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Chronique "Au boulot" : Jo, venu de Sierra Leone

Notre camarade Gérard Filoche tient une rubrique régulière dans l'Humanité-Dimanche. Ci-dessous  cette rubrique "au boulot" n°373 parue dans le numéro du 25 janvier 2018.

Jo est venu de Sierra Leone. Il a mis un an et demi pour venir en France. Il a tout traversé, tout subi. Les longues marches, le cabotage en camion et en bateau. Les attentes interminables, le pillage de ses maigres ressources, les mauvais traitements de tous cotes, police, milice, mafias. La peur, les humiliations, le risque ont été permanents. Il a d’abord réussi à remonter en Afrique du Nord, en Libye, puis il a réussi à s’embarquer au péril de sa vie, il est arrivé à Lampedusa. Il était encore temps, il a pu traverser l’Italie. Il visait la Grande Bretagne. Il est passé par Menton. Puis il est arrivé à Calais. Après 18 mois de voyage, il a été évacué de force avec la grande liquidation de la « jungle ». On l’a transféré du côté de Clermont-Ferrand, il ne savait pas bien ou il était. Mais il s’y est posé, il a cherché du boulot. De chantiers en chantiers, il s’est accroché pour avoir de quoi redevenir décent et vivre a minima. Il a pu envoyer quelques sous à sa famille. Il a rencontré de la solidarité ouvrière, par le syndicat, les militants proches de la CGT. Ils l’ont aidé à faire valoir ses droits élémentaires : obtenir une feuille de paie, avec un respect de ses horaires réellement effectués, ce qui était énorme. Parce que quand vous êtes sans papiers, le patron se croit tout permis en heures supplémentaires non payées. Il a commencé à avoir un vrai toit, un studio à peu prés correct, et il a, en économisant, envoyé davantage à sa famille qui lui avait donné un petit pécule à l’origine de tout ça.

Dans le bâtiment c’est dur chaque jour, Macron ne le sait pas, mais la pénibilité au travail ca existe partout. Encore plus qu’ailleurs dans la démolition. C’est ce que racontaient les salariés de la fédération du Bois, lundi 15 janvier, au 32 rue Kleber devant le siège patronal, venus défendre leurs dirigeants traduits en justice pour leur action syndicale. La liste des victimes du travail s’allonge dans des conditions rendues encore plus risquées par la disparition des CHSCT, par les cadences exigées, les durées du travail allongées, par la fin des protections du code du travail.

Jo a enfin réussi à obtenir des papiers. Au bout de deux ans de feuille de paie, il a pu se placer dans une situation légale, évitant la crainte de l’arrestation et de l’expulsion à chaque coin de rue. De quoi respirer et envisager mieux l’avenir pour lui et les siens. A Clermont-Ferrand, ils ont fait un petit « pot » pour fêter ca, la fraternité entre travailleurs. C’était juste pour marquer le coup. C’était le vendredi dernier en fin d’après-midi, tout le monde s’est congratulé. Jo a appelé ses proches en Sierra Leone et leur a communiqué la bonne nouvelle. Et puis lundi, sur le chantier, il n’y avait pas de protection ni garde corps, ni filets, ni éventail, il n’y avait pas de baudrier, il était au 6° étage, il y a eu une fausse manœuvre avec la grue et la lourde banche, Jo s’est trouvé déséquilibré, il a chuté, il est tombé, il est mort. Il avait trente ans, Jo.

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