GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Fonction publique : alerte sur les statuts !

Le gouvernement entend réécrire un Code général de la Fonction publique (CGFP) de 1 383 articles – et 400 pages –, conformément à la Loi de transformation de la Fonction publique d’août 2019. Le projet, présenté comme une codification « à droit constant », est naturellement gros de dangers gravissimes pour les agents comme pour les usagers.

La différence entre code et statut n’est pas une simple question de vocabulaire. Les deux mots sont souvent improprement présentés comme des synonymes. Depuis 1946, il existe une organisation des personnels publics qui est fondée sur des statuts. Cette appellation est enracinée dans le vécu des personnels.

Statut vs code

Un statut, sur le plan du droit, vise à regrouper une ou plusieurs lois organisant la situation professionnelle d’un groupe de personnes déterminé. À l’inverse, un code vise à regrouper une ou plusieurs lois organisant la situation d’un groupe de matières déterminées (un groupe de services, un groupe d’institutions...). L’exemple le plus ancien est le Code civil napoléonien.

C’est pourquoi on parle d’un statut des personnels et d’un code des collectivités. On ne parle pas de statut pénal, mais de code pénal. On ne parle pas de statut du travail, mais de Code du travail (parce qu’il s’agit de regrouper toutes les lois et jurisprudences relatives aux conditions de travail, aux relations de subordination entre salariés et patrons). En revanche, pour gérer les salariés dans l’entreprise, il y a les conventions collectives qui fonctionnent comme un statut…

La différence est fondamentale : opter pour un code, cela signifie que l’on entend organiser et garantir par la loi la Fonction publique en tant qu’administration. Le statut, lui, vise à organiser par la loi les fonctionnaires en tant que tels. D’une relation statutaire nationale, on passera à une relation contractuelle locale entre les employeurs et les salariés que sont les fonctionnaires.

À droit constant ?

Selon Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé à l’université Paul Valéry de Montpellier, « dans son acception traditionnelle, la codification à droit constant se distingue de la codification de plein exercice par l’absence de pouvoir normatif. Simple compilation de textes existants, elle n’aurait pas d’incidence sur la substance des règles qu’elle codifie. En réalité, elle est loin d’être neutre et la faculté qui lui est aujourd’hui reconnue d’harmoniser le droit et d’assurer la cohérence rédactionnelle des textes favorise la création d’un droit nouveau. […] Quant à l’harmonisation du droit, elle donne au codificateur un pouvoir d’abrogation comparable à celui qui procède d’une codification de plein exercice. Le gouvernement écarte non seulement les dispositions recodifiées ou celles qui sont expressément abrogées, mais encore celles qui auraient fait l’objet d’une abrogation implicite ou même d’une abrogation par désuétude. Il opère ainsi une sélection dans le droit existant sans reprendre l’ensemble des textes en vigueur avant la codification ».

La réécriture implique une interprétation codifiée, donc des jurisprudences figées dans le marbre, qui ne seront plus appréciées par un juge administratif, garant de neutralité, mais par un service RH, donc directement par l’employeur. Ainsi, une loi mal conçue pourrait être enrichie par une jurisprudence positive, mais la codification va au contraire imposer une appréciation figée de la jurisprudence.

Alerte !

Selon la CGT, « la loi dite de transformation de la Fonction publique entend bien transformer, c’est-à-dire changer la nature de la Fonction publique […]. Dans ce nouveau système, l’emploi est distinct du grade, donc toute la responsabilité est renvoyée à l’employeur, alors qu’actuellement c’est le grade qui est distinct de l’emploi ». Il s’agit du passage des droits collectifs attachés à la personne à des pseudo-droits renégociables attachés à la collectivité ou à l’administration. « C’est la fin du droit à la carrière, aux avancements, la fin des commissions de réforme, la fin des instances paritaires, la fin d[es trois] Conseil[s] supérieur[s] de la Fonction publique […], c’est l’ouverture à marche forcée à la mise en concurrence entre les salariés, les contractuels, les fonctionnaires. »

Aujourd’hui, en matière de gestion du personnel, la libre administration des collectivités est mise en œuvre dans le cadre du respect du statut (c’est souvent théorique, il faut se battre partout, mais la question n’est pas là). Le fondement du syndicalisme, c’est la défense des individus, de leurs conditions de travail, des intérêts matériels et moraux. C’est pourquoi le syndicalisme majoritaire de la Fonction publique a toujours revendiqué un statut et une loi d’application.

Prenons garde à un autre aspect : le statut et la loi permettent d’organiser un rapport de force national parce qu’il y a identité de traitement (même point d’indice). L’application de la loi peut être interprétée, rectifiée par le juge, il s’agit de la jurisprudence qui a un impact national ; le code laissera (immanquablement) toute la latitude pour imposer des chartes locales. Après l’expérience amère de la recodification du Code du travail de 2004 à 2008, aujourd’hui, il s’agit rien de moins que du démantèlement de la loi Le Pors. Un pas de plus vers une société sans statut.

Cet article de notre camarade Gérard Filoche a été publié dans le numéro 290 (décembre 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




La revue papier

Les Vidéos

En voir plus…