GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Forfaits fiscaux en Suisse

Nous publions ici la chronique de notre camarde Jean-Claude Rennwald, parue dans la revue Démocratie&Socialisme de mai. Jean-Claude Rennwald est un militant socialiste et syndical de la Confédération helvétique, ancien député (PS) au Conseil national suisse.

Un sursis pour les riches étrangers

Les riches ressortissants français et d’autres Etats étrangers qui résident en Suisse peuvent dormir sur leurs deux oreilles, du moins provisoirement. Après le Conseil des Etats (Sénat), le Conseil national (équivalent de l’Assemblée nationale), vient en effet de rejeter l’initiative populaire « Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires ». Mais le dernier mot appartiendra au peuple suisse. Le Conseil fédéral (gouvernement central) n’a toutefois pas encore fixé la date de la votation.

Millionnaires contre migrants

Le forfait fiscal, aussi nommé imposition d’après la dépense, est réservé en priorité aux ressortissants étrangers qui résident en Suisse mais qui n’exercent aucune activité lucrative. En 2012, 5'634 personnes étaient taxées ainsi, pour 695 millions de francs (1 euro = 1,25 franc suisse) de recettes fiscales, tous niveaux confondus (communes, cantons et Confédération). Il s’agit à 70 % de retraités. Mais des sportifs et des artistes en bénéficient aussi, de même que de richissimes chefs d’entreprises, comme le Suédois Ingvar Kamprad (PDG d’IKEA et homme le plus riche de Suisse) ou le Russe Viktor Vekselberg (actif dans de nombreux domaines industriels et financiers), qui dirigent leurs consortiums depuis la Suisse. Dans ce pays, ces millionnaires ou milliardaires ne sont pas taxés à la source – contrairement à des centaines de travailleurs migrants – mais s’acquittent d’un montant forfaitaire.

Cantons touristiques et Monaco à la fête

Six cantons suisses, généralement à vocation touristique, recourent davantage à ce système que d’autres. Vaud (Lausanne) est le canton qui compte le plus de bénéficiaires de forfaits fiscaux (1'536), devant le Valais (1'300), le Tessin (877), Genève (710), les Grisons (350) et Berne (211).

D’autres pays européens connaissent des pratiques fiscales similaires, notamment l’Autriche, la Grande Bretagne, la Belgique, le Portugal et Monaco. Détail intéressant, la majorité de ces pays font partie, comme la Suisse, de ceux qui accueillent le plus volontiers des capitaux en fuite.

Durcissement de la législation…

Sous la pression populaire, toute une série de cantons (Zurich, Schaffhouse, Appenzell Rhodes extérieures, Bâle-Ville et Bâle-Campagne) ont mis fin aux forfaits fiscaux, alors que d’autres (Saint-Gall, Thurgovie, Lucerne, Nidwald et Berne) ont durci les conditions d’accès à ce régime fiscal particulier. Des votations sur cette question sont en outre prévues prochainement à Genève et au Tessin.

Face au mécontentement grandissant, des mesures ont été prises pour rendre plus sévères les conditions d’octroi des forfaits à compter de 2016. La facture fiscale des riches étrangers va donc légèrement augmenter. À l’avenir, la dépense minimale prise en compte dans le cadre des impôts fédéral et cantonal s’élèvera à sept fois le loyer ou la valeur locative du logement, au lieu de cinq aujourd’hui. Pour l’impôt fédéral direct, le seuil du revenu imposable sera fixé à 400'000 francs.

… mais pas suffisant pour la gauche

Ces quelques progrès ne sont pas insignifiants, mais le Parti socialiste et les autres forces de gauche les jugent totalement insuffisants. Etoile montante du PS suisse, le Valaisan Mathias Reynard a ainsi souligné qu’un « principe est en jeu : l’équité devant l’impôt, sans privilège, sans passe-droit, alors que son camarade Stéphane Rossini a critiqué la « logique purement comptable et égoïste » des partisans des forfaits fiscaux. Quant à Regula Rytz, coprésidente des Verts suisses, elle s’est demandée pourquoi le tennisman Roger Federer n’y avait pas droit alors que Johnny Hallyday a pu en profiter lorsqu’il était établi dans la station bernoise de Gstaad.

Pour la majorité bourgeoise du Conseil national, l’initiative de la gauche aurait pour unique effet de « tuer la poule aux œufs d’or ». Son acceptation par le peuple pourrait faire fuir jusqu’à 80 % des contribuables étrangers concernés. Mais cette affirmation est purement idéologique, car à Zurich, par exemple, la perte de recettes fiscales (20 millions) découlant de l’abrogation des forfaits sur le plan cantonal et du départ d’un certain nombre « de réfugiés fiscaux » a été plus que compensée par une imposition normale des riches étrangers qui sont restés dans ce canton. Notons enfin que ceux qui défendent le principe des forfaits fiscaux sont les mêmes qui ont combattu l’introduction d’un salaire minimum légal. On vous le disait : les classes sociales existent aussi en Suisse !

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