GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe La revue DS Une

S'inspirer du Portugal

Notre ami Philippe Marlière revient ici sur le résultat des municipales portugaises. Cet article a été publié dans la revue Démocratie&Socialisme d’octobre n°248, revue dans laquelle il tient une rubrique mensuelle "Internationales" depuis de très nombreuses années.

Dans le paysage désolé de la gauche européenne, la gauche portugaise fait exception. Pour la première fois depuis la Révolution des œillets de 1974, le Parti socialiste, Bloco de Esquerda et CDU (qui regroupe le Parti communiste portugais et les Verts) sont unis. Ces trois partis ont scellé en 2015 un accord de gouvernement sans participation ministérielle de BE, du PCP et du PVE. Cette entente pose les bases d’une politique anti-austérité engageant l’ensemble de la gauche.

Comment expliquer une telle évolution des principaux partis de gauche portugais ? Sous le gouvernement de José Sócrates, le PS a signé un mémorandum avec la Troïka comprenant des mesures d’austérité sévères. Le PS a durement payé cette décision en perdant lourdement les élections de 2011. Pour António Costa, il s’agissait d’éviter la « pasokisation » de son parti (engagée aujourd’hui pour le PS français) : sous son leadership, le PS a donné dans un premier temps un coup de barre rhétorique à gauche et a affiché sa volonté de dialoguer avec la gauche radicale.

La gauche unie au pouvoir

Le Bloco et le PCP auraient pu arguer que le PS faisait des promesses qu’il ne tiendrait pas. La gauche radicale a décidé au contraire de prendre le PS au mot et a accepté de négocier avec lui. Costa a donc dû répondre à l’offre constructive faite sur sa gauche. Les négociations ont été difficiles et parsemées de compromis de part et d’autre. Elles ont cependant abouti à la signature d’un accord comportant 70 mesures dont la tonalité générale va à l’encontre des politiques d’austérité antérieures.

Sous la pression du Bloco et du PCP, le PS a abandonné les plans de privatisation exigés par la Commission européenne. Entre autres mesures, l’accord prévoit de restaurer les salaires et les retraites au niveau pré-mémorandum. Le salaire minimum a été augmenté et les travailleurs dont les salaires perçus sont inférieurs au seuil de pauvreté ont reçu un complément financier. L’aide sociale pour les enfants et les personnes âgées a également été revalorisée. Des divergences subsistent quant à la gestion de la dette publique et extérieure. L’accord entre partis n’avait prévu aucun audit de celle-ci.

En résistant à la Commission européenne qui exigeait davantage d’austérité, la gauche portugaise, unie sur l’essentiel au-delà de ses désaccords, a réduit le déficit budgétaire à presque zéro, a fait baisser le chômage et parvient à attirer les investisseurs étrangers. Elle a pu mener des politiques de redistribution modestes, mais réelles.

Victoire logique

Dans ces circonstances politiques, le PS, au pouvoir depuis deux ans, vient de largement remporter l’élection municipale, le PCP perd quelques villes traditionnellement communistes (notamment Beja en Alentejo), mais tient son rang. Le Bloco de Esquerda, dirigé par Catarina Martins, une jeune et dynamique porte-parole nationale, est en hausse et engrange des succès prometteurs.

Il est significatif que Francisco Louçã, un des dirigeants historiques de Bloco de Esquerda, se soit prudemment réjoui de la victoire des gauches portugaises. Louçã reconnaît honnêtement que cette alliance avec le PS et le PCP, au niveau national et local, nʼest certes pas un long fleuve tranquille, quʼil y a des tensions et des désaccords, mais que cette alliance va de lʼavant. « Et cʼest bien ainsi », conclut-il.

Il est également intéressant de noter que Louçã pourfend les « populistes » du PSD (Parti social-démocrate, la principale formation de la droite). Dans un pays où le salazarisme régna en maître pendant plus de quarante ans, le populisme fait figure d’épouvantail et rappelle de fort mauvais souvenirs aux gauches portugaises. Bref, le cas portugais est celui dʼun front uni qui avance et construit peu à peu un bloc majoritaire dans le pays. Ce faisant, il fait reculer la droite réactionnaire et néolibérale qui perd du terrain partout.

Certes, les résultats décevants du PCP risquent de tendre les rapports à gauche, mais le parti qui briserait l’unité et permettrait le retour au pouvoir de la droite serait durement sanctionné par le corps électoral.

Pendant ce temps-là, les gauches françaises, de débats sectaires en stratégies douteuses, continue de creuser leur tombe. Le Portugal ? Connaît pas…

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