GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Syndicats

Casse du service public : les magistrats se mobilisent

« Une souffrance inédite » qui vient de « la violence du fonctionnement » du système judiciaire : c’est ce qu’évoque une pétition-tribune lancée fin novembre et signée depuis par plus de 6 000 magistrats. Il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de la baisse des dépenses publiques…

D’abord, ils se sont tus. Ensuite, ils ont dit leur malaise. Mais rien n’a changé. Ils ont continué de « tenir » et de pallier – ou pas – des conditions matérielles de travail toujours dégradées. Ils ont continué de « craquer » individuellement. Il y a eu des suicides.

Le drame de trop

La présidente de la Cour de Cassation, Chantal Arens, qui a pris son poste en 2018, a alerté solennellement le gouvernement sur les difficultés rencontrées par les magistrats et les personnels judiciaires. Le gouvernement a changé de ministre de la Justice et mis quelques rustines en embauchant ça et là des « contractuels » chargés de « préparer les dossiers » (parallèlement à ces embauches, les recrutements par concours ont été réduits). Et puis, survint le suicide de trop. Celui d’une jeune magistrate qui, après avoir assuré le poste de remplaçante de magistrats absents, n’a plus supporté la situation de travail qu’on lui imposait.

Aussi bien pour les magistrats et les personnels judiciaires que pour les justiciables, il est impératif de redonner au service public de la justice les moyens de bien travailler. Mais on en est encore loin.

En ce début de XXIe siècle, la justice nécessite des moyens humains et matériels que notre pays n’est pas en capacité d’accorder par manque de volonté politique. Parce que le service public de la justice, c’est quarante ans de baisses ou de stagnation budgétaires alors que la population a augmenté et que le droit ne cesse d’être modifié et de se complexifier, le rattrapage doit être spectaculaire. Aucun gouvernement n’a pour l’instant pris la mesure de ce qu’il convient de faire.

Le succès d’une pétition

Au moment où nous rédigeons cet article, ce sont 6 500 magistrats sur 9 000 (soit plus de 2/3) qui ont signé la pétition publiée le 23 novembre 2021 dans Le Monde. La mobilisation est d’ampleur et elle se déroule au moment où le gouvernement déploie, depuis le printemps dernier, un vaste dispositif de consultation autour de son projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire ».

Manifestement sa communication peine à juguler le mouvement profond de défiance des magistrats et des personnels judiciaires qui réclament tous des moyens humains et matériels. Il faut augmenter le nombre de magistrats et de greffiers. Nous disposons encore en France de facultés de droit qui dispensent des formations de qualité et l’entrée dans ces professions se fait par concours, avec des modalités facilitées pour des professionnels souhaitant se reconvertir. Il faut des ordinateurs, des bureaux, du papier, des codes et construire de nouveaux tribunaux (et non les fermer comme l’a fait Rachida Dati). Bref, investir dans la justice comme devrait le faire une grande démocratie qui se targue en outre d’être un grand pays du Droit et d’exporter son modèle à l’étranger.

Les chefs de cour et les procureurs soutiennent officiellement la pétition ainsi que les avocats (bâtonniers et syndicats d’avocats). Loin de se calmer, le mouvement initié par la pétition du 23 novembre prend de la visibilité : une journée de mobilisation est prévue le 15 décembre, avec des manifestations à Paris et en province.

Budget indigne

Certes, le quinquennat Macron a débouché sur la hausse du budget de la Justice, mais les manques en moyens humains et matériels sont tellement importants, qu’il était vraiment aventureux de déclarer : « La justice est réparée », comme l’a fait le garde des sceaux, Éric Dupont-Moretti. La France continue de consacrer moitié moins que l’Allemagne à la justice par tête d’habitant : 131,20 euros outre-Rhin, contre 69,90 en France*. L’institution judiciaire française connaît d’énormes carences en effectifs. Si l’on ne considère que les juges, la France se trouve particulièrement sous-dotée par rapport aux 45 pays européens enquêtés par la CEPEJ (Commission européenne pour l’efficacité de la justice). Ainsi, en 2018, elle comptait 10,9 de ces magistrats pour 100 000 habitants, soit deux fois moins que la moyenne (21,4 juges). Il s’ensuit des délais de procédure particulièrement longs qui font régulièrement condamner la France par la CEDH. On relèvera en outre que le gouvernement a glissé, lors de la vaste consultation qu’il vient d’organiser pour « restaurer la confiance dans l’institution judiciaire », l’idée de supprimer les Conseils de Prud’hommes… Ce qui donnerait d’ailleurs plus de dossiers aux juges professionnels.

Aucun service public n’est aujourd’hui à l’abri de la souffrance au travail. Partout, on relève une augmentation des suicides, des burn out et des démissions en raison de la dégradation des conditions de travail (ONF, Police, Éducation nationale, Hôpitaux, Justice, Inspection du travail). La nécessité d’investir dans les services publics et de les déployer à hauteur des besoins de la population et des fonctionnaires est incontournable. Tout le contraire de la politique mise en œuvre par Macron qui au mieux place quelques rustines ça et là. Ce gouvernement a été décidément plus généreux avec les entreprises et notamment les grands groupes.

Cet article de notre camarade Anne de Haro est à retrouver dans le numéro 290 (décembre 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* Selon l’Enquête bisannuelle de la CEPEJ, octobre 2020 (consultable sur https://www.coe.int/fr)

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