Immigration : le grand affolement
Le martyre de Lola, dont l’assassin présumé est une jeune femme immigrée en situation irrégulière et frappée par une OQTF (Obligation de quitter le territoire français), aura une fois encore suscité les ferments de la haine et de l’indécence portés par une droite ou une extrême droite plus motivées que jamais à pourfendre sans nuance l’immigration.
Il est si facile de jouer avec les peurs et l’ignorance pour atteindre ou asseoir un pouvoir. La question de l’immigration demeure, comme l’insécurité, un moyen idéologique pour les droites extrêmes de parvenir au pouvoir. D’où les sorties de Marine Le Pen, mais aussi de Retailleau plus sournois et à l’aise que jamais sous les ors du Sénat. Ces attaques, martelées par des chaînes d’information sans concession sont dirigées contre la gauche, présentée comme laxiste et aveugle.
Il s’agit de répondre à cette droite pour ne pas la laisser seule maîtresse d’une question essentielle que la gauche dans sa diversité aurait tort en effet de négliger. Que la discussion puisse avoir lieu sur des bases objectives et saines.
D’où et combien ?
Selon la définition donnée par l’INSEE, « un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France ». Rappelons d’abord que le taux d’immigration en France est le plus faible des pays de l’OCDE*. Il est à peine de 9 % alors qu’il se monte à plus de 20 dans des pays comme l’Australie, le Luxembourg, le Canada, la Suisse et entre 14 et 20 % s’agissant de l’Irlande, la Suède, la Belgique, la Norvège ou l’Espagne. L’Allemagne et les États-Unis se situent exactement dans la moyenne des pays de l’OCDE, soit entre 13 et 14 %. Les six millions d’immigrés que l’on compte dans notre pays sont donc loin, de par le nombre déjà, de constituer une menace comparée à celle qu’elle présenterait dans les pays les plus proches économiquement du nôtre.
Au vu de ces chiffres, la France n’est pas – ou n’est plus – ce grand pays d’accueil dont on se plaît parfois à vanter l’hospitalité. Elle n’est pas non plus des plus généreuses en matière d’accueil des réfugiés. Il faut à ce propos rappeler que ce sont précisément les pays en développement qui accueillent la majorité de ces derniers. Sur les 65 millions de personnes déplacées dans le monde, neuf sur dix sont accueillis dans et par des pays ou des régions peu avancées sur le plan économique ou social. À cet égard, notre pays, recroquevillé dans ses frontières, semble fort peu enclin à recevoir « toute la misère du monde ». Et d’ailleurs, est-ce bien la misère que l’on reçoit dans ce cas ? N’est-ce pas plutôt une part de richesse de ces pays à l’émigration subie ?
En effet, il faut pour émigrer non seulement du courage, mais aussi et surtout détenir un certain capital social et économique. Il faut de l’argent, de l’instruction propres à combattre la misère, il faut donc être plus riches ou éduqués que d’autres pour parvenir à entrer dans un pays étranger qui d’emblée vous rejette. Les plus qualifiés ou les moins pauvres sont donc les plus aptes à partir. Ainsi, plus de la moitié des réfugiés qui affluaient à l’époque de Sangatte notamment, étaient titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur.
43 % des personnes entrées comme migrants et qui ont un travail permanent sont d’anciens étudiants ayant poursuivi leurs études en France. Misère peut-être, mais misère éduquée avec un fort potentiel dont d’autres pays que le nôtre – la Grande-Bretagne notamment, mais aussi l’Allemagne – auront su profiter plutôt que de les considérer a priori comme des handicaps.
Dans ces conditions, une politique sélective de l’immigration n’est même plus souhaitable dans la mesure où elle est difficilement adaptable à la complexité et à la diversité du marché du travail.
Martellement d’idées reçues
L’autre idée est que les immigrés feraient baisser les salaires. En fait, il se trouve que les immigrés et les autochtones ne sont pas en concurrence, mais complémentaires sur les différents types de postes. De même, les immigrés ne sont pas attirés exclusivement par la protection sociale existant dans notre pays. Ils sont surreprésentés dans les classes en âge de travailler et donc contribuent davantage que les autres salariés au budget de l’État, comme à celui de la Sécurité sociale.
Pour la gauche, il est essentiel, si elle entend rester jalouse de ses valeurs, de défendre les droits des immigrés. Le mépris et la négation de leurs droits constituent un obstacle de taille à leur intégration. Ainsi faudrait-il même élargir ces droits aux élections locales. Pour l’heure, que soit appliquée la convention des Nations Unies du 18 décembre 1990 pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Une politique de régularisation est de nature à contourner le piège de la clandestinité qui n’est bon pour personne – si ce n’est pour les exploiteurs de la misère.
Le meurtre de Lola a été perpétré par une femme probablement atteinte de troubles psychiatriques sévères. Qu’elle ait été sous le coup d’une OQTF ne change pas grand-chose, n’en déplaise à une droite manipulatrice, indigne, et finalement peu sensible à la douleur de la famille. En revanche, ce meurtre effroyable en dit long sur la misère psychiatrique qui frappe notre pays depuis plusieurs années. Il nous instruit aussi, considérant les réactions des droites extrêmes, de la nécessité d’une véritable politique de l’immigration qui ne soit pas seulement guidée par la haine et la déraison.
Cet article de notre camarade Jean-Marc Gardère a été publié dans le numéro 300 de Démocratie&Socialisme, la revue de l aGauche démocratique et sociale (GDS).
* El-Mouhoub Mouhoud, L’immigration en France. Mythes et réalité, Fayard, 2012