Emplois féminisés : l’urgence de la revalorisation
La période du confinement a prouvé que les emplois les plus nécessaires, c’est-à-dire les plus conformes aux besoins sociaux, étaient également les moins bien rétribués. Et au sein de ces emplois souvent « invisibilisés », ce sont presque toujours ceux qui échoient majoritairement aux femmes qui payent le moins. L’heure d’une revalorisation, tout aussi vitale que méritée, a sonné.
« Je pense très sincèrement que des femmes en situation d’autorité de pouvoir auraient abordé les choses différemment. Plutôt que d’avoir recours à ce corpus viril, martial, sans doute qu’elles auraient vu plus facilement que ce qui fait tenir la société, c’est d’abord une bande de femmes, parce que les femmes sont majoritaires dans les équipes soignantes - même si nous saluons aussi avec autant gratitude les hommes - parce que les femmes sont majoritaires aux caisses des supermarchés, parce que les femmes sont majoritaires dans les équipes qui nettoient les établissements qui travaillent encore, et qu’elles sont souvent majoritaires dans la fonction publique qui tient encore. » (Christine Taubira, 13 avril 2020)
Revaloriser les emplois féminisés!
« Ce qui fait tenir la société, c’est d’abord une bande de femmes » (Christine Taubira, 13 avril 2020)
Il serait tout simplement insupportable que la crise sanitaire que nous vivons n’aboutisse pas à la reconnaissance de tous les métiers de cette « bande de femmes », des métiers largement sous-payés.
Cela ne peut pas passer par de simples mesurettes, encore moins par des aumônes ou des primes et autres gadgets.
Il est indispensable que soit lancé un grand programme de rattrapage des métiers, emplois et carrières féminisés. Et que soit donné corps au principe « un salaire égal à un travail de valeur égale » pourtant posé en France dès la loi de 1972.
En effet, l’interprétation du « à travail égal, salaire égal » a trop longtemps limité la notion de discrimination au fait que les femmes ne perçoivent pas les mêmes salaires que les hommes dans les mêmes cadres de travail. Si la jurisprudence consacre bien le principe d’égalité de rémunération sans qu’il soit nécessaire que le travail accompli par les salarié-e-s soit identique, il s’agit aujourd’hui de se battre pour de nouvelles avancées collectives.
Ce qui est en cause ici, c’est bien la déqualification, la non-reconnaissance, l’injustice qui frappe les emplois dits féminins ou féminisés, y compris d’ailleurs quand ils sont occupés par des hommes.
Métiers d’hommes, métiers de femmes
Le « marché du travail » est très polarisé. Femmes et hommes ne font pas et surtout ne se concentrent pas dans les mêmes métiers. Si la mixité a évolué ces trente dernières années dans certains domaines, la croissance des métiers d’aide à la personne et de la santé, pour la plupart largement féminisés, a renforcé globalement la ségrégation (voir encadré ci-dessous).
La concentration des femmes et des hommes dans des emplois différents tend à renforcer l’idée que les bas salaires proviennent de facteurs liés au jeu du marché et à des exigences de compétences plutôt que de la sous-évaluation des emplois à prédominance féminine.
Il n’est pourtant pas exagéré de dire que ces filières très féminisées subissent une discrimination systémique. Les compétences mobilisées dans les emplois essentiellement occupés par des femmes sont niées ou plutôt identifiées comme des « qualités » liées au genre, mises en œuvre spontanément et sans effort et non comme des acquis et des savoir-faire professionnels.
Ce constat n’est pas nouveau : « Cette gestion sexuée de la main-d’œuvre s’est accompagnée d’une reconnaissance aux femmes de “qualités” dites spécifiquement féminines – par exemple “dextérité” et “précision” pour les ouvrières, “dévouement” chez les infirmières, “sens de la relation” ou de “l’organisation” chez les secrétaires –, mais elle s’est aussi accompagnée d’une dévalorisation de ces mêmes “qualités” dans le champ économique et professionnel, eu égard au fait que celles-ci seraient par nature ou par socialisation attachées au rôle des femmes dans la famille et dans la société. Plus les travaux sont proches de travaux accomplis en partie gratuitement dans la sphère domestique ou familiale, plus cette dévalorisation est importante » (1).
Depuis longtemps déjà, certains pays se sont attachés à combattre ces discriminations collectives (Suède, Ontario, Canada...)
Au Québec, la loi pour l’équité salariale
L’exemple le plus connu est celui du Québec, qui en 1996 a adopté la Loi pour l’équité salariale « visant à corriger la discrimination systémique vécue par les personnes occupant des emplois dans des catégories majoritairement féminines dans toutes les entreprises de plus de dix personnes salariées ».
La valeur des catégories d’emplois ont été déterminées en les évaluant et en les comparant selon quatre grands facteurs : les qualifications requises, les responsabilités assumées, les efforts requis et les conditions de travail.
Après son adoption, on a noté, entre 2000 et 2015, une réduction de l’écart salarial horaire moyen entre les femmes et les hommes, qui est passé de 16,5 à 9,9 % (2).
En France, la volonté n’a jamais dépassé la publication de guides de bonnes pratiques comme celui publié par le Défenseur des droits en 2013 (3) – ouvrages forts intéressants, mais insuffisants en soi. Les débats de méthode sont quant à eux largement documentés (4). Ne manque que la volonté politique.
C’est pourquoi nous faisons nôtre et soutenons l’initiative « L’après Covid-19 : Revalorisez les emplois féminisés! » (5) lancée laprès la publication d’une tribune dans Le Monde et qui conclut de la sorte : « La crise que nous traversons doit être l’occasion de nouveaux engagements de l’État, des branches professionnelles et des entreprises pour revaloriser tous ces emplois à prédominance féminine. L’État se doit de donner l’exemple, en tant qu’employeur, en revalorisant immédiatement les emplois et carrières à prédominance féminine de la fonction publique. Il doit aussi s’engager en tant que financeur des secteurs sanitaires, sociaux, éducatifs et de la dépendance ! »
Cet article de notre camarade Claude Touchefeu est paru dans le numéro de septembre de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).
(1) OCDE, L’Avenir des professions à prédominance féminine, 1999, p. 222.
(2) Selon la Centrale des syndicats du Québec (https://www.lacsq.org).
(4) Voir par exemple Séverine Lemière et Rachel Silvera, Comparer les emplois entre les femmes et les hommes : de nouvelles pistes pour réduire les inégalités de salaires, La Documentation française, 2010 .
(5) Pour signer la pétition : https://www.change.org/p/emmanuel-macron-revalorisez-les-emplois-féminisés.
Source : Dares, d’après Insee - Données 2011 - ©Observatoire des inégalités, France métropolitaine