des centaines de milliers de voix ont scandé  « Ni una menos » (« Pas une de moins »). Ce mot d’ordre – qui reprend un vers de la Brésilienne Susana Chavez assassinée en 2011 – est depuis devenu un cri international.

On peut aussi dire que cette nouvelle vague marque une évolution dans l’imbrication accrue entre revendications féministes et revendications sociales. En Argentine particulièrement – mais cela est aussi vrai dans d’autres pays, notamment au Chili –, les mobilisations sociales sont fortes ; les femmes y ont une place déterminante et les différentes colères se nourrissent mutuellement donnant par là même une portée universelle aux combats pour les droits des femmes.

La joie qui s’est exprimée dans la rue, au moment du vote du Sénat, a reflété le soulagement de voir la fin de la souffrance et de la peur au ventre, mais aussi la fierté d’avoir mené la bataille la tête haute, montrant le visage d’un féminisme joyeux et combatif.

Cet article de notre camarade Claude Touchefeu a été publié dans le numéro 281 (janvier 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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