GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

La France est-elle de Gauche ?

De cette question découle beaucoup de choix stratégiques pour la Gauche. Est elle comdamnée pour créer une majorité à aller chercher ses voix du coté d'un prétendu centre, ou au contraire, y a-t-il une majorité potentielle de Gauche qu'elle ne peut mobiliser qu'à condition d'une vraie politique de Gauche ?


Nous publions ici un échange sur cette question entre JG et Pierre Ruscassie, rédacteur et membre du comité de rédaction de Démocratie Socialisme

De : JG Date : Sun, 1 Aug 2004 17:59:22 +0200

À : Gérard FILOCHE

Objet : Coup de force bonapartiste...

Après réflexion, j'ai considéré qu'il ne serait pas loyal de ne pas te communiquer ce que m'inspire tes analyses.

Ce qui m'a fait bondir, c'est : « En vérité, la France est de gauche... comme on l'a vu le 28 mars et le 13 juin... » !

Non pas que cela me contrarierait, bien au contraire, mais si on admet que les Français sont de gauche, force est de constater qu'ils sont également schizophrènes !

Sinon, comment expliquer leurs revirements ?

Voici donc le message que j'ai expédié à une amie, analysant ta réponse.

Sincèrement,

JG

Original Message :

De : JG Date : Sun, 1 Aug 2004 1:11 PM

Objet : Coup de force bonapartiste...

Tu vas peut-être trouver que je radote, que j'insiste lourdement (chez moi on dit “que je répépille”), mais :

Lorsqu'on ignore délibérément les faits, qu'on nie ses erreurs et leurs conséquences, on est à peu près certain de les reproduire avec les mêmes conséquences.

Et Filoche nie les erreurs du PS et leurs conséquences, il choisit d'ignorer les résultats des législatives de 2002, il préfère ne prendre en compte que les résultats qui l'arrange, ceux des élections 2004 !

En en faisant l'analyse qui l'arrange !

Et, en plus, son analyse : “si, si le 13 juin, l'ump à 16 % des voix seulement et le 28 mars avec une forte mobilisation électorale, elle est nettement battue, la gauche obtenant pour la première fois, seule, sans triangulaire, plus de 50 % des voix” est fausse, or, on ne fait de bonne politique qu'à partir des réalités !

Il ne faut pas confondre un rejet de la droite, de la majorité au pouvoir, avec une adhésion à la gauche.

Je l'ai déjà dit, je le répète, depuis 1979 : à chaque législative, les Français ont changé la majorité non par adhésion aux valeurs de l'opposition mais par rejet de l'action menée par la précédente.

Il faut donc se garder de considérer les résultats du 13 juin comme une adhésion aux valeurs de la gauche en général et du PS en particulier.

D'ailleurs pour que les électeurs adhèrent aux projets du PS il faudrait, au moins, qu'ils existent et qu'ils soient connus !

Donc le 16 juin les Français ont rejeté la politique de Raffarin.

Pour autant, sont-ils devenus “de gauche” ?

Seraient-ils si versatiles ?

Si c'était le cas ce serait inquiétant, et il ne faudrait surtout pas pavoiser à la vue de résultats susceptibles de s'inverser aussi radicalement et rapidement !

Je te joins les résultats des législatives 2002, tu peux le voir :

En 2002 : UMP 47,26% des inscrits

En 2004 UMP 16% des inscrits !

De deux choses l'une :

Ou les Français ne savent pas ce qu'ils veulent, et ce ‘est pas rassurant pour la suite.

Ou les résultats 2002 étaient la conséquence de la présidentielle et donc des consignes de vote : “Votez CHIRAC !”.

Ce qui me préoccupe : c'est le refus du PS (même ses membres les plus éclairés) de reconnaître, de prendre en compte (je ne dis même pas d'analyser !) ses erreurs ! En fait, préoccuper ne rend pas mon sentiment : cela me catastrophe !

En gros :

-le Ps n'a commis aucune erreur au cours de la campagne du 2° tour de la présidentielle.

-la campagne du 1° tour a été parfaite.

-et durant les 5 ans où il a été au pouvoir, le PS a gouverné parfaitement selon les vœux des gens de gauche.

-ce sont donc les électeurs qui sont des cons !

Loin de moi l'idée de prétendre que la droite et la gauche c'est pareil !

Pas même que la droite et le PS c'est pareil !

Mais dire que : de 97 à 2002 le Ps a gouverné à gauche est pour le moins exagéré.

Durant la campagne du 1° tour, Jospin ne s'est pas adressé aux électeurs de gauche ; il a tenté de séduire les électeurs du centre (pour ne pas dire ceux de droite).

Et, j'ai suffisamment dit ce que je pensai de la campagne en faveur (je maintiens en faveur !) de CHIRAC.

JG

Réponse de Pierre Ruscassie (D&S)


Cher camarade,

Il y a malentendu entre toi et Gérard Filoche (et la rédaction de "Démocratie Socialisme").

Et pour reprendre tes mots et les arguments que tu avances, avec lesquels nous sommes d'accord :

  • nous ne disons pas que les électeurs ont approuvé le programme du PS et voté pour lui : il n'existe pas.
  • nous ne disons pas que les électeurs sont des cons (surtout pas) : nous disons tout le contraire.
  • nous ne disons pas que durant 5 ans le PS a gouverné parfaitement selon les vœux "des gens de gauche" : puisque "les gens de gauche" l'ont boudé le 21 avril.
  • nous ne disons pas que la campagne du 1er tour a été parfaite : elle refusait les mesures essentielles d'un programme de gauche pour ne parler que de généralités qui n'engagent pas et son "programme n'était pas socialiste".
  • nous ne disons pas que le PS n'a pas fait d'erreur lors de la campagne du second tour : DSK s'est précipité pour appeler à voter Chirac et la direction du PS a créé des illusions dans Chirac, qualifié alors de "républicain" alors que, maintenant, il applique le programme du FN en l'enrubannant de bonnes paroles.
  • Alors ? Alors, nous disons que "les gens de gauche" ont boudé le PS en 2002 (en s'abstenant ou en votant plus à gauche). Beaucoup étaient même en colère, pour prendre le risque de laisser passer la droite. Et nous disons qu'une partie "des gens de gauche" qui avaient boudé le PS en 2002 se sont ravisés en 2004 en revenant voter. Non pour approuver un programme inexistant mais pour voter contre la droite.

    Est-ce parce qu'ils sont schizophrènes ? Non ! Tu donnes d'ailleurs toi-même la solution au problème posé : ce sont "des gens de gauche" qui, en 2002, ont trouvé que "le PS n'avait pas gouverné selon leurs vœux" et qui, en 2004, se sont mobilisés contre la droite.

    Et le cœur de l'argumentation de Gérard Filoche consiste dans ce que tu dis et que tu répètes (au point qu'en te lisant j'ai cru que tu faisais une citation de Gérard) "depuis 1979 : à chaque législative, les Français ont changé la majorité non par adhésion aux valeurs de l'opposition mais par rejet de l'action menée par la précédente".

    D'ailleurs l'argument de Gérard et de la rédaction de D&S est plus précisément : "depuis 1979 : à chaque législative, les Français ont changé la majorité non par adhésion au programme de l'opposition mais par rejet de l'action menée par la précédente majorité".

    En effet, là réside le malentendu. Il est vrai que ceux "des gens de gauche" qui sont revenus voter PS, ne l'ont pas fait par adhésion au programme du PS. Mais s'il rejettent l'action menée par la droite depuis 2002 et s'ils rejetaient celle menée par la gauche avant 2002, c'est parce qu'elle heurte et heurtait à la fois leurs intérêts sociaux et les valeurs de gauche auxquelles ils adhèrent.

    Il n'y a donc pas de "revirement" des électeurs, ils gardent leur identité politique. Ils ne sont ni imbéciles ni schizophrènes.

    Quand "les gens de gauche" sont déçus par la politique de la gauche, ils ne votent pas à droite : la plupart s'abstiennent et certains votent extrême gauche.

    Voilà l'explication que nous donnons et que tu donnes toi-même en disant que le PS a perdu en 2002 parce qu'il n'a pas "gouverné parfaitement selon les vœux des gens de gauche" et parce que Jospin ne s'est pas "adressé aux électeurs de gauche [mais] a tenté de séduire les électeurs du centre (pour ne pas dire de droite)". Ce sont tes propres paroles.

    Mais pourquoi, quand les gens de gauche vont voter, la gauche est-elle majoritaire ? D'ailleurs, en 2004, cette mobilisation des électeurs de gauche n'était pas complète, elle a cependant suffit parce que, cette fois-ci, des électeurs de droite, frappés durement dans leurs intérêts sociaux (beaucoup sont quand même salariés), se sont abstenus (mais n'ont pas voté à gauche !).

    Pourquoi, quand la mobilisation des deux camps est très forte (10 mai 1981), la gauche l'emporte-t-elle ? Parce que les "gens de gauche" sont majoritaires face aux "gens de droite". Et depuis 1981, le rapport de forces s'est encore accru en faveur de la gauche.

    Une enquête publiée en 2000, dans "La démocratie à l'épreuve" (Presses de Science Po), page 157, montre que parmi ceux qui se déterminent entre l'identité de gauche et l'identité de droite (l'écrasante majorité), 59 % se déclarent de gauche et 41 % de droite.

    Et ce rapport de forces est encore plus fort parmi les moins de 50 ans : 64 % de gauche et 36 % de droite. Ce sera le rapport de forces en 2025. Un gros problème s'annonce donc pour la droite, sauf si elle réussissait, très rapidement, à casser le mouvement social comme l'avait fait Thatcher : la confusion serait grande et le "bonapartisme" de droite puis de gauche pourrait permettre de contenir un temps cette majorité.

    Parmi les plus de 50 ans, 51 % sont de gauche et 49 % de droite : ceci indique le rapport de forces qui existait 25 ans auparavant (1975), quand cette population formait les plus de 25 ans. Le renversement, aux alentours de 1975, de la majorité précédente, qui s'identifiait à droite, était le résultat de Mai 68 et de l'Union de la Gauche.

    Il ne faut pas confondre les formules "la gauche est majoritaire" et "les gens de gauche sont majoritaires".

    Cette dernière formule est vraie depuis 30 ans et cette majorité est stable et même progresse : l'identité politique se fixe au cours de l'adolescence et des vingt ans.

    En revanche, la première formule est ambiguë. Si elle veut dire "la gauche est politiquement majoritaire", alors elle est synonyme de la seconde et elle est vraie depuis 30 ans. Mais si elle veut dire "la gauche est électoralement majoritaire", alors elle n'est pas toujours vraie et ne peut être qu'un constat électoral, qui varie selon les élections et la mobilisation des électeurs de gauche (et parfois de droite). Parfois (2002), "la gauche est électoralement minoritaire".

    Rectification : aux législatives de 2002 (1er tour, le seul qui soit représentatif pour tous les partis et pour la France entière), le RPR, les gaullistes divers et les divers droite (sauf UDF et extrême droite) n'ont pas fait 47,26 % des inscrits comme tu le dis, mais 24,4 %. A cette même élection, le total des voix de droite (sauf extrême droite) était de 27,5 % des inscrits et le total des voix de droite et d'extrême droite atteignait 35,4 % des inscrits, alors que le total des voix de gauche et d'extrême gauche était 26,01 % des inscrits.

    En espérant que cette démonstration aura levé les malentendus et que tu en feras profiter ton amie.

    Amicalement,

    pour la rédaction de D&S,

    Pierre Ruscassie.



    De: JG

    À: Pierre Ruscassie

    Objet: Rép : La France est-elle de gauche ?

    Merci ! Me voilà rassuré

    Les erreurs de mes adversaires tendent à me réjouir, celles de mes amis me navrent !

    Surtout, lorsqu'ils refusent de les admettre car ils ont, alors, de fortes chances de les reproduire.

    Et comment ne pas admettre que la gauche a fait des erreurs lorsqu'on rapproche ces deux chiffres que vous avez donné :

    --59% des Français se disent de gauche.

    --26,1% des Français, seulement, ont voté à gauche au 1° tour des législatives 2002 !

    Nous sommes bien d'accord, n'est-ce pas ?

    JG

    De: Pierre Ruscassie

    Date: 15 août 2004 23:06:37 GMT+02:00

    À: JG

    Objet: Rép : La France est-elle de gauche ?

    Ta remarque résume précisément notre argumentation : il y a un décalage entre l'identification à la gauche d'une majorité (59 %) et le score électoral qu'obtiennent les partis de la gauche (26 % des inscrits au premier tour des législatives de 2002).

    En effet, une partie, plus ou moins importante selon l'élection, des électeurs de gauche s'abstient parce qu'elle est mécontente de la politique mise en œuvre par les partis de la gauche. Cette abstention de gauche varie selon les élections (les électeurs sanctionnent la politique socio-libérale ou néolibérale de la majorité sortante). Si elle est importante, cette abstention laisse la victoire à la droite ou, lorsqu'elle est plus réduite, par colère contre la droite, elle apporte à la gauche une victoire souvent étriquée.

    En conséquence, quand la gauche est battue, ce n'est pas parce que la France serait à droite et "qu'on n'y peut rien", ce n'est pas non plus parce que ses candidats seraient mauvais en communication : c'est parce que la gauche n'a pas fait une vraie politique de gauche et qu'elle ne s'est pas engagée à en faire une. C'est parce qu'elle a déçu ses électeurs.

    Pour que la gauche gagne, puisqu'elle est potentiellement majoritaire, il faut qu'elle se donne les moyens de faire le plein de ses voix , il faut qu'elle mobilise ses électeurs en proposant un programme qui répond à leurs aspirations. Et, pour assurer sa victoire à l'échéance suivante, elle doit respecter ce programme, être fidèle à ses promesses. Si elle s'appuie sur un bon bilan et sur un vrai programme de gauche, alors sa victoire ne sera pas étriquée, mais éclatante.

    Au contraire, les dirigeants de la gauche qui croient ou font semblant de croire que la majorité des électeurs est de droite, prétendent que, pour gagner, la gauche doit présenter un bilan fait de concessions à la droite et un programme qui ne soit pas vraiment de gauche, qui ne soit pas socialiste ; ceci afin d'obtenir les voix du "centre" (de la droite "modérée") et d'élargir ainsi l'assiette électorale aux dépens de la droite. C'est un mensonge qu'il faut combattre.

    En faisant ainsi jusqu'à maintenant, les dirigeants de la gauche ont fait la preuve qu'ils ne peuvent pas gagner les voix de droite (les électeurs de droite ne vont pas voter à gauche, au mieux ils s'abstiennent s'ils sont déçus par la droite, car les transfuges de plus de 30 ans sont rares). Et ils ont fait la preuve que c'est ainsi qu'ils perdent les voix de gauche.

    Si la gauche présente comme bilan celui de Laurent Fabius ou celui de Dominique Strauss-Kahn, si elle propose comme programme celui de Laurent Fabius ou celui de Dominique Strauss-Kahn, alors elle aura préparé les conditions de sa défaite.

    C'est parce que la France est majoritairement de gauche que l'alternative est simple : une politique de gauche pour gagner, une politique qui n'est pas de gauche pour perdre.

    Amicalement,

    Pierre Ruscassie

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