GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Pour un Smic européen, contre la notion de "travailleurs détachés"

Il existe 22 Smic en Europe dans les 28 états de l'Union. La première bataille est de faire établir un Smic dans les 28 pays. Il n'en reste que 6 à convaincre. Il est possible ensuite de proposer et défendre un Smic européen progressivement aligné sur le plus élevé selon un calendrier et une méthode réalistes.

Constatons d'abord qu'il existe un Smic mondial : pour les marins et depuis 1994. Ce Smic négocié entre la FIT (Fédération internationale des transports : syndicat de marins) et la FAP (fédération patronale des armateurs) est réexaminé et réévalué entre pays signataires tous les deux ans en tenant compte de la parité des pouvoirs d'achat. Ce Smic mondial a été signé par plus de 48 pays et notamment par 18 pays européens. C'est précurseur : on peut envisager des Smic de branche ainsi par exemple dans le transport routier en Europe (ce serait plus facile à contrôler et ça éviterait les "go-fast" Varsovie-Lisbonne avec des conducteurs routiers bulgares payés à prix bulgare traversant dangereusement le continent...). Ensuite on peut établir des groupes régionaux de Smic selon leurs niveaux actuels : le plus élevé est le Luxembourg, les plus bas sont roumains et bulgares, mais celui de Malte est plus élevé que celui du Portugal. Pour chacun de ces groupes de pays, on peut fixer, à économies comparables des progressions parallèles et concertées des niveaux de Smic. C'est un peu comme ça que, ce qu'on appelait les "abattements de zone" de nos SMIG, dans les régions françaises après-guerre, ont évolué et ont été transformés peu à peu en un Smic national unique en France après 1968.

On peut établir une grille des Smic existants en "parité de pouvoir d'achat" : car ce qu'on achète avec 300 euros en Pologne ce n'est pas la même chose qu'avec 300 euros au Luxembourg. À partir de ces grilles comparées, on peut fixer des objectifs de rapprochements sérieux à moyen terme. Les écarts étaient grands (de 1 à 5) entre les salaires moyens de l’UE des quinze et ceux des dix nouveaux entrants en 2006, c’est-à-dire avant l’intégration de la Roumanie et de la Bulgarie, (à l’exception de Malte, Chypre et de la Slovénie), ils diminuent de moitié si l’on raisonne en « parité de pouvoir d’achat » ! Observons que ces écarts se réduisent encore si l’on rapporte les coûts salariaux à la valeur ajoutée produite pour obtenir "une mesure de la productivité de travail". Ainsi le salaire moyen polonais qui était 6,6 fois inférieur au salaire moyen britannique exprimé en euros n’est plus “que” 3,3 fois inférieur à ce même salaire exprimé en « unités de standard de pouvoir d’achat. ». Enfin, s’agissant des États membres les plus « compétitifs », si l’on introduit une dimension temporelle, on constate qu’une dynamique de rattrapage est déjà à l’œuvre. Il suffit alors de proposer une date : par exemple 2020.

Il faut négocier branche par branche, par paliers, par zone géographique, par groupes de pays, dans la perspective affichée d'un salaire minimum européen. Et les effets bénéfiques d'un projet de Smic européen progressivement unifié contre le dumping social commenceront aussitôt de façon réaliste à se faire sentir : si, après négociations par branches et par pays, la décision politique est prise dans l’Europe des vingt-huit d’aligner progressivement les salaires minima au niveau le plus élevé, d’abord en parité de pouvoir d’achat, en "unités standard de production", puis en euros, les délocalisations et le « principe du pays d’origine » perdent presque immédiatement leur raison d’être. Le salarié a moins tendance à envisager de s'exiler, l'employeur a moins tendance à prévoir de délocaliser ses machines.

Voilà la méthode réaliste pragmatique avec laquelle le Parti socialiste doit proposer de lutter contre le dumping social en Europe et de construire un Smic. On rappellera que c'est dans le véritable esprit du traité de Rome qui prévoyait aux débuts, lors du passage de la CECA à la CEE, que si du fait de la suppression des barrières douanières, des différentiels de salaires venaient à se manifester, ils seraient compensés et rattrapés vers les plus élevés.

Les travailleurs détachés

En prévision de ce projet il reste à lutter contre l'existence actuelle des travailleurs détachés qui sont au nombre de 350 000 en France. Il s'agit d'un contournement des Smic actuels, puisque seul le Smic net est payé, mais le Smic brut ne l'est pas sous prétexte que la part cotisations sociales est fixée selon le pays d'origine et versée (en théorie) aux caisses d'assurances sociales des pays d'origine. Or aucune obligation issue d'une directive européenne, ne remet en cause le droit du travail français : sur notre territoire c'est le Smic brut et net qui s'applique. C'est un sujet d'ordre public social, le Smic s'applique, se contrôle et son non-respect se sanctionne comme un délit.

C'est grave car entre 2000 et 2011 le nombre de travailleurs détachés a été multiplié par 20. Il y aurait (dans la partie recensée) 27 728 polonais, 16 453 portugais, 13 159 roumains, 11 395 allemands, 9 009 espagnols, 6 642 italiens, 5 744 bulgares… Ils seraient à 44 % dans le BTP, 22,7 % dans l’intérim, 17,3 % dans l’industrie, 5,3 % dans l’agriculture. Certains chiffres affirment qu’en 2012, 170 000 seraient déclarés, et même 220 000 en 2013 (+ 23% en un an). Et toujours un sur deux ne le serait pas. Un sur deux relève donc du régime d’exception avec non paiement des cotisations sociales au taux légal d’ici. Et un sur deux relève de la fraude totale. « Évidemment cela permet à des entreprises sous-traitantes d’emporter des marchés à des conditions scandaleuses » gronde le Ministre du travail contre un « système quasi mafieux ». Ajoutant qu’il n’y a pas que dans le bâtiment, il y a aussi des « travailleurs détachés » dans l’agro-alimentaire, l’agriculture, les transports…

Gilles Savary, juge « normal que les salariés soient rattachés à la sécurité sociale de leur pays d’origine » dans le cadre d’un détachement de courte durée ! Mais la loi européenne (non transposée en droit français) l’autorise tout de même jusqu’à deux ans ! La France envoie elle-même 144 000 salariés détachés dans les autres pays… Gilles Savary estime que « le détachement ne devrait jamais devenir une activité en soi, un business à cause du différentiel social ». Mais c’est le cas et ce trafic de main d’œuvre à bas prix fait florès de façon accélérée dans toute l’Europe alors que la Commission européenne refus de stopper. (« It’s a free world » comme le film de Ken Loach).

Ce trafic a mis le feu aux poudres, en Bretagne, quand il est apparu que des travailleurs roumains étaient embauchés avec des moitiés de salaires dans les abattoirs chez Gad ou Doux…alors même que les gros groupes alimentaires supprimaient des emplois… Les patrons de ces gros groupes se sont défilés de leur responsabilité en coiffant des bonnets de couleur pour cacher leur propre cupidité et accuser « l’Europe, les taxes, le gouvernement ». Ce qui sert au Front national aussi à « attaquer l’Europe » plutôt que le patron libéral qui fraude. Car ce n’est pas « l’Europe » qui fait ce trafic, ce sont bel et bien les patrons libéraux qui se sont rués dessus, hélas, sans limite, ni contrôle, ni sanction.

Notre parti doit proposer donc, car c'est possible, de faire appliquer la loi, l'Europe ne nous en empêche en rien : il existe des pénalités dans le Code du travail pour non-respect du paiement du Smic, et elles s'entendent en Smic brut, en salaire brut ! Il suffit de faire des contrôles et de prendre des sanctions dissuasives. En faisant jouer ce droit in-aliéné de faire respecter le code du travail français sur le territoire français, nous freinons cet aspect du dumping social tout en préparant la contre-offensive, le Smic partout dans l'union européenne.

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