GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Front national, « bipartisme » et « tripolarisation » (1 re partie)

Nous publions ici la première partie d’un article de notre camarade Jean-Jacques Chavigné. La suite paraîtra tout au long du mois de janvier dans les prochains numéros de la lettre électronique hebdomadaire de D&S.

« Bipartisme », « tripartisme », « bipolarisation », « tripolarisation » : avec la progression électorale du Front national depuis 2012 (pour un temps stoppée, puisque ce parti n’a pas pu franchir le « plafond de verre » du second tour aux régionales), ces termes reviennent de plus en plus fréquemment dans le débat public.

La plupart des médias, aujourd’hui, s’interrogent sur l’existence d’un « tripartisme » qui se substituerait au « bipartisme », puisque le FN peut accéder au second tour et même l’emporter. Le terme de « tripartisme » est cependant ambigu, et c’est plutôt celui de « tripolarisation » qu’il faudrait utiliser.

Dans des régimes qui ne sont pas des régimes de parti unique, le « multipartisme » est la règle. Le nombre de partis, et surtout le nombre de partis de gouvernement, est cependant largement influencé par les systèmes électoraux en vigueur. Le scrutin majoritaire a tendance à réduire le nombre de partis, tandis que la proportionnelle permet leur multiplication.

Le « bipartisme », le « multipartisme », en France et au Royaume-Uni

La France et le Royaume-Uni sont deux pays où le système électoral repose sur un scrutin uninominal majoritaire. Dans ce mode de scrutin, c’est le candidat arrivé en tête au 1er tour (Royaume-Uni) ou au second tour (France) qui l’emporte. Ce mode de scrutin s’oppose à la proportionnelle qui divise le nombre de sièges (nationalement ou par circonscription), proportionnellement au nombre de voix obtenues par un parti ou une coalition de partis.

Le scrutin majoritaire à deux tours en France

Le mode de scrutin le plus courant sous la Ve République (législatives, conseillers généraux, puis départementaux, présidentielles) est le scrutin majoritaire uninominal à deux tours. A l’élection législative de 1986 cependant, le scrutin proportionnel mis en place par François Mitterrand avait permis au Front national de faire élire 35 députés.

Ce mode de scrutin vise à réduire le nombre de partis pouvant prétendre à gouverner et surtout à permettre l’émergence, à droite (en dehors de l’extrême droite) et à gauche, d’un parti dominant : UDF, UMP, PS…

Le système électoral mis en place en 1962 pour l’élection du président de la République renforce cette tendance. En effet, au second tour de la présidentielle, il ne peut y avoir de « triangulaires » ou de « quadrangulaires », puisque seuls deux candidats restent en lice.

Malgré ce système électoral, de multiples partis existent en France. 18 partis peuvent revendiquer au moins un parlementaire, sans même prendre en compte les DOM et TOM. A gauche, ils sont huit : le PS, le PCF, EELV, le PRG, le MRC, le MDP (ex-MUP), « Ecologistes », « Nouvelle Donne ». A droite, 8 partis sont dans le même cas : « LR », l’UDI, le Modem, « Debout la France », le CNIP, le MPF, le MLM, le Parti Démocrate chrétien. Deux partis d’extrême droite ont également au moins un parlementaire : le FN (ou son cache-sexe le RBM) et la Ligue du Sud. De plus, de nombreux autres partis n’ont pas d’élus au parlement : le NPA, LO, le POI, le PEP (ex-M’pep), le Bloc identitaire, l’UPR, le Partit occitan, l’UDB…

Il est donc difficile de considérer que le « bipartisme » règne en France, à moins de confondre partis politiques, classes sociales et polarisation de la vie politique provoquée par le mode d’élection du président de la République.

Le scrutin uninominal majoritaire à un tour au Royaume-Uni

Le couperet du scrutin uninominal majoritaire à un tour favorise le « bipartisme ». Impossible de se compter au 1er tour, puis de se réunir au second ; il faut gagner dès le 1er tour, puisqu’il n’y en a qu’un. Un seul parti a donc tendance à s’imposer à gauche, comme à droite.

Les élections législatives du 7 mai dernier n’ont pas permis à l’UKIP (droite de la droite) ou aux « Greens » de modifier la situation. Le couperet du système de scrutin ne leur a permis d’obtenir qu’un seul élu, dans un cas comme dans l’autre. Les libéraux-démocrates, qui étaient les partenaires des conservateurs dans la coalition sortante, subissent l’une de leurs plus grosses défaites, passant de 57 sièges remportés en 2010 à 8. Le parti national écossais (SNP) a réussi par contre, lors de ces dernières élections législatives, à enfoncer un large coin dans ce dispositif, en emportant 56 sièges sur 59 en Ecosse, aux dépens essentiellement du Parti travailliste qui perd 37 sièges et n’en conserve plus que trois dans cette région. Mais c’est parce que le Parti national écossais (SNP) bénéficiait d’une base territoriale, s’appuyait sur un sentiment national fort et permettait, grâce à un programme anti-austérité, d’exprimer la colère populaire contre la politique néolibérale des conservateurs aussi bien que des travaillistes d’Anthony Blair ou de Gordon Brown.

Paradoxalement, ce scrutin uninominal majoritaire à un tour a été l’un des facteurs déterminants de l’élection de Jérémy Corbyn à la tête du Parti travailliste. Il est difficile, en effet, avec un tel mode de scrutin, de quitter ce parti pour créer un autre parti de gauche ayant quelque chance de diriger un gouvernement de gauche. Le salariat britannique avait parfaitement intégré que le salut ne pouvait venir que du parti travailliste, à condition de le changer. Une fois la candidature de Corbyn sur les rails, près de 200 000 salariés, jeunes, retraités ont franchi le pas et payé les trois livres sterling qui permettaient de voter pour désigner le leader du parti.

La suite de cet article dans les 3 prochaines lettres de D&S :

  • Le « bipartisme », le « quadripartisme », le « multipartisme » au Portugal, en Espagne, en Allemagne et en Grèce
  • Il y a deux camps fondamentaux
  • "Bipolarisation" ou "tripolarisation" ?
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