GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Entretien avec Michaël Zemmour

« Une forme de remarchandisation des revenus du travail »

Maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Michaël Zemmour est un économiste spécialiste de la protection sociale. C’est à ce titre qu’il est invité sur de nombreux plateaux et dans des réunions publiques dans tout le pays, ces dernières semaines. Il a bien voulu répondre aux questions de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

Démocratie & Socialisme : Gabriel Attal a déclaré en ouverture du débat parlementaire sur la réforme des retraites : « C’est la réforme ou la faillite ». Vraiment ?

Mickaël Zemmour : Non, ce n’est pas sérieux. Le système est viable : les dépenses ne vont pas augmenter considérablement dans le futur. En revanche, la réforme va dégrader le montant relatif des pensions. Le gouvernement dramatise inutilement la situation pour présenter sa réforme.

D&: Selon toi, quels sont les objectifs à court terme du gouvernement ?

MZ : Les motivations sont de deux ordres. D’abord, réformer le marché du travail en demandant aux seniors en emploi d’y rester plus longtemps pour produire plus et augmenter par ailleurs la concurrence entre salariés. Ensuite, réaliser des économies pour rattraper les choix faits précédemment. Ce gouvernement a choisi de baisser les impôts pour les classes supérieures, s’est privé de recettes significatives et maintenant, pour tenir les 3 % de déficit, il doit trouver à faire des économies.

D&S : Tel qu’il est actuellement rédigé, quelles seront les principales victimes de ce projet de loi s’il devait par malheur rentrer dans la vie ?

MZ : Les principales victimes, ce seront les personnes qui vont être les plus durement touchées, c’est-à-dire celles qui devront décaler le plus leur départ en retraite, et ce sans compensation. Cela concerne les personnes qui ont commencé à travailler tôt sans interruption de carrière ou encore celles qui ont commencé à travailler juste après vingt ans. Cela concerne aussi les femmes avec enfants qui, sans la réforme, pouvaient partir à 62 ans à taux plein et qui, avec elle, ne pourront plus partir qu’à 64 ans, sans aucune bonification. Évidemment, cela concerne aussi les personnes déjà sans emploi qui n’en retrouveront pas et donc, concrètement, vivront plus longtemps dans la précarité, au RSA…

D&S : On parle souvent des perdants, mais existe-il des gagnants ?

MZ : C’est une réforme qui vise avant tout à faire des économies ; elle fait donc essentiellement des perdants. Ils sont nombreux et vont des cadres aux ouvriers, aux employés. En réalité, la seule mesure sociale de revalorisation est celle qui permettra à certaines personnes, celles qui n’ont pas de décote, de toucher 33 euros en moyenne de revalorisation pour les nouveaux retraités et 56 euros en moyenne pour les retraites actuelles. On est bien loin d’une mesure qui garantirait 1 200 euros à l’ensemble des retraités.

D&: Un mot sur la « pension de retraite minimale à 1 200 euros ». Tout le monde a entendu ta démonstration, qui a été reprise partout. Malgré tout, Franck Riester, par exemple, continue de promouvoir cette mesure. Peux-tu nous en dire un peu plus sur cette manipulation ? Et pourquoi le gouvernement s’y enferre-t-il, d’après toi ?

MZ : Depuis le début, le gouvernement fait le choix d’une communication trompeuse, qui embrouille. En réalité, la réforme est socialement très dure et le gouvernement veut donner l’impression de mesures sociales. Celle dite « des 1 200 euros », ce n’est rien d’autre que l’application de la loi de 2003, qui a pris énormément de retard, qui oblige à faire évoluer dans le temps la pension de base. C’est une mesure certes utile, mais il n’y a aucunement besoin de la réforme pour qu’elle soit mise en place.

Le gouvernement n’a aucun argument. C’est pour cela qu’il fait le choix de mettre en avant ces fameux 1 200  euros.

D&S : Comment en est-on arrivé là ? Ce projet s’inscrit-il dans une continuité historique ?

MZ : Nous connaissons des réformes de notre système de retraite tous les cinq à dix ans. Ce n’est pas pathologique en soi. Il est normal d’en réévaluer la trajectoire régulièrement. La réforme du gouvernement est comparable à d’autres qui l’ont précédée. Elle est notamment très proche de la réforme de 2010, portée par le ministre Éric Woerth, qui visait principalement à reculer l’âge de la retraite de 60 ans à 62 ans.

Malgré toutes les réformes, nous restions dans une trajectoire qui permettait des améliorations, notamment parce que les gains en espérance de vie et en niveau de vie persistaient. La réforme portée par Olivier Dussopt est une rupture, car elle ne s’inscrit pas dans une dynamique de progrès. La période en retraite sera raccourcie malgré les gains en espérance de vie. Et le niveau des pensions va baisser.

Pour Macron et son gouvernement, le choix est fait : il convient d’accélérer le passage à une dynamique purement négative. Pour eux, le système des retraites se dégrade, mais pas assez vite.

D&S : Comment cela ? Pour toi, quelle vision du monde se cache derrière cette « réforme » ?

MZ : Je pense qu’il y a une vision claire : certaines institutions seraient des archaïsmes qu’il faudrait aux yeux du pouvoir actuel, nettement circonscrire, à défaut de pouvoir les faire disparaître purement et simplement. On peut citer l’accès à l’université sans sélection ou le monopole public dans les transports. Le système de retraites est un de ces archaïsmes dont il faut réduire le périmètre, car il prend trop de place. Il y a là une forme de remarchandisation des revenus du travail.

C’est également une question de société. Pour le gouvernement, tant qu’on est en bonne santé, on doit travailler. C’est une vision qui s’oppose à celle du droit au temps libéré. Finalement, on s’oriente vers un fonctionnement social où les seules personnes amenées à partir tôt prouveront cette nécessité par leur mauvais état de santé. Il y donc là une vraie cassure sur le sens à donner à notre système de retraites, et même à la retraite en tant que telle. Est-elle un pan de la vie garanti ou est-elle nécessairement la période où l’on est en mauvaise santé ? C’est un débat politique à mener.

Propos recueillis par notre camarade Marlène Collineau le 11 février 2023

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